interview Comics

Dustin Nguyen

©Urban Comics édition 2016

Travaillant depuis des années chez DC Comics, Dustin Nguyen a eu le loisir de travailler maintes et maintes fois sur le super-héros le plus populaire de l'éditeur : Batman. À travers des récits très différents, l'artiste a toujours fait évolué son trait pour offrir dernièrement un visuel qu'il colorise lui-même à l'aquarelle. Depuis peu, le dessinateur a accepté de rejoindre Jeff Lemire sur Descender, une série de science-fiction parue aux U.S.A. chez Image Comics et en France chez Urban Comics. Éminemment talentueux et outrageusement sympathique, Dustin Nguyen a accepté de répondre à nos questions alors que son esprit était encore embrumé par quelques boissons angoumoises.

Réalisée en lien avec les albums Descender T1, Paul Dini présente Batman T3, Batman - Little Gotham
Lieu de l'interview : Festival d'Angoulême

interview menée
par
12 mars 2016

La traduction de cette interview a été réalisée par Alain Delaplace.

Peux-tu te présenter et nous dire comment tu as commencé à travailler dans l'industrie des comics ?
Dustin Nguyen : Je m'appelle Dustin Nguyen. J'ai commencé chez Wildstorm Productions qui a fini par rejoindre DC Comics. Le premier projet sur lequel j'ai travaillé était Jet. C'était une série avec Gen-Active et dont le personnage principal s'appelait Jet et je travaillais alors avec Andy Lanning et Dan Abnett. Sur Jet,, j'ai aussi travaillé avec Derek Fridolfs et on s'est de nouveau retrouvés à travailler ensemble, plus tard, sur Little Gotham. Tout ça pour dire qu'on se connait depuis un bail : Jet, c'était en 2000 ! Puis je suis passé sur Wildcats et, après, ça a été Superman, Batman, Batman, Batman, Batman... [rires] Et aujourd'hui, Descender !

Dustin Nguyen Et Little Gotham !
Dustin Nguyen : Oui. Là, je suis sur Descender, une série publiée par Image Comics aux USA et par Urban Comics, en France.

Quelles ont été tes influences, artistiquement parlant ?
Dustin Nguyen : Il y en a beaucoup et on les retrouve dans mon dessin, aujourd'hui. Il y a évidemment Mike Mignola, Jon J Muth, Kent Williams... C'éest par leur biais que j'ai découvert la peinture, les dessins peints à la main... Et c'est très fun. J'ai grandi en lisant plein de Métal Hurlant. Je crois que j'étais trop jeune pour vraiment prêter attention aux noms des artistes mais, en tous cas, j'étais fasciné par le style des comics à l'européenne. Et on peut le voir aujourd'hui, dans Descender : les dessins ont été influencés par Métal Hurlant. La façon dont les cases sont exécutées, la façon dont elles sont peintes. D'infimes nuances qui... Je laisse plein de petites imperfections ici et là, plein de de petites choses incongrues. Je ne dirais pas que je les laisse là volontairement mais c'est vrai que je m'efforce de ne pas rechercher la perfection en tous points. Pour moi, ça permet de conférer à l'ensemble un véritable aspect « fait main ». Mais oui, beaucoup d'influences. Et de tout le monde, de Miyazaki à Samura – le type qui fait Blade of the Immortal, une super série – et Jim Lee, même, a aussi eu une grosse influence sur moi de par son amour des comics. Il a toujours eu des opportunités de faire autre chose que des comics mais je pense qu'il aime trop le médium. Moi, j'adore les comics. On me demande constamment « Que dirais-tu d'une série animée autour de Little Gotham ? » ou bien si Descender pourrait faire l'objet d'une adaptation au cinéma mais moi, je me contente des comics.

Ton parcours est si long qu'il va être difficile de choisir parmi toute ta production. Commençons par la plus récente pour les lecteurs français : Descender. Peux-tu nous dire de quoi il s'agit ?
Dustin Nguyen : Descender parle d'un enfant robot. Il est conscient d'être un robot mais il se trouve qu'il est aussi le dernier robot. Quelque chose d'énorme s'est produit et maintenant, tout le monde déteste les robots. Ça se déroule dans un gigantesqueDustin Nguyen univers ; Jeff a développé tous ces mondes différents, on y a travaillé tous les deux mais, au bout du compte, l'histoire est celle d'un petit garçon. C'est une grande épopée mais elle n'est pas si grande puisqu'au final, c'est centré sur les personnages même et en particulier Tim 21, notre garçon-robot.

On ne s'attendait pas te voir sur un récit comme Descender et pourtant ça fonctionne très bien. Avais-tu certaines craintes avant de te lancer dans le projet ?
Dustin Nguyen : Pas vraiment. Le truc, c'est que j'ai toujours voulu dessiner Batman. Les planches que j'avais faites et que je montrais aux gens afin de percer, c'était des dessins de Batman. Mais sorti de Batman, j'ai pas vraiment envie de dessiner autre chose, comme super-héros. Je ne suis pas très bon sur les série de super-héros. Les séries mainstream, c'est pas mon truc donc oui, pouvoir faire Descender, c'est tombé pile au bon moment. J'avais envie de travailler sur une série creator-owned sur laquelle je pourrais m'amuser et dessiner ce dont j'ai envie... Et j'adore dessiner des robots ! Même dans Little Gotham, il y a une histoire avec un robot géant. Dans ma première histoire avec Batman, aussi : Batman surgit avec une super armure robotisée dont on a même fait un jouet. J'ai toujours été fasciné par le fait de dessiner des choses hors du commun, des trucs qu'on ne voit pas dans la vie de tous les jours. Autant j'aime lire des séries comme Daredevil ou des séries policières, autant je suis pas très bon quand il faut dessiner le quotidien. C'est plus amusant pour moi d'imaginer les choses et avec Descender, je peux imaginer tout et n'importe quoi ! Souvent, ça se réduit à moi, dessinant quelque chose que Jeff trouve cool. Si c'est cool, je suis content. Je ne vais pas vraiment chercher plus loin.

J'apprécie particulièrement tes dessins dès lors que tu te charges toi-même des couleurs. Ça apporte un réel plus à l'ensemble.
Dustin Nguyen : Oh, merci.

Dustin Nguyen Peu le gens le savent mais tu es également un très bon coloriste.
Dustin Nguyen : Je ne suis pas non plus au courant. [rires] Je pense que c'est en partie dû au fait que l'aquarelle me simplifie la tâche. J'ai essayé de coloriser un comics entier avec Photoshop mais il y a tant de choses à respecter. C'est facile de coloriser une pin-up ou bien une couverture mais coloriser un comics entier, de la page un à la page vingt ? À tous les coloristes, là, dehors : je vous tire mon chapeau ! [rires] Je n'ai pas la rigueur nécessaire, pour ça. Mais avec l'aquarelle, je sens que l'outil me simplifie la tâche. J'ai une palette de couleurs limitée. Parfois, quand t'as trop de possibilités, ça complique l'affaire.

J'ajouterais que ta palette de couleurs a quelque chose de plus européen qu'américain.
Dustin Nguyen : Peut-être, oui. J'ai une palette très Metal Hurlant [rires] C'est comme les vieux Mœbius ou Corben. Mais il y a quelque chose dans le mariage des couleurs avec la feuille de papier qui est là, juste devant toi. Avec le digital... Si je décide que quelque chose sera blanc, ça le restera, il n'y aura rien du tout, tu vois ? Mais... C'est difficile à expliquer. Je n'arrive pas vraiment à expliquer ce que je fais.

Quels sont les titres que l'on peut lire et que tu as illustrés, sur Batman ?
Dustin Nguyen : La première fois, ça a été sur As the Crow Flies avec Judd Winick puis, après ça, j'ai fait Superman/Batman. Ça, c'était avec Alan Burnett et je crois que ça a été une des très rares incursions d'Alan dans l'univers des comics. Alan écrit pour les séries animées Superman. Son truc, à lui, c'est l'animation et rien que ça. Pour moi, ça a été un très grand honneur de travailler avec Alan là-dessus, vu qu'il ne fait quasiment jamais de comics. Et après, je suis parti sur Detective Comics avec Paul Dini. J'ai fait ça pendant un an, peut-être un an et demi...

L'ultime album sera publié en février, en France.
Dustin Nguyen : Oh ? Cool ! Après, on nous a confié une série intitulée Streets of Gotham. C'était marrant parce qu'après notre run sur Detective, on nous a dit « Dustin NguyenVous avez trois possibilités : Paul et toi pouvait faire une série intitulée Streets of Gotham qui traitera de Batman, de ses aventures, etc » ce à quoi on a répondu « Ok, quoi d'autre ?» alors ils ont poursuivi « On veut faire Batwoman.» et moi je leur répond « Ok mais je suis pas très bon quand il s'agit de dessiner Batwoman, j'ai du mal avec elle. », « Ou bien vous pouvez essayer – mais on ne vous promet rien – de pitcher Little Gotham. » Alors moi, je me suis dit « Je vais pitcher Little Gotham et travailler avec Paul Dini ! » [rires] Je me suis donc mis à travailler avec Paul Dini pour essayer de lancer Little Gotham. Au début, il disait « Non, non, je vois pas quoi en faire » et là, DC Digital est arrivé. Et ce que fait DC Digital, c'est que tu peux leur donner une histoire qui fait dix pages seulement et hop, ils te mettent ça en ligne. Pas de souci avec le nombre d'impressions. Ça permet de tester les histoires et les séries puisque, si ça marche pas, t'as pas à t'en soucier. Alors on s'y est mis comme ça et la première histoire – celle d'Halloween – est sortie. Plus tard, alors qu'on sortait l'histoire de Noël, on s'est retrouvés dans un bar et je discutais avec l'éditeur qui me dit « Au départ, on était parti sur des histoires de dix pages chacune » – ils en avaient commandé douze – « mais est-ce que tu pourrais en faire plus ? ». Moi : « Oui, bien sûr ! » « Est-ce que tu peux en faire deux par mois ? ». Là, je me dis « Wow ! » mais comme je buvais, j'ai bien entendu répondu « Bien sûr ! Aucun problème ! » [rires] Puis je me suis dit « Oh merde, ça fait vingt pages illustrées au pinceau, chaque mois ! Bon, ben je suppose qu'il va falloir le faire. » On est donc passés de 12 à 24 numéros dans l'année.

Peut-on espérer une suite à Little Gotham ?
Dustin Nguyen : Oui, j'adorerais mais, tu comprends, ça dépend du planning. On en a parlé et, si on le fait, on évitera de réutiliser le principe du calendrier, pour les histoires. On trouvera une toute autre façon de faire et on évitera de se répéter. Voilà, on n'a pas particulièrement envie de refaire le coup du calendrier, on veut quelque chose de spécial.

Tu as bâti ta carrière chez DC Comics et tu te lances dernièrement avec Jeff chez Image. N'as-tu pas eu envie de réaliser quelques titres chez Marvel ?
Dustin Nguyen : En fait, j'ai réalisé quelques couvertures pour Marvel, ici et là. J'ai grandi en lisant les revues Marvel, des trucs comme Power Pack...

Et ils ne sont jamais venus te voir pour te proposer quelque chose ?
Dustin Nguyen : En vérité, si. Mais j'ai toujours eu une clause d'exclusivité avec DC et mon contrat a couru sur treize ans. Donc, une fois que mon contrat est arrivé à terme, j'ai couru chez Image. [rires] C'est pour ça que tu ne peux trouver que quelques couvertures de moi, chez Marvel. Dustin NguyenC'est tout ce que j'ai trouvé le temps de faire. Mais après, j'étais déjà engagé avec Jeff, sur Descender. Descender, c'est déjà plus de 20 pages mensuelles illustrées au pinceau donc je n'ai pas de temps pour autre chose. Parfois, j'en oublie même que j'ai des enfants.

C'est comment, de travailler avec Jeff ?
Dustin Nguyen : C'est génial ! Ce que je veux dire, c'est que jamais je n'aurais pensé avoir la chance de pouvoir finir sur une série sur laquelle j'aurais travaillé avec un auteur avec lequel je me sentirais à l'aise. Travailler avec Jeff, c'est presque comme de ne pas travailler. On ne se voit que lors des conventions, on se téléphone de temps en temps, juste histoire de se dire « Hé ! Comment ça va ? » ou bien encore il m'envoie des textos – on s'envoie des blagues par textos – mais en tous cas, oui, ça n'exige aucun effort. Il écrit les histoires, je les dessine et c'est fini. C'est très organique. C'est aussi très difficile à expliquer sans donner l'impression que je me vante du côté simple et facile de ma propre vie ! [rires] Non, vraiment, on n'y met aucun effort. On parle brièvement de ce que l'on veut faire puis, quand j'ai le script, je comprends tout de suite ce qu'il veut. Y'a plein de choses qui n'ont pas besoin d'être précisées. Je sais exactement quel rythme il souhaite donner à l'histoire, comment les émotions doivent être représentées... Pour beaucoup, cela vient du fait que l'on a créé ces personnages de zéro et qu'on les connait bien et ce à tout moment. Arrivé au numéro 11 de la série, certains de nos personnages ont grandi et on a grandi avec eux donc on sait comment ils vont agir et se comporter. C'est comme s'il n'y avait pas besoin d'en discuter. Donc, oui, c'est ça, ça se fait tout seul. Jeff est actuellement sur le numéro 15 et moi je termine le 11. C'est fun. Et c'est probablement la meilleure chose qui me soit jamais arrivée.

Ton style a considérablement évolué au fur et à mesure du temps. Comment le décrirais-tu, aujourd'hui ?
Dustin Nguyen : Je pense juste que je suis devenu moins nul que je ne l'étais ! [rires] Je n'ai jamais volontairement modifié ma façon de dessiner. Je pense que les choses ont juste évolué : je dessine telle chose et je deviens plus à l'aise pour la reproduire. Quand j'ai débuté, je ne voulais qu'une chose : pouvoir dessiner comme Travis Charest et Joe Matt. Mais on ne peut pas combiner ces deux-là ! [rires] Quand t'es un artiste débutant, tu as tes propres influences et tu essaies de les reproduire. Mais je suis arrivé à un point où je me suis dit « Tu ne peux plus te contenter de les imiter ! Tu Dustin Nguyenne seras jamais aussi bon que Joe Matt ou Travis Charest ! Tu ferais aussi bien de faire autre chose. » Et je pense aussi que la rapidité d'exécution y est pour beaucoup. Quand je travaillais pour DC... DC, c'est une machine, ça n'arrête jamais. Tu es à la bourre ? Il vont faire venir un dessinateur pour te remplacer. Apprendre à travailler à un rythme mensuel... C'était comme un grand camp d'entraînement qui m'a appris à travailler selon un agenda. Au départ, je ne savais pas vraiment peindre. Quand j'ai commencé à travailler sur Detective, on m'a demandé « Est-ce que tu voudrais faire tes propres couvertures ? », « Est-ce que je peux les peindre ? », « Tu as déjà fait ça, auparavant ? », « Aaaah, je m'y suis un peu exercé sur Wildcats. » Là, ça aide d'avoir un éditeur qui te fait confiance. Ça va forcément pas être terrible au premier coup mais si ton éditeur a confiance en toi, tu peux recommencer, encore et encore et encore... Et, donc, quand j'en ai eu fini avec Streets of Gotham, j'étais désormais à l'aise avec les pinceaux et je voulais m'essayer à peindre les pages intérieures. Les pin-ups, c'est facile. Les pin-ups et les couvertures, c'est facile. Mais une histoire entière à raconter, ça c'est très dur. Donc oui, voilà le topo. J'espère seulement m'être effectivement amélioré au dessin et que ça se voit, aujourd'hui. Probablement.

Si tu avais la possibilité de visiter le crâne d'une personne célèbre, passée ou présente, afin de comprendre son art, ses techniques ou simplement sa vision du monde, qui choisirais-tu et pourquoi ?
Dustin Nguyen : Aaaah, tu sais quoi ? J'aimerais bien me rendre dans la tête de Bill Watterson. Tu sais, de Calvin & Hobbes.

Oui, l'an dernier, il a présidé le festival !
Dustin Nguyen : Oh ?

Enfin, il n'était pas sur place mais il l'a présidé.
Dustin Nguyen : Alors peut-être que je voudrais entrer dans sa tête juste pour voir de quoi il a l'air [rires] Je trouve le personnage fascinant.

Et qu'aimerais-tu aller voir ou comprendre, chez lui ? Pour de vrai ?
Dustin Nguyen : Je pense que tout artiste est fasciné par son oeuvre. La simplicité, la narration... Tu sais, quand on dit « Il en fait plus en en faisant moins », on parle d'artistes comme Alex Toth, Bill Watterson, Hayao Miyazaki... J'adore l'oeuvre de Miyazaki. La simplicité de ses mises en page. Si tu peux faire passer ton message avec un nombre minimal de lignes et peu d'efforts, alors c'est que es passé maître dans le domaine.

Merci Dustin !


Dustin Nguyen