interview Bande dessinée

Alice Picard

©Delcourt édition 2005

Associée au scénariste (très) prolifique Eric Corbeyran, Alice Picard dessine au rythme d'un album par an, la série Wëena aux éditions Delcourt. A l'occasion de la sortie du troisième tome de la série (lire la chronique), nous avons rencontrée cette jeune artiste aux alures de baba cool pour lui poser quelques questions...

Réalisée en lien avec l'album Weëna T3
Lieu de l'interview : Festival Delcourt à Paris Bercy

interview menée
par
23 février 2005

Bonjour Alice Picard, commençons par le début : comment ça va ?
Alice Picard : Ça va bien, il fait beau… Ça fait du bien de monter à Paris, de quitter un peu le boulot, enfin, de faire un break…

Raconte nous ton parcours : quand et pourquoi as-tu commencé à dessiner ?
Alice Picard : Dès que j’ai eu un crayon dans la main, j’ai commencé à dessiner. J’ai toujours aimé ça, c’est venu comme ça. C’est beaucoup plus facile pour moi de raconter des histoires avec le dessin que par du texte. Comme on dit : une image vaut mille mots. Mais au début je n’avais jamais pensé faire de la BD, je voulais faire de l’animation, car j’avais été très inspirée pas les dessins animés japonais qui passaient à la télé à l’époque. Après mon bac et deux années d’art appliqué, j’ai fait deux ans de formation aux Gobelins pour apprendre l’animation puis j’ai travaillé un an et demi chez Disney (sur Tarzan, en temps qu’intervalliste). A la fin de Tarzan, j’ai quitté Disney pour retourner à Bordeaux, dans ma ville natale, pour travailler dans le jeu vidéo. La boîte a fermé il y a quelques années. Peu de jeux sur lesquels nous travaillions finissaient par sortir, ils étaient pour la plupart arrêtés en cours de production…. Ce n’était pas très motivant, du coup beaucoup d’entre nous dessinions de notre coté pendant les journées de « boulot ».

Ta bio officielle nous apprend que tu as rencontré Eric Corbeyran via Marc Moreno. Tu confirmes ?
Alice Picard : Via Marc Moreno, en effet, pendant que je travaillais dans le jeu vidéo. Marc, qui avait son bureau à côté du mien, a commencé à travailler sur Le Régulateur à peu près un an avant que je commence à travailler dans la BD. Il a vu les dessins éparpillés sur ma table et m’a suggéré de faire de la bd moi aussi. Il m’a présenté Eric Corbeyran au cours d’un dîner, je lui ai apporté une caisse pleine de dessins et de croquis qui lui ont plus. Il avait déjà écrit le synopsis de Weëna depuis un moment déjà et voulait le réaliser avec une dessinatrice. Quelques jours après, je recevais ce synopsis dans ma boîte aux lettres. C’est ainsi que j’ai commencé Weëna.

Comment travailles-tu avec lui ?
Alice Picard : Lorsque je travaille sur mes planches, à peu près une fois par mois je vais les montrer à Eric Corbeyran pour qu’il voit où j’en suis et me faire corriger au besoin les choses à retoucher que je n’aurais pas vues (heureusement, ça n’arrive pas souvent…). Eric me donne les scénarii entiers des nouveaux albums au moment où je commence à travailler sur le précédent. Là, je suis en train de travailler sur le tome 4, j’ai reçu le scénario du 5, ça me permet d’avoir de la visibilité et de travailler les personnages, les lieux et les situations en anticipant sur ce qui va se passer ensuite. C’est une série assez ouverte par rapport au nombre d’albums. Chaque nouveau scénario apporte de nouvelles idées. On commence à avoir une estimation du nombre d’albums, mais qui est loin encore d’être définitive : deux cycles, dont le premier se finira peut être au huitième tome. Quand il y a un nombre d’album défini et sûr dès le départ, un certain nombre d’idées peuvent passer à la trappe et ça c’est dommage. De ce fait, on veut prendre le temps de raconter ce qu’il y a à raconter.

Quelle marge de manœuvre te laisse t-il ?
Alice Picard : Le découpage est bien planifié. J’ai une description de l’action qui est bien détaillée, mais j’ai plus ou moins carte blanche pour ce qui est le design et la construction de l’univers de Weëna. Des descriptions très détaillées me sont données que lorsque c’est vraiment nécessaire. Par exemple, dans le cas de Wëena, c’est les cheveux gris, les yeux dorés et la peau mate.

Est-ce qu’il s’embrouille parfois entre ses multiples projets ? Est-ce qu’il te parle de Debrah (héroïne des Stryges) par exemple, au lieu de te parler de Weëna ?
Alice Picard : Non pas trop, même s’il a effectivement beaucoup de projets… Quand il travaille sur un album en particulier, il arrive à faire abstraction de tout le reste. Il peut passer très facilement d’une série à l’autre sans les mélanger.

Combien de temps te faut-il pour réaliser une planche ?
Alice Picard : Tout dépend de ce qu’il y a dessus ! Maintenant je ne fais plus la couleur, donc c’est plus rapide. Pour le tome 2, ça a été beaucoup plus long : la couleur me prenait deux fois plus de temps que les encrages. J’ai moins de facilités en couleur qu’en dessin, je prenais beaucoup plus de temps, j’en perdais sur des détails qui ne sont pas très important… J’allais jusqu’à faire les reflets sur chaque petite mèche ! C’est Elsa Brants qui me remplace, c’est une très bonne amie et son travail est magnifique, je suis fan ! Elle avait déjà terminé les 7 dernières planches du tome 2. Depuis le tome 3, comme je ne fais plus que le noir et blanc, une planche me prend d’une journée à une semaine pour les plus compliquées et détaillées.

Tu dessines les planches dans l’ordre ?
Alice Picard : Je ne dessine pas dans l’ordre, j’essaye de me débarrasser des planches les plus compliquées au départ plutôt que de me retrouver en bouclage et de risquer de les bâcler en devant aller plus vite...

Es-tu naturellement séduite par le gothique (tu écoutes Marylin Manson et tu te peins les ongles en noirs ?) ou est-ce le scénario d'Eric Corbeyran qui veut cela ?
Alice Picard : J’ai des tresses et un bandeau dans les cheveux, (c’était en septembre), je porte des vêtements colorés, j’ai l’air d’une gothique ? ;-) Il m’arrive effectivement d’écouter du Marilyn Manson (je dois avoir une ou deux chansons) mais j’écoute beaucoup de chose… Je suis quand même séduite par certain côtés du gothique, le côté romantique et sombre du gothique, mais il n’y a pas que ça dans Wëena, il y a aussi de l’ethnique, de la légende, du conte… Je suis très inspirée par les voyages que je fais. Je suis partie en Thaïlande et au Cambodge au printemps. J’en ai rapporté beaucoup de photos et d’impressions nouvelles dont je me sers maintenant pour travailler.

Quels sont les principes graphiques que tu respectes pour parvenir à l’alchimie visuelle ?
Alice Picard : Avant de faire mes planches, je lis le scénario de nombreuses fois. A la première lecture j’ai déjà les images dans la tête. A la suite de mes différentes lectures, si les images ne changent pas, c’est celles-ci qui se retrouveront dessinées sur ma page. Si ça change, c’est que je dois réfléchir encore à l’image que je veux dessiner, et ce, jusqu’à qu’à ce que mes nouvelles lectures du scénario ne changent plus. Comme j’ai le scénario à l’avance, j’ai déjà les images dans ma tête et plusieurs mois pour y réfléchir.

As-tu d’autres projets ? Avec Eric Corbeyran ou seule ?
Alice Picard : Ce n’est pas encore validé, mais je vais peut-être travailler sur une nouvelle série, toujours scénarisée par Eric Corbeyran. Une série de « science fantasy » pour la jeunesse… Peut-être aussi, racontera t-on d’autres histoires dans l’univers de Wëena ! Un monde comme ça, il y a tellement de choses à développer… pourquoi pas raconter l’histoire de chaque personnage, en faire des personnages principaux, ou se focaliser sur de nouvelles régions…

Si tu étais une bédienne, quelles seraient les BD que tu aimerais faire découvrir aux terriens ?
Alice Picard : Où le regard ne porte pas : je viens de lire le premier tome, je trouve ça magnifique. La saga des Stryges… Je n’ai pas de BD de fantasy à proposer car je n’en lis pas beaucoup. Je préfère lire autre chose. J’aime avoir une vue fraîche, pour ne pas être influencée involontairement. Je préfère lire de la fantasy en roman car je peux y appliquer mes propres images. Sinon, Peter Pan de Loisel, Blankets de Craig Thompson, From Hell... C’est éclectique.

Si tu avais le pouvoir cosmique de te téléporter dans la peau d’un autre auteur de BD, chez qui élirais-tu domicile ?
Alice Picard : Alors là ? Je suis très bien chez moi !

Merci Alice !