interview Bande dessinée

Christian Lax

©Casterman édition 2008

S’il y a des valeurs sûres aujourd’hui dans le 9e art, le vétéran Christian Lax en fait assurément partie. Après avoir débuté aux côtés de F. Giroud sur des diptyques d’Aire Libre (Az’rayen, les oubliés d’Anam), l’auteur a lancé sa série d’auteur, le Choucas, qui se poursuit aujourd’hui dans Les tribulations du Choucas. Puis, en 2005, son one-shot L’aigle sans orteil l’a révélé au grand public, en raflant un maximum de prix ! (l’histoire d’un coureur du Tour de France). Aujourd’hui, il sort Pierre qui roule, dans une nouvelle collection dédiée aux polars…

Réalisée en lien avec l'album Pierre qui roule
Lieu de l'interview : Festival d'Angoulême

interview menée
par
26 mai 2008

Bonjour Christian Lax, pourriez-vous rapidement vous présenter ? Comment en êtes-vous arrivé à faire de la bande dessinée ?
Lax : Ma réponse est d'un classicisme déconcertant puisque comme tous mes petits camarades, quand j'étais môme, j'adorais dessiner et on ne m'a pas découragé, c'est ça qui est important. Après le lycée, j'ai fait les Beaux Arts à St Etienne, c'était ma région et c'était l'époque où le club de football était extraordinaire, sans violence avec une ambiance bon enfant. A la sortie des Beaux Arts, je ne me suis pas lancé directement dans la BD car les éditeurs se trouvaient soit à Paris soit en Belgique. J'ai débuté dans la publicité, en auteur freelance, mais parallèlement à ça j'avais pour objectif de faire de a BD, donc je faisais des planches dès que j'avais un peu de temps. Après, j'ai frappé à la bonne porte, mon premier titre est sorti chez Glénat car il se trouvait à Grenoble, donc pas très loin de St Etienne. J'ai fait des pages pour un magazine qui s'appelait Circus. J'ai commencé à vivre de la BD quand je suis arrivé chez Dupuis, vers 1989 ou 1990.

Tu as commencé en tant que dessinateur de Frank Giroud chez Dupuis et puis un beau jour, il y a eu le Choucas...
Lax : Le polar est un genre qui me titillait, au niveau de l'ambiance et de l'imagerie, il y a mille choses à faire. La BD, comme le cinéma, est un excellent support pour ce type de récit. J'avais des velléités pour faire du polar mais il y a un tournant dans ma vie de dessinateur qui est Azrayen. Avant celui-ci, je suis d'un classicisme absolu avec un dessin très léché voir anonyme. J'avais en moi le désir de tout changer, peut être une maturité tardive, je me suis attelé à ce virage graphique et ce nouveau dessin qui est plus expressionniste, plus rugueux, me permettait enfin de faire du polar. Le Choucas est un enfant d'Azrayen ! D'ailleurs j'ai mis en chantier le Choucas quand j'entamais le second tome d'Azrayen, je faisais les deux en parallèle.

Pourquoi passer du Choucas à ses Tribulations du Choucas ?
Lax : Il y eut une volonté après le sixième tome du Choucas de faire évoluer la maquette, parce que les couvertures se ressemblaient un peu. Elles ne racontaient rien, elles montraient juste en gros plan le Choucas sans dire où le contenu se passait. De fil en aiguille, on est venu à changer de format et donc de titre. Les tribulations donnent une impression plus large, plus voyage. Cela n'est absolument pas un changement de ton.

Tu sembles particulièrement apprécier le polar, en lis-tu beaucoup ?
Lax : Je ne suis pas un dévoreur de polar, je lis beaucoup de livres en général. Ce genre est une fracture sociale, il met le doigt sur des problèmes de société. S’il n'y avait pas de problèmes de société, il n'y aurait pas de polar. Dans le Choucas, j'ai l'impression de faire ça, ce ne sont pas des intrigues fabuleuses, je ne suis pas Agatha Christie, c'est plus une ambiance.

Et puis il y eut L'aigle sans orteils...
Lax : C'est un album important parce que d'une part, il a très bien marché, et d'autre part parce qu'il m'est cher. Je suis un cyclotouriste chevronné, je fais beaucoup de vélo. J'aime me balader, surtout en montagne. Le métier d'auteur de BD est quelque chose de sédentaire, j'ai besoin de bouger et le vélo est parfait pour ça. Depuis tout petit, je suivais le Tour de France, j'ai lu beaucoup de livres dessus. Il y a longtemps que je voulais faire quelque chose sur le vélo, donc voilà pourquoi j'ai fait L'aigle sans orteils. Je me suis documenté d'une façon quasi-journalistique, il n'y a pas de surprise à ce que cela se passe dans les Pyrénées. Je vais prochainement mettre en chantier une sorte de suite, avec le vélo en toile de fond et la course Paris-Roubaix, et de 1919 aux années 30. Cela sera publié chez Futuropolis.

Cette reconnaissance du public et de la critique, c'est quelque chose que tu pressentais avant ?
Lax : Pas forcément… Tu le cherches toujours, bien sûr, mais si on avait à chaque fois la recette du best seller, ce serait formidable. Il y eut tout de même un petit signal, j'écris à la main et je les fais lire à ma femme qui est donc ma première lectrice. Comme elle était secrétaire, elle les retape puis me donne ses impressions et là, elle a trouvé ça fort. Quand je l'ai présenté aux responsables d'Aire Libre, ils ont tout de suite « tilté » ! Je leur ai vendu le projet en une minute dans un restaurant de Lyon. En le faisant, je ne pouvais pas mesurer l'engouement que ce titre aurait eu : une dizaine de prix. En plus, c'est réédité régulièrement, c'est très encourageant !

Depuis, il y eut Amère patrie...
Lax : Je suis seulement scénariste sur cette série et c'est une chose vers laquelle j'ai envie de me tourner un peu plus. J'ai aussi un autre titre chez Aire Libre avec Jean-Claude Fournier qui a complètement remis en question son graphisme, à la couleur directe et à l'aquarelle. C'est une histoire qui se passe au Népal au XIXe siècle. Ses paysages de montagnes sont magnifiques et la série comprendra deux tomes.

Où en est Amère patrie ?
Lax : Le second tome est déjà en cours, il y a aussi d'autres petits trucs dans mes tiroirs, quelques uns où je dessine. Je fonctionne à l'affectif ou à l'amitié, il est impensable pour moi de faire quelque chose avec un inconnu. Blier était un de mes étudiants et on est restés très potes. Il voulait faire de la BD mais ne savait pas trop, donc je lui ai écris une histoire.

Et sinon, où en est le « dessinateur » Lax ?
Lax : Je viens de finir un Tribulations du Choucas, j'ai d'ailleurs le titre, ça se passera en Afrique et je n'ai rien trouvé de mieux que La brousse. C'est souvent au travers de mes voyages que me vient l'inspiration : je fais des croquis, des ébauches. Cela déclenche souvent le désir de raconter des histoires.

D'autres projets ?
Lax : Je participe à une aventure éditoriale qui m'excite beaucoup, Casterman s'est associé avec Rivages/Noir pour faire des adaptations de leurs romans en bande dessinée. J'ai donc illustré au sein de cette collection un roman new yorkais de Donald Westlake, cela fait 86 pages et s'appelle Pierre qui roule. J'aime bien participer à ce genre d'aventures, j'ai été l'un des premiers chez Aire Libre et j'ai grandi avec eux.

Si tu étais un bédien, quelles seraient les BD que tu aurais envie de conseiller aux terriens ?
Lax : C'est une question difficile car on va oublier plein de gens. Dans les contemporains, j'aime beaucoup le travail de Jean Philippe Stassen, c'est très personnel, très bien raconté. Il y a aussi des titres comme Silence de Gomez qui sont des monuments ou La marque jaune. Cosey aussi. J'en oublie plein.

Si tu avais le pouvoir cosmique de te téléporter dans le crâne d'un autre auteur, qui choisirais-tu ?
Lax : Il y a quelques géants quand même. Je dirais Hergé car il s'inscrit dans l'histoire de l'art, dans le dessin comme dans l'image et ce, bien au-delà du monde de la bande dessinée. Plus proche de nous, Jean Giraud, il sait tout faire, il n'a reculé devant aucune expérience graphique, il n'a peur de rien, il est un virtuose, il est intelligent, efficace, il m'impressionne réellement.

Merci beaucoup !