L'histoire :
Revenu d'Indochine, Yann Calec est en passe de devenir son propre commandant. Grâce à son héritage il a pu racheter un liberty ship et entreprendre de le transformer en navire marchand. Avant son premier transport commercial, il lui faut toutefois constituer un équipage, en partie avec ses anciens collègues de bord, mais également en embauchant sur le port de Rouen. Les entretiens se déroulent autour des tables du « Lieu jaune », un bar fréquenté par les hommes de mer de la capitale normande. Mais Calec bute sur les dures réalités du métier. D'une part, ses anciens employeurs de la compagnie des Chargeurs et Affreteurs Réunis voient d'un très mauvais œil son arrivée dans le business, fut-elle modeste. De l'autre coté, les syndicats des marins du port, habitués à traiter avec un seul employeur, tentent d'imposer leurs conditions à ce nouveau venu. Cette double contrainte va générer un blocage lorsque Calec refuse d'embaucher Morrand comme commandant en second. Très lié aux syndicats du port, ce dernier promet au nouveau Commandant de grosses difficultés dans le milieu. Lorsque, malgré tout, Calec visite son bateau en cours de révision sur les docks de Petit Couronne, il y fait une découverte macabre...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
On retrouve avec plaisir la personnalité bien trempée de notre marin préféré, installé de manière crédible dans le monde portuaire des années 50 que les auteurs décrivent avec un grand réalisme. Jean-Charles Kraehn a choisi d'évoquer ici les contraintes imposées à un jeune commandant de bord par deux forces en présence : d'un coté la très patronnale Compagnie des Chargeurs et Affrêteurs Réunis ; de l'autre, le très puissant syndicat des ouvriers du port. Personne n'en ressort grandi et la collusion d'intérêts entre les deux parties, pour conserver coûte que coûte leur influence, est mise en avant. Pas de leçon de morale, mais un constat direct et pas très optimiste sur les turpitudes de l'âme humaine, du coté des employeurs comme du coté des syndicats, qui prennent goût au pouvoir. La force des personnalités, les réalités de la vie, l'honneur personnel et la droiture, bref, l'ensemble des sentiments que Kraehn aime décrire, sont à nouveau présents dans ce one-shot. Scénariste sans concession mais diablement efficace quand il s'agit de mener un suspense, il fait de Tramp une valeur sure de la grande aventure, prenant pour cet album une tournure polar noir du meilleur effet. Comme toujours, la narration très traditionelle de Kraehn est maîtrisée. Il y a encore dans Tramp des textes d'explications en haut des cases, qui situent l'action, décrivent l'état d'esprit des personnages. Pour qu'un one-shot tienne la mer et ne laisse pas une impression de trop vite lu, c'est un véritable plus. Quand en outre cela s'accompagne d'un Patrick Jusseaume excellent pour camper des gueules de personnages caractérisées, et des décors qui vous imprègnent au premier coup d'œil, la lecture devient un véritable plaisir. Dans un prochain cycle, Tramp va repartir vers de nouvelles aventures en mer. Nous serons volontaires pour intégrer l'équipage...
