interview Comics

Chris Malgrain

©Oniric Comics édition 2014

Les fans de comics ont déjà du croiser sur un festival le sarthois Chris Malgrain. Ce sympathique et disponible dessinateur œuvre depuis le début des années 2000 et a connu un parcours jonché de surprises, bonnes ou mauvaises. Croyant toujours en son étoile, l'artiste a pu imposer son trait hérité de John Byrne et a même travaillé avec le scénariste qui lui donna envie de faire de la bande dessinée : Stan Lee. Alors que deux albums sortaient en cette fin d'année, Vénus F. et The Formidables, nous sommes allés dans la ville des 24 heures pour questionner Chris Malgrain sur son parcours mais surtout sur sa passion.

Réalisée en lien avec les albums The Formidables T1, Vénus F.
Lieu de l'interview : Le cyber espace

interview menée
par
15 novembre 2014

Bonjour Chris Malgrain, peux-tu te présenter ?
Chris Malgrain : Bonjour à tous, je m'appelle Chris Malgrain. Je suis dessinateur de bandes dessinées depuis 1999. J'ai commencé chez Semic. Mon parcours est assez classique. J'ai débuté dans les fanzines, j'ai participé à Scarce le magazine sur les comics. A partir de là, j'ai envoyé une enveloppe avec des dessins à Scarce et je n'ai jamais eu de réponse. J'étais assez déçu. Un an après, j'ai reçu l'appel de Thierry Mornet qui venait d'intégrer l'équipe de Scarce et qui avait trouvé mon enveloppe et elle n'avait jamais été ouverte. Il m'a proposé de publier régulièrement mes dessins. Petit à petit, nous nous sommes rencontrés et avons fait le tour des festivals avec Jean-Marc Lainé aussi. Nous sommes allés à Angoulême. Puis Thierry est devenu éditeur chez Semic. Il était responsable notamment des revues pocket du type Zembla ou Kiwi. C'était parfait pour tester de jeunes auteurs, il ne prenait pas beaucoup de risques et il y avait un petit lectorat. J'ai été embauché en 1999 sur Zembla, un héros que je lisais quand j'étais gamin. J'étais super content puisqu'en janvier 2000 est sorti mon premier numéro.

Quelles sont tes influences ?
Chris Malgrain : Quand j'étais gamin, je lisais Mickey, je ne connaissais pas les auteurs mais je m'amusais à le redessiner. A 9 ans, j'ai découvert les super héros et ça a été un choc. Je me suis que c'est ça ce que je voulais faire. Le premier auteur qui me vient à l'esprit c'est John Buscema. J'avais acheté le Nova #27 paru chez Lug et il y avait Spider- Man, Silver surfer et les Fantastic Four. Il y avait du Kirby dedans mais je n'ai pas accroché tout de suite, c'est venu plus tard. John Buscema était une grosse influence pour moi puis il a été remplacé par John Byrne lorsque j'ai vu ce qu'il faisait dans Strange. Il y avait les X-Men de Claremont et de Byrne qui étaient en Terre Sauvage. C'était différent des autres comics que je lisais, l'encrage était plus fin et plus détaillé. Puis après il y a tout ce que j'ai pu voir en BD.

Quel effet cela fait-il de se voir au sommaire des aventures d'un héros que tu lisais plus jeune avec Zembla ?
Chris Malgrain : C'était de la magie ! J'ai réfléchi et lu beaucoup de bouquins sur le destin et je ne sais pas si il y a un sens à tout ce que l'on fait mais pour moi il semblerait que nos expériences viennent avec tout ce que l'on a. Aujourd'hui, tout ce que je fais a pour but de retrouver l'émerveillement de l'enfance, ce que j'ai ressenti en lisant entre 7 et 16 ans. Ce qui est rigolo c'est que lorsque je dessinais plus jeune, on me disait que j'avais un style comics américain et je me disais que travailler pour le marché franco-belge serait difficile. Du coup, je m'étais dit que le seul éditeur qui pourrait m'éditer, c'était Lug qui faisait Strange. Et Lug a été racheté par Semic, là où bizarrement j'ai débuté. C'est assez curieux. C'est pareil pour ma rencontre avec Stan Lee, j'ai l'impression qu'il y a quelque chose qui est du désir inconscient et quand le désir est très puissant, j'ai l'impression que l'on fait les rencontres qu'il faut et pas par hasard.

Puis ensuite, il y eut Alexa avec Stan Lee, c'est ça ?
Chris Malgrain : Stan Lee est mon idole au niveau du scénario et pour moi, il n'y a que lui. Avant de percer chez Semic, je ne lisais que les comics de Stan Lee et puis même quand j'ai commencé à dessiner, je rêvais de le rencontrer. En 2002, je suis allé au San Diego Comic Con avec Thierry. Lui y allait pour affaires pour Semic, et moi, j'y allais en fan-boy pour voir Stan Lee. Je voulais le remercier pour m'avoir forcé à devenir bon en anglais, être devenu prof et d'avoir ces rêves américains. Et puis, je l'ai loupé. J'ai traversé l'Atlantique pour rien. J'ai passé un bon moment quand même mais je ne l'ai pas vu. Deux ans plus tard, je suis retourné à San Diego et j'ai fait mieux, puisque je l'ai rencontré et j'ai dédicacé avec lui. Tout est arrivé lorsque l'on travaillait sur Strangers avec Thierry et Jean-Marc Lofficier et sur ce que l'on appelait le Semic-verse. Jean-Marc m'a envoyé un mail en me disant que pour mon rêve américain, l'éditeur Ibooks recherchait des auteurs de tout horizon pour faire de la SF. J'ai envoyé des planches aussitôt et j'ai eu une réponse immédiate en me disant qu'il m'embauchait ! Mes planches SF avec des décors de villes futuristes les avaient séduits ! Ils m'ont dit que ce serait l'adaptation d'une nouvelle d'Isaac Asimov mais pendant 3 mois, je n'ai pas reçu de scénario. Au bout d'un moment, ils m'ont dit que ça avait capoté. J'ai cru que j'étais maudit , que j'allais raccroché les gants. 3 mois plus tard, ils m'ont recontacté en s'excusant et m'ont proposé un autre projet. Cette fois, ce sera avec Stan Lee ! Si le projet avec Asimov avait marché, j'aurais eu un autre parcours mais je n'aurais peut être jamais rencontré Stan Lee. Cette expérience m'a beaucoup fait réfléchir par rapport à mon parcours et maintenant je sais que lorsque l'on a un échec, cela prépare le futur. Quand je me suis retrouvé plus tard en difficulté, je pense toujours à ça. Je fais un peu confiance à mon étoile !

Comment as-tu travaillé sur Alexa ?
Chris Malgrain : Je recevais l'histoire de Steven Roman qui adaptait les récits de Stan Lee. Il approuvait puis on me les envoyait. Je faisais mes planches, je les envoyais à l'éditeur qui les faisait suivre à Stan Lee qui faisait le retour. J'ai eu de la chance puisqu'il a toujours dit que c'était bien. J'ai même eu un mail de l'éditeur pour me dire que Stan Lee l'avait appelé directement pour lui qu'il avait adoré une de mes pages. nous nous sommes donc vu à San Diego en 2004 où nous avons signé ensemble un flyer, le premier numéro n'était pas encore sorti. C'était un collector. En fait, j'ai réussi à le choper la veille. Il se baladait dans un couloir du festival. Deux ans avant, j'y allais exprès pour lui et je l'ai raté. Là, j'ai pu lui dire que j'avais travaillé sur Alexa etc. Le lendemain, toute l'équipe d'Ibooks était là avec Stan Lee sur le stand, et moi petit sarthois j'étais là aussi. Cela a duré une heure et m'a permis ensuite de passer du temps avec lui et de lui dire ce que ses œuvres représentaient pour moi et avaient provoqué en moi. Il m'a écouté et m'a remercié. Cela a été le moment qui a eu le plus de sens dans ma vie. Chacun donne un sens à sa vie et tout ce que j'avais fait auparavant m'avait mené jusque là. Après, j'ai eu d'autres joies bien sûr et plus grandes encore. A ce moment là, j'étais sur un nuage.

Peu de temps après, il y a eu Les Apatrides...
Chris Malgrain : Oui, même si juste avant il y a un projet avec François Corteggiani qui s'appelait Dexter et qui n'a jamais été publié chez Semic suite au départ de Thierry Mornet. Il y a eu beaucoup de soucis pour le groupe Tournon et du coup, certains projets ne sont jamais sortis. Comme j'avais bossé avec François Corteggiani sur Dexter mais aussi sur Strangers et qu'il est devenu rédacteur en chef de Pif Gadget, il a pensé à moi pour participer au magazine. Avec mon compère Patrice Lesparre, qui était publié dans Pif, on a fait un projet de science-fiction qui s'appelle Les Apatrides. On l'a montré à François qui a aimé et la direction a suivi. Il y eut ensuite une édition chez Dante puis une ressortie en 2013 chez Indeez. Manque de pot, Indeez n'est plus dans le circuit. Il y a aussi une version américaine chez Arcana. C'est une des grosses joies que j'ai eu. Pour moi, le succès n'est pas de vendre des millions de bouquins, ce sont les grandes joies intérieures et la plénitude. Quand je suis allé pour la première fois à New-York avec ma femme, il y a deux ans, nous sommes allés dans un comic-shop et là, je vois The Rovers, le nom anglais des Apatrides. Cela a été une grande émotion. Comme quoi, on peut travailler dans un petit village près du Mans et le faire honnêtement, et tomber sur ce genre de surprise. Le succès est une relation entre moi et moi-même. Même si les Apatrides ne sont pas un immense carton, l'avoir vu sur Times Square est juste suffisant à mon bonheur. Le but d'Arcana est que l'éditeur démarche aux USA des producteurs de cinéma ou de dessins animés. Ils ont un grand catalogue et m'ont prévenu que cela pourrait prendre des années, mais si un jour, je reçois un coup de fil pour un projet d'animé autour des Apatrides, je serais ravi.

Tu as aussi participé à un livre collectif, Rocket Science, dont le but était caritatif !
Chris Malgrain : C'était pour le téléthon. J'avais toujours eu cette idée et j'ai soumis l'idée au boss d'Indeez et en fait, comme je publiais avec Oniric Comics, ma maison d'éditions associative, des petits comics nommés Rocket Science donc on a eu l'idée de regrouper le meilleur des histoires. J'ai demandé à des pointures comme Jean-Yves Mitton ou Caza de nous passer du matériel. Jean-Yves Mitton nous adonné Le Résistant et Caza a même fait trois dessins inédits. C'était des choses inimaginables de se voir publier à leur côté. On n'a pas travaillé ensemble comme un scénariste avec un dessinateur mais c'était magique.

En 2014, deux nouveaux projets sortent. Le premier est Vénus F....
Chris Malgrain : Vénus F. est un album qui m'a pris 5 ans à faire, du premier coup de crayon jusqu"au dernier. C'est un projet un peu différent de ce que j'ai fait auparavant. Ce n'est pas un comics de super héros ,ni de la science-fiction / aventure comme j'aime faire habituellement mais plutôt un projet introspectif, dans la veine de Caza et de Mœbius. C'est d'ailleurs pour ça que le style avec les petits points s'est imposé logiquement. Il y a deux histoires sans paroles pour lesquelles l'objectif est de permettre aux lecteurs de participer aussi à l'élaboration du sens de l'histoire. Il y a une trame qui paraît assez simple mais qui, avec tous les symboles que j'ai mis, amène autre chose. Il y a même des interprétations qui m'échappent aussi, probablement. J'ai pu le vérifier auprès des retours des premiers lecteurs. Ce qui m'intéresse, c'est que l'album soit un miroir pour le lecteur, qu'il lui renvoie des émotions différentes à chaque fois qu'il le lit. C'est une étude de la condition humaine, de la vie, des désirs. Il y a beaucoup de sensualité mais hormis deux cases, ce n'est pas un livre porno. Ce n'est pas le but. C'est un livre représentant la découverte de soit. Vénus vit dans une dictature fasciste et religieuse. Elle n'a pas sa place là-dedans et en incorporant un bataillon militaire, elle en profite pour s'enfuir. Elle se retrouve sur une planète où elle va se trouver elle-même. il y a de la sensualité et de la sexualité, de la liberté et de l'amour. il y a aussi une autre histoire où l'on suit un détective privé qui n'a qu'une hâte : retrouver sa femme. Seulement, lorsqu'il est auprès d'elle, il ne pense qu'à partir à l'aventure. Il ne sait jamais sur quel pied danser.

Le récit Vénus F. se caractérise par une narration différente où tu ne te sers que d’illustrations en pleine page pour faire progresser ton histoire. Est-ce difficile à faire ?
Chris Malgrain : Je voulais essayer ça. Je souhaitais que le niveau de dessin soit très abouti et c'est une déclaration d'amour à ma femme. Vénus a le visage de ma femme. Pour le corps aussi mais bon, je resterai discret là-dessus (rires). Je pouvais raconter une histoire avec dix cases par page mais ça ne m'intéressait pas trop, je préférais opter pour une fresque. J'y ai passé un temps fou. Et en plus, il n'y a pas de paroles. J'espère que je m'en suis bien tiré.

Pourquoi as-tu choisi une couverture ornée seulement du logo de Vénus F. sans aucun dessin ?
Chris Malgrain : C'est très curieux car il y avait une couverture ornée du logo de Vénus F.. L'éditeur devait la publier et leur maquettiste a eu l'idée d'une couverture sans dessin. Les éditeurs ont été surpris et ont aimé l'idée. Ils me l'ont proposée et j'ai été choqué sur le coup. C'est vrai que cela permettait de se distinguer des autres bandes dessinées avec des héroïnes sur leurs couvertures. Je me suis rangé à leur opinion. Je suis quelqu'un qui croît en ses collaborateurs et aux intuitions. Je pense que c'est le truc qu'il faut au bouquin. Au final, les gens me disent qu'elle est pas mal du tout.

Il y a ensuite un autre album : The Formidables !
Chris Malgrain : Cela sort le 7 novembre. C'est le premier tome d'une série en quatre albums. C'est du super héros pur jus qui pourrait faire penser aux Fantastic Four ou aux Avengers. C'est un hommage à mes comics préférés. Visuellement, c'est un mélange entre John Byrne, Buscema et Jean-Yves Mitton. Quand j'étais ado, j'étais un clone de John Byrne et j'ai eu envie d'y retourner. Cela se passe en 1959 car les comics de Stan Lee se passaient dans ces années-là. Cela fait penser dans la première partie à du super-héros classique, la seconde partie pose plus de réflexion. Cela parle de racisme et d'homophobie. Une des raisons pour lesquelles j'ai fait ce bouquin est quelque chose qui m'a scandalisé récemment : les images de la manifestation pour tous. Il y avait un déferlement de haine. Ils disent que ce ne sont pas des fascistes et qu'ils ne prônent pas la haine mais comment peut-on refuser le droit à quelqu'un ? Une personne qui ne pense pas comme moi, je n'irais pas défiler pour lui enlever des droits. Je trouve ça inquiétant et consternant. Surtout, que dans la société d'aujourd'hui, nous connaissons tous des homosexuels, il y en a dans nos familles. Parmi les personnages, il y a donc un homosexuel mais attention, mon histoire ne tourne pas qu'autour de ça. Cela m'importait de parler de la discrimination dans ces années-là aux USA, surtout maintenant que ça arrive en France.

Quels sont très prochains projets ?
Chris Malgrain : Il y aura le second tome des Formidables que j'ai déjà fini à moitié. Je rééditerais peut être le second tome des Apatrides chez Oniric Comics. J'ai énormément de projets. Je suis boulimique de parution, j'adore ça et j'ai envie de le partager au plus grand nombre. Il y a des périodes de vie où on n'y arrive pas. Des fois, il y a du retard. Des fois, tout arrive en même temps.

Si tu avais le pouvoir cosmique de visiter le crâne d'un autre auteur pour en comprendre son génie. Chez qui, irais-tu et pourquoi faire ?
Chris Malgrain : Ce serait bien évidemment John Byrne. J'achète les rééditions de ses œuvres et je dois avoir plus d'une centaine de TPB. C'est un type que j'aimerais comprendre. Je le suis tous les jours sur son forum et il m'interroge. Il dit des choses sensées mais il a un ego surdimensionné. Il se prend pour le centre du monde et a un avis sur tout. Il joue un peu sa victime aussi. J'aimerais être dans sa tête pour savoir ce qu'il pense vraiment et aussi savoir comment on a pu être la star des comics des années 80 et du début des 90 et après être redescendu à un point où les gens le méprisent. Savoir comment il le vit. En suivant son forum, j'ai l'impression qu'il le vit très mal. Il est un peu aigri mais sa psychologie m'interroge vraiment.

Merci Chris !

Chris Malgrain