interview Comics

Derf Backderf

©Çà et là édition 2016

Après nous avoir fasciné avec Mon ami Dahmer et enthousiasmé avec Punk Rock & Mobile Homes, l'américain Derf Backderf s'est inspiré (une fois encore) de sa propre existence pour imaginer Trashed, une histoire mettant en scène des éboueurs. N'hésitant pas à dévoiler l'envers du décor, il nous livre un regard acide sur une société qui n'a de cesse de multiplier les déchets sans penser aux échos futurs. Intelligent, drôle et instructif, ce nouveau récit nous a tellement plu que nous guettions la venue de Derf Backderf pour lui poser quelques questions.

Réalisée en lien avec les albums Trashed, Punk Rock & mobile homes, Mon ami Dahmer
Lieu de l'interview : Festival d'Angoulême

interview menée
par
11 avril 2016

La traduction de cette interview a été réalisée par Alain Delaplace.

Derf Backderf Peux-tu te présenter et nous dire comment tu as commencé à travailler dans l'industrie des comics ?
Derf Backderf : Je m'appelle Derf et... par où commencer ? J'ai commencé à dessiner à la fac et je n'ai pas arrêté depuis.

Quelles ont été tes influences, artistiquement parlant ?
Derf Backderf : Oulah. Tu sais, je ne pense que je n'en ai plus vraiment, des influences, depuis le temps que je fais ce métier. Peut-être que ce que je fais est nul, ou pas, mais en tous cas personne ne dessine ou n'écrit comme moi. Et je suis très fier de ça ! [rires] Mais à mes tout débuts, je dirais Jack Kirby, Robert Crumb... Beaucoup d'artistes français, en vérité : Mœbius, Tardi... En fait, tout ce qui me tombait sous les yeux, à l'époque. Un peu comme tout le monde.

Ton dernier album, en France, c'est Trashed. Peux-tu le présenter à nos lecteurs ?
Derf Backderf : Oui. Trashedparle d'éboueurs, de leur quotidien et de la manière dont ils gèrent toutes ces ordures dégoûtantes que l'on jette chaque jour. C'est une comédie et ça parle de jeunes gens cherchant à trouver leur voie en ce monde et qui sont, pour ainsi dire, foutus d'avance. Voilà, en gros, de quoi ça parle. Il y a de supers personnages et aussi, je pense, des histoires qui sont très drôles. Et les gens ont l'air d'avoir bien apprécié l'album.

Dans la postface, tu dis avoir exercé cette profession pendant une année...
Derf Backderf : Oui, oui, en effet. J'ai été éboueur, quand j'étais jeune et tout ça est basé sur mon expérience personnelle. C'est pas autobiographique mais c'est inspiré de choses qui me sont arrivées.

Une des choses que j'ai retrouvées dans tes différents titres est que tu t'inspires beaucoup, en effet, de ta propre expérience pour tes histoires. Est-ce qu'il te reste encore des choses intéressantes à partager avec tes lecteurs ?
Derf Backderf : En réalité, je suis quelqu'un de très ennuyeux. J'ai réussi à en tirer trois comics et je ne pense pas que je vais réussir à en faire un autre. [rires] Maintenant, je ne vais plus faire que de la fiction. Mais oui, j'aime bien me baser sur ce qui m'est arrivé car cela permet d'avoir un nombre incroyable de détails. Ce qu'on voit, ce qu'on entend... Je trouve que l'écriture en est d'autant plus facilitée.

Y a-t-il des choses personnelles que tu n'as pas souhaité mettre dans TRASHED, pour quelle que raison que ce soit ?
Derf Backderf : Non, pas vraiment. Mon principal souci a été de réactualiser l'histoire. Ça parle de choses qui me sont arrivées il y a longtemps et il m'a fallu dépoussiérer le contexte. J'avais déjà fait Mon ami Dahmer et Trashedse déroule pendant la même année... Je ne peux pas continuer à écrire des choses se Derf Backderf passant en 1980; voilà pourquoi j'ai dû mettre ça sous forme de fiction.

À la fin de l'album, tu nous présentes le parcours actuel des ordures et certaines choses hallucinantes. Tu utilises un procédé très proche de la BD reportage pour cela. Aurais-tu envie de réaliser un tel type de comics à l'avenir ? Si oui, sur quel sujet ?
Derf Backderf : Oh nonononononon pas du tout ! J'ai travaillé pendant de nombreuses pour des journaux et je me suis retrouvé à faire de nombreuses illustrations de ce genre. J'étais plus jeune et j'ai fait ça pour des journaux américains, juste avant de me mettre à faire des comics. Je suis d'ailleurs diplômé en journalisme, je n'ai pas de formation artistique. Donc, pour moi, raconter des histoires sous cette forme est très naturel mais non, je n'ai pas envie de faire ça. Pas vraiment.

Comment trouves-tu l'équilibre dans tes comics entre l'humour et les aspects parfois un peu sordides ?
Derf Backderf : Mon ami Dahmer est très sombre, cela dit c'est vrai qu'il y a de l'humour, c'est vrai. Je dirais que c'est instinctif, ça fait partie du métier d'auteur. Je ne sais pas vraiment comment je fais ça. Trashed est évidemment beaucoup plus drôle, c'est une comédie. En tout cas je m'efforce de trouver cet équilibre.

Va-t-on voir le Baron revenir, à un moment ?
Derf Backderf : Oui, il va revenir. Je suis actuellement en train d'écrire de nouvelles histoires du Baron.

Et à quoi peut-on s'attendre ?
Derf Backderf : Tu sais, je ne sais pas vraiment où je vais aller avec ces nouvelles aventures. Mais c'est une bonne question. Je viens juste de m'y mettre et on verra bien. C'est un personnage très marrant.

Quand est-ce que tu penses que ça arrivera chez nous, en France ?
Derf Backderf : Qui sait ?

L'année prochaine ?
Derf Backderf : Aaaaah... Pour le moment, je mets les planches en ligne pour les gens puissent les lire. C'est bien entendu en anglais mais les lecteurs français y ont donc déjà accès, gratuitement. Mais ça sortira un jour en librairie.

Derf Backderf Tu as abordé des thèmes très différents, dans tes précédents albums. Quel sera le prochain ?
Derf Backderf : Il faut que j'en trouve un. Je suis ici pour un moment, en France, et je vais passer pas mal de temps en train et je vais sûrement en profiter pour réfléchir à la question. Mais je pense que la prochain histoire sera probablement sur un thème un peu plus sérieux.

Une histoire de trains [NDR : Derf Backderf a passé plusieurs semaines en France en voyageant en train] ?
Derf Backderf : [rires] Qui sait ? Peut-être qu'un truc dingue va se passer et j'en ferai ma prochaine histoire. Mais, non, je ne sais pas.

Quel est, apparemment, le le titre préféré de tes lecteurs, parmi tous ceux que tu as publiés ?
Derf Backderf : Oh, mon dieu. Aux Etats-Unis ou bien ici ?

Les deux ?
Derf Backderf : Les deux [rires]. Mon ami Dahmer est celui qui marche le mieux. Il semble que c'est celui que tout le monde lit en premier, ce qui me va très bien. Tu sais, j'ai été très agréablement surpris du fait que les gens aient l'air d'apprécier le Baron [NDR : dans Punk Rock & Mobile homes] et ce pour différentes raisons. C'est un peu comme un rêve éveillé.

Au début de cette interview, tu as cité des gens comme Jack Kirby, parmi tes influences...
Derf Backderf : Je ne peux pas dessiner comme eux ! Ils m'ont néanmoins inspiré.

C'est évident que ton style graphique et tes histoires sont loin du mainstream mais est-ce que cela te dirait néanmoins de travailler, justement, sur des titres mainstream ?
Derf Backderf : Je n'ai pas l'air de les intéresser le moins du monde. Mais je pense que j'écrirais un super Batman, si on me demandait de le faire. Ce serait un truc complètement dingue mais voilà, on ne m'a rien demandé. Sinon, non, je ne suis pas vraiment intéressé.

Que penses-tu de l'évolution de l'industrie des comics ?
Derf Backderf : Où ça ? Aux USA ?

Oui.
Derf Backderf : C'est en train de changer. Les super-héros ont l'air de s'effacer devant d'autres titres et c'est très intéressant...

Derf Backderf Plus de risques, plus de succès ?
Derf Backderf : Je ne sais pas. Les Etats-Unis, c'est bizarre. Sur plein de plans [rires] mais en particulier sur les comics. Traditionnellement, ça a toujours été des hommes qui lisaient les comics, genre des mecs de 40 ans, et ce depuis les trente dernières années. Et, aujourd'hui, ça commence à changer car de plus en plus de filles et de femmes lisent des comics. Elles ne lisent pas de comics mainstream, elles lisent plutôt mon genre de comics. C'est vraiment une époque formidable pour ceux qui travaillent dans ce milieu car on voit émerger une quantité incroyable d’œuvres de qualité. Je n'ai jamais vu autant de nouveaux créateurs – ils ont tous 21 ou 22 ans – fournir un tel travail. C'est fabuleux. On commence enfin à rattraper ce qui s'est fait en Europe depuis les 50 dernières années.

Est-ce que tu sais si tes œuvres vont être un jour adaptées en film ou en série ? Je pense notamment à Mon Ami Dahmer.
Derf Backderf : Oui, ils sont en train de boucler le casting en ce moment même. Donc ça ce sera un film et je discute aussi en parallèle avec un réalisateur pour adapter Trashed sous la forme d'une série comme celles qu'on peut voir sur Amazon. Peut-être une dizaine d'épisodes, disponibles en streaming. Ça pourrait être sympa, ça aussi, non ?

Et tu participes activement à ces adaptations ?
Derf Backderf : Pas sur Mon ami Dahmer. Ils ont juste repris le livre et ils vont en faire ce qu'ils veulent. James Franco est impliqué dans le projet, a priori.

C'est peut-être un de tes fans ?
Derf Backderf : C'est assez bizarre. C'est une oeuvre tellement personnelle et, pourtant, je l'ai confiée à quelqu'un d'autre. Mais j'ai dit au réalisateur « Le livre est exactement ce que je souhaitais en faire, au mot près. Si tu te foires, tout le monde dira que le film est nul mais que le bouquin est génial. » donc c'est lui qui a la pression. Mais, en tous cas, je serai plus impliqué dans l'adaptation de Trashed. J'espère pouvoir écrire cette adaptation.

Si tu avais la possibilité de visiter le crâne d'une personne célèbre, passée ou présente, afin de comprendre son art, ses techniques ou simplement sa vision du monde, qui choisirais-tu et pourquoi ?
Derf Backderf : Bon sang ! Allez, je vais dire Kirby. J'aimerais bien passer une journée avec Jack Kirby. Juste pour le regarder travailler et observer comment fonctionne son esprit. Je pense que ce serait formidable. J'aurais aimé pouvoir le faire parce qu'à l'époque, les gamins venaient le voir et lui il les faisait entrer pour regarder comment il travaillait. Je ne l'ai pas fait et je le regrette.

Merci Derf !


Derf Backderf