interview Manga

Chihiro Tamaki

©Asuka édition 2013

Chihiro Tamaki fait partie de ces artistes qu’on aime redécouvrir à chaque nouvelle œuvre. Connue en France pour ses deux séries Walkin’ butterfly et Fool on the rock (toutes deux chez Asuka / Kazé manga), la mangaka change en effet de style narratif et graphique à chacun de ses titres. En visite chez nous pour la seconde fois à l’occasion du salon Cartoonist 2013 (mais sans son éditeur français), nous sommes allés à sa rencontre pour une interview express, façon parcours du combattant : des heures de retard du côté de l’organisation, sans cesse repoussée pour cause de planning abandonné sur le bord de la route, sauvée in extremis par la traduction approximative mais malgré tout bienvenue de la sympathique présentatrice Suzuka de la chaîne Nolife en mode heure-sup’ bénévole après la fermeture, la rencontre s’est finalement terminée le lendemain dans les allées du salon, sans traducteur, grâce à un système complexe d’anglo-japonais-grimaces-langage des signes...

Réalisée en lien avec les albums Walkin'butterfly T1, Fool on the rock T2, Walkin'butterfly T4, Walkin'butterfly T3, Walkin'butterfly T2
Lieu de l'interview : Cartoonist 2013

interview menée
par
23 août 2013

En France, on vous connaît pour les mangas Walkin’Butterfly et Fool on the Rock. En ce moment, au Japon vous travaillez sur un titre ayant pour sujet le baseball. Ce sont toujours des titres sur des univers très précis et pas toujours bien connus du public : l’univers des mannequins, celui du milieu des petits groupes de rock, et maintenant le baseball. Comment choisissez-vous vos projets ?
Chihiro Tamaki : Cela vient de mon imagination, et je crois que j’arrive naturellement à rendre réalistes les univers dont je parle. Bien sûr, à chaque fois l’éditeur me conseille sur des petits détails, mais en général cela ne me sert pas beaucoup car tout cela dépend beaucoup des gens qui me donnent ces conseils et des domaines dont l’on parle. Par exemple, en fonction de la maison d’édition avec laquelle je fais mon manga, les méthodes de travail seront différentes, et il en va de même pour les univers que je décris dans mes histoires. Donc, j’utilise juste mon imagination, je suis mes idées et je dessine ce que je pense être le plus réaliste.


main levée
Dédicace à main levée en plein milieu du salon !


Et par rapport au public visé qui est différent à chaque fois ? Vous passez du josei au seinen, puis maintenant au shônen.
Chihiro Tamaki : En fait, ce sont les maisons d’édition qui me demandent d’orienter mon histoire au public qu’elles veulent toucher. illus WB Par exemple, si c’est pour du shônen, il faut que ce soit un héros, et si c’est du shôjo, il faut que ce soit une héroïne, mais dans tous les cas ça ne me dérange pas, je m’adapte à la demande. Pour moi, c’est facile d’imaginer des héroïnes puisque je suis une femme, et quand il faut faire des garçons, j’imagine simplement quel genre de garçon je voudrais être. C’est comme ça que je fonctionne.


Votre style graphique change beaucoup d’un titre à l’autre. Cette évolution s’est-elle faite naturellement ou avez-vous spécifiquement travaillé votre trait en fonction du manga ?
Chihiro Tamaki : Non, cela me vient naturellement, ce changement de style.


Pour Fool on the Rock, encore une fois, le thème est très spécifique. Comment avez-vous découvert le milieu rock ? Comment s’est passé l’écriture du scénario ?
Chihiro Tamaki : Pour l’écriture du scénario, il y a des gens qui me conseillaient sur des petits détails. Mais pour ma part je ne m’y connais pas du tout en musique, et je n’aime pas non plus un groupe de rock en particulier, donc si vous me dites que le rendu fait très réaliste et que c’est bien expliqué, cela me fait vraiment très plaisir. Pour l’histoire, j’avais le personnage à la base, j’ai utilisé un modèle et j’ai transformé le personnage pour que cela me paraisse plus réaliste.


dessin original 1 Pourtant, vous citez plusieurs fois le groupe The Stalin dont le chanteur est l’inspiration de l’un des personnages de Fool on the rock...
Chihiro Tamaki : En réalité, ce sont le nom du groupe et ses membres qui m’ont inspirée, et j’ai retranscrit cela dans mon manga. J’aime le style de musique de ce groupe, la façon de penser, le nom... C’est pour cela que ce groupe et celui du manga se ressemblent beaucoup.


L’une des 2 illustrations originales réalisées par l’auteur pour les ex-libris du salon Cartoonist



Retranscrire de la musique en manga, est-ce un exercice difficile ?
Chihiro Tamaki : dessin original 2 En fait, je n’ai jamais voulu montrer de la musique dans mon manga. Ce que je voulais montrer, c’était des personnages qui font de la musique. Et donc comme il ne s’agissait finalement que de raconter des personnages, ce n’était pas difficile.


Finalement, le thème de Fool on the Rock, c’est plus l’amitié que la musique ?
Chihiro Tamaki : Oui, tout à fait. C’est exactement ce que je voulais montrer, une histoire d’amitié.


L’une des 2 illustrations originales réalisées par l’auteur pour les ex-libris du salon Cartoonist



Vous lisiez beaucoup de shônen plus jeune, vous citez Ashita no Joe par exemple. Il y a aussi beaucoup de références à Osamu Tezuka dans vos œuvres (avec les grimaces des personnages). Mais lisiez-vous aussi des œuvres pour filles ? Que trouviez-vous dans le shônen que vous ne trouviez pas dans le shôjo ?
Chihiro Tamaki : Je peux vous dire plutôt ce qu’il y a dans le shôjo qui ne se retrouve pas dans le shônen. Dans le shônen, il y a de tout, des sports, de l’amour... on peut vraiment trouver tous les sujets. Par contre, dans le shôjo, on ne voit que de l’amour, mais il y a des monologues des héroïnes ou des autres personnages, ce qu’elles pensent... Ca, ça n’existe pas dans le shônen.


triptique
Chihiro Tamaki, une mangaka aux multiples visages


Vous avez déclaré lire beaucoup de yaoi, qu’est-ce qui vous plaît particulièrement dans ce type d’histoire ?
Chihiro Tamaki : Le charme du yaoi, en fait, cela vient de la culture japonaise, parce qu’on a toujours la différence entre hommes et femmes. Au Japon, les deux genres ne sont pas traités pareil, alors qu’en Europe vous êtes beaucoup plus impliqués dans l’égalité des sexes. Chez nous, s’il y a un garçon et une fille en héros d’un manga, une femme pense qu’elle ne peut être que la fille, elle ne s’identifie pas au garçon. Mais si c’est garçon et garçon on peut imaginer être n’importe lequel des deux, on peut comprendre celui qui est de tel ou tel côté... Peut-être que c’est cela le charme des yaoi.


Est-ce qu’en dessiner sera votre prochaine étape ?
Chihiro Tamaki : Non, pour le yaoi, je préfère être lectrice. Je ne veux pas que ça soit mon travail : c’est mon plaisir et ça ne le serait plus si ça devenait mon travail.


illus WB 2
Illustration tirée de la série Walkin’ butterfly.


Vous avez déjà évoqué vouloir faire un manga historique. Avez-vous déjà des idées sur ce sujet ?
Chihiro Tamaki : En fait, je l’ai déjà fait, une histoire terminée en un quelques chapitres. C’était une petite histoire et ce n’est pas sorti en volume relié. Mais j’ai aussi écrit l’histoire de Jeanne d’Arc pour les enfants, et ça c’est sorti en librairie.


Comment est né le projet Walkin’ Butterfly ? C’est votre responsable de l’époque qui avait envie de faire une série dans le monde de la mode il me semble. Mais comment le scénario a-t-il été écrit ?
Chihiro Tamaki : kagayuzen Pour tout ce qui est scénario, je m’en suis occupée moi-même.


Depuis que vous avez fait ce manga, vous vous intéressez au milieu de la mode ? C’est pour ça que vous êtes aussi bien habillée aujourd’hui ?
Chihiro Tamaki : Oui c’est tout à fait ça. Déjà, à la base, j’aime beaucoup la mode, et j’avais essayé d’y faire plus attention à l’époque dans les magazines, aux mannequins... Ce que je porte aujourd’hui, c’est en partie une tenue traditionnelle de Kaga-yuzen, cela sert pour le kimono. Normalement, pour du Kaga-yuzen, ils ne fabriquent traditionnellement que ce genre de vêtements classiques, ils ne font pas d’autres styles. Mais ils ont fait un mélange cette fois avec un style gothic lolita, il y a eu un concours et c’est ce style qui a gagné le meilleur prix. Donc ce n’est malheureusement pas moi qui ai fabriqué ces vêtements. En fait, cette tenue coûte cher, mais ils voulaient essayer de la vendre à des gens riches d’Europe, donc n’hésitez pas à faire de la pub (rires) !


Illus WB 3 En 2008, lors de votre venue en France, vous disiez ne pas utiliser l’ordinateur pour travailler et ne rien y connaître. Depuis, on peut vous voir par exemple sur des réseaux sociaux. Pour le travail aussi vous vous y êtes mise ?
Chihiro Tamaki : Oui, je travaille maintenant à moitié à l’ordinateur, et je fais toujours une moitié à la main comme avant.


Si vous pouviez avoir accès à l’esprit d’un autre artiste pour tout comprendre de lui, comprendre son génie créatif, etc. Qui choisiriez-vous et pourquoi ?
Chihiro Tamaki : C’est une question très dure. Attendez un instant… Il y en a plein ! Et vous (rires) ? Par exemple, comme je vous le disais tout à l’heure, j’ai fait une série sur Jeanne d’Arc, et pour écrire ça, j’ai travaillé l’historique de ce personnage. Mais on ne sait pas si c’est une vraie histoire, et en plus Jeanne d’Arc n’était pas une fille mignonne dans ce qu’on raconte... Donc je voudrais bien savoir comment elle était en vrai si c’était possible.



Merci !


dédicace
Imai, l’un des personnages principaux de Fool on the rock.




Merci à Suzuka Asaoka de Nolife pour la traduction improvisée


Toutes les illustrations de l'article sont ©Chihiro Tamaki
Toutes les photos de l'article sont ©Nicolas Demay