interview Bande dessinée

Claude Guth

©Soleil édition 2004

La plupart du temps, on reconnaît la réussite d'une BD au talent du dessinateur ou à l'imagination du scénariste. Mais quid du coloriste, ce travailleur de l'ombre méconnu ? Profitant de la sortie du dernier Trolls de Troy (Lire la chronique), les bédiens ont interviewé Claude Guth, également coloriste sur Lanfeust, Vauriens, Le pouvoir des innocents, Chinaman, L'esprit de Warren et scénariste de Pitchi Poï. Militons pour le mouvement de reconnaissance des coloristes !

Réalisée en lien avec l'album Trolls de Troy T7
Lieu de l'interview : le cyber-espace

interview menée
par
4 mai 2004

Claude, qu'est-ce qui t'a poussé à te spécialiser dans la colorisation de BD ?
Claude Guth : Les Assurances ! J'étais rédacteur, mais j'avais l'habitude de dessiner sur le coin des feuilles. Un jour, on m'a proposé de faire des illustrations dans le journal interne de la société, ce que j'ai bien évidemment accepté. Un peu plus tard, j'ai changé de poste, j'ai intégré le service marketing et on me confiait la réalisation de tous les documents publicitaires de la boîte. C'était un boulot qui évidemment me convenait mieux, car bien plus créatif.
A cette époque, j'ai aussi fait la connaissance de Roger Seiter qui entre autres est le scénariste de la série Fog chez Casterman et qui s'occupait alors d'une association de bédéphiles et d'illustrateurs amateurs, Objectif Bulles. Je dessinais alors des gags avec une cigogne livreuse de bébés. Et puis un jour j'ai eu l'opportunité de mettre en couleur une BD historique régionale. J'acceptais, et là c'était foutu, étant encore petit, je tombais dans la marmite couleur, sans pouvoir en ressortir.

Tu avais alors quel âge ?
Claude Guth : C'était en 1988, j'avais alors 26 ans. J'ai ainsi collaboré avec Roger Seiter comme coloriste sur quatre albums dont un, Simplicissimus sur lequel j'ai également co-signé le dessin. Après un bref passage dans une boîte de pub, j'ai eu l'opportunité de reprendre des études à l'école des Arts Déco de Strasbourg. À cette époque, j'ai rencontré également Luc Brunschwig. C'est lui qui m'a présenté Laurent Cagniat et là, ma carrière de coloriste a vraiment démarré avec Vauriens

Comment se gère le travail de coloriste ? Es-tu "piloté" par les dessinateurs ou est-ce toi qui leur fait des propositions ? Quelle est ta marge de liberté, ton cahier des charges ? Est-ce différent selon les auteurs ?
Claude Guth : S'il fait appel à un coloriste, le dessinateur doit faire le deuil de sa vision personnelle des couleurs, et franchement je cesserais une collaboration s'il n'en était pas ainsi. J'ai une totale liberté sur mes choix d'ambiances et d'éclairage. Je pense que mes couleurs doivent être au service de la narration et de la lisibilité. Tant que ces principes sont respectés, il n'y a aucune raison pour que le dessinateur intervienne. Mais il nous arrive bien sûr de discuter pour régler tel ou tel problème, pour faire un point météo, ou pour préciser une teinte pour un personnage ou un objet particulier.

Tu travailles uniquement en PAO ? Avec quels outils ? Est-ce plus rapide, plus puissant ? As-tu réalisé la couleur d'autres albums avec d'autres outils avant de passer sur informatique ?
Claude Guth : Bien au contraire, je travaille uniquement à la main, sur gris ou bleus, vieux procédé de mise en couleur, mais j'utilise aussi l'ordi pour rajouter des effets ou corriger des erreurs.

Tu scénarises Pitchi Poï depuis le second tome... Mais n'as-tu pas envie de te mettre au dessin ? N'as-tu pas envie d'être seul aux commandes d'une BD ?
Claude Guth : Tout d'abord une petite précision, le scénario de Pitchi Poï est le fruit d'une très étroite collaboration avec Laurent, et cela depuis le début de cette aventure. Quant au dessin, je suis trop laborieux, je charbonne trop, je mettrais beaucoup trop de temps pour réaliser un album et en plus il serait maladroit. J'ai maintenant assez de recul pour faire cette analyse, même si j'ai eu la chance de passer par l'atelier d'illustration de Claude Lapointe à l'école des arts décoratifs de Strasbourg. De toute façon, toutes les choses que j'ai pu apprendre à l'école sur la mise en scène, la narration, la lisibilité etc., nourrissent quotidiennement mon travail. Je pense avoir joué un rôle graphique important pour des illustrations qui sont à l'origine de Pitchi Poï. Mais dans l'album, c'est Laurent qui dessine. Je fais tout de même quelques décors de temps en temps.
Cela dit, mon travail dans Pitchi Poï est assez proche de l'illustration. Je travaille sur l'encrage de Laurent, en couleur directe. Cette technique me permet de nuancer les plans, je rehausse ou j'atténue les encrages pour privilégier avant toute chose la lisibilité. Avec cette technique, je n'ai pas le droit à l'erreur, mais c'est justement ce que je recherche, car le fait de se mettre en danger comme cela est extrêmement stimulant. Cela t'oblige à faire les choix essentiels, tu es obligé de donner le meilleur de toi-même. C'est tout le contraire du travail à l'ordinateur où on peut sans cesse transformer, modifier, effacer, toutes ces possibilités entraîneraient sûrement chez moi une certaine paresse créative. Mais entendons-nous bien, je n'ai rien contre l'ordinateur, c'est un outil formidable. Sur Pitchi Poï aussi, nous utilisons l'ordinateur, pour les bulles par exemple, car nos planches sont muettes. Cette manière de procéder est très confortable, nous pouvons modifier les dialogues jusqu'au dernier moment. Il m'arrive de dessiner tout de même, de faire des études de décors, ce qui a été le cas dans ce tome 2, pour les villages d'Angel et de Désiré.

Nous avons eu écho de la faible rémunération que rapporte le travail de coloriste. Tu confirmes ?
Claude Guth : À l'exception de ma collaboration avec Olivier Taduc aux Humano, j'ai toujours signé des contrats d'édition qui me permettaient de toucher 1% du prix de vente hors taxe des albums, ceci bien sûr après absorption des avances qui sont versées à la livraison des planches. Évidemment dans le cas de Lanfeust, cela peut devenir intéressant ! Pour Pitchi Poï, c'est différent bien sûr, nous nous partageons les droits d'auteur.

Les couleurs varient-elles en fonction du public auquel elles s'adressent ou plutôt en fonction du genre dans lequel elles s'inscrivent ?
Claude Guth : Je ne me suis jamais posé ce genre de question, je travaille à l'instinct et si les couleurs varient, c'est sûrement pour des raisons narratives, ou parce que le style de dessin est différent. Par exemple, les dessins de Jean-Louis Mourier (NDLR : dessinateur de Trolls de Troy) m'obligent à utiliser des teintes bien plus soutenues que pour Didier Tarquin (NDLR : dessinateur de Lanfeust de Troy), car son trait est puissant, ses aplats noirs sont souvent des ombres portées très fortes et il y en a autant dans les premiers plans que dans les arrières plans. Mon premier souci dans ces cas-là, c'est la lisibilité du dessin.

Tu travailles beaucoup avec Arleston et Brunschwig. Serais-tu du genre fidèle ?
Claude Guth : Bin justement, j'aurais voulu l'être, mais j'ai dû abandonner mes collaborations avec Luc, les délais de parution de ses albums étant très longs. J'ai alors pris d'autres engagements. Finalement Laurent Hirn s'est mis à la couleur avec bonheur, je dois le dire, tout comme Stéphane Servain. Je dois toute ma carrière à Luc. C'est grâce à mes collaborations avec lui sur Vauriens, l'Esprit de Warren, Le pouvoir des innocents, que je me suis fait remarquer dans la profession. Tous ces auteurs sont des techniciens de l'image, ils ont un sens de la narration poussé à l'extrême, et avec eux j'ai su mettre en application les théories de l'école des arts déco.

Avec qui d'autre souhaiterais-tu (vas-tu ?) travailler ? Quels sont tes projets ?
Claude Guth : J'aurais adoré mettre mes couleurs au service de Michel Plessix dans Le vent dans les saules. Mais aujourd'hui, je n'ai pas d'autres projets que ceux qui m'occupent actuellement 10 heures par jour toute l'année. Pour l'instant, Arleston, Mourier et Tarquin me font toujours confiance et puis il y a Pitchi Poï, bien sûr, qui avec Laurent Cagniat occupe le reste de mon temps. Nous avons tous les deux beaucoup de chance d'avoir réussi à mettre ce petit univers en place, il est pour nous une véritable bouffée d'oxygène, source de fou rire et de bonne humeur. Et même si je n'ai que très peu l'occasion de dessiner, c'est aussi pour la couleur une démarche totalement différente, très agréable à réaliser.

Quels sont aujourd'hui les autres coloristes que tu admires ? T'arrive-il de rester en admiration devant la colorisation d'un(e) autre ?
Claude Guth : Oui bien sûr, en particulier Gibrat que j'ai eu la chance de rencontrer un jour lors d'un dîner à Strasbourg et Loïc Jouannigot. Bruno Garcia, Frédéric Besson pour leur maîtrise de l'outil informatique.

Si tu étais un bédien, quelles seraient les BD que tu aimerais faire découvrir aux terriens ?
Claude Guth : Cette question est difficile, toutefois, j'ai vraiment adoré Le Sursis, de Gibrat et dans un autre genre, Rural ! d'Etienne Davodeau.

Autre manière de poser la question : si tu devais passer le restant de tes jours sur une île déserte, quelles seraient les 3 séries/BD que tu aimerais emporter ?
Claude Guth : Là, c'est différent, j'emporterais avec moi les séries qui ont bercée ma jeunesse et que je relis encore régulièrement. Je pense à Astérix, Tintin et Spirou, (ceux de Franquin), rien de bien original c'est vrai, mais ma culture BD est Franco-Belge. Si j'avais encore de la place dans la male, je rajouterais les oeuvres de Tillieux et Macherot.

Si tu avais le pouvoir cosmique de te téléporter dans le crâne d'un autre auteur de BD, chez qui aurais-tu élu domicile ?
Claude Guth : Uderzo, sûrement !

Merci Claude !