interview Manga

Harumo Sanazaki

©Digiclub édition 2013

Peu connue en France, Harumo Sanazaki est pourtant une auteur prolifique au Japon, et ce depuis les années 80. Invitée à Cartoonist 2013 principalement en tant que productrice de Seki Tomokazu, un comédien de doublage très populaire au Japon, peu savaient que la mangaka était déjà venue à plusieurs reprises en France lors de diverses conventions et que l'un de ses mangas avait même déjà été publié chez nous - certes de manière assez confidentielle - en 2007. Elle qui est aussi professeur-adjointe invitée de la section manga de l'université de la Toei Animation a également profité de son passage chez nous pour donner, avec beaucoup d'attention et une envie de partage évidente, un cours de création de manga à une poignée de visiteurs avertis. Après cela, un entretien en tête à tête nous a permis de revenir avec elle sur sa carrière de plus de 30 ans...

Réalisée en lien avec les albums Bishin T1, Bishin T2
Lieu de l'interview : Cartoonist 2013

interview menée
par
28 juillet 2013

Pouvez-vous nous expliquer comment vous êtes devenue mangaka, et pourquoi ?
Harumo Sanazaki : Malheureusement, depuis que je suis petite, j’ai une santé fébrile donc c’est pour ça que je me suis investie complètement dans la lecture, différentes lectures. Ma plus grande force ça a toujours été d’avoir une grande imagination et grâce à ça j’ai pu imaginer beaucoup de choses et devenir mangaka.


Concrètement, comment s’est passé votre entrée dans le monde du manga ?
Harumo Sanazaki : C’était à 10 ans, quand j’ai écrit mon premier manga. A cette période-là, mon grand-père était peintre et ça m’a permis en tant qu’enfant de lier l’imagination avec le dessin et la peinture, et de créer des histoires et des paroles.





Vous avez participé à un concours pour vous faire remarquer à cet âge-là ?
Harumo Sanazaki : J’ai commencé très jeune mais malheureusement à cette époque-là, il n’y avait pas d’évènements propres au manga pour présenter ses œuvres.


A l'époque de votre première œuvre publiée, quelques années plus tard, comment s’est passé votre entrée dans le monde professionnel ?
Harumo Sanazaki : Il y a une maison d’édition qui s’appelle Akita Shoten chez qui j’ai sorti mon œuvre qui s’appelle Ai wo kibô (Je veux ton amour) en 1981. C'était un concours en plusieurs temps et au bout de la sixième étape, j’ai gagné ce concours.


Yoshiki Vos seuls mangas à avoir été traduits en France sont les 2 volumes reliés de Bishin : comment est né ce manga ?
Harumo Sanazaki : A cette époque-là, je connaissais Yoshiki du groupe X Japan mais je n’avais jamais entendu ses œuvres. Lorsque je l’ai entendu au piano, ça a vraiment été un déclic qui a fait que l’œuvre est née à partir de ça.


D’où vient l’idée du parfum comme pouvoir ?
Harumo Sanazaki : A la base, dans ma famille, le parfum a une grande histoire, c’est quelque chose qu’on connaît depuis très longtemps. Par ce biais-là, lorsque j’ai connu la France et surtout quand j’allais dans les grands magasins comme les Galeries Lafayette par exemple, j’ai vu qu’il y avait des stands de parfums. Après cela, je suis allée chez Shiseido afin de récolter des informations sur le monde du parfum. Une fois toutes ces informations-là rassemblées, j’ai voulu les mettre dans mon œuvre.


Ci-dessus : Yoshiki, dans une pose qui semble tout droit tirée de Bishin



Pourquoi avoir pris Yoshiki de X Japan pour modèle de votre héros de Bishin ? Était-ce l’incarnation vivante de ce que pouvait être un dieu de la beauté, comme dans le manga ?
Harumo Sanazaki : Bien évidemment, Yoshiki représente pour moi la beauté en elle-même, mais c'est plus que ça. Par rapport à Yoshiki, c’est vrai que rien que dans son regard, il y a quelque chose qu’on appelle le charisme, quelque chose qui fait que vous êtes tout de suite happés. Par rapport à la définition de la beauté, prenons par exemple les cheveux d'une jeune fille, le simple fait qu’ils soient posés un peu négligemment comme ça sur l’épaule, pour moi ça représente aussi une beauté en soi, qu’on appelle « bi », la beauté. On peut voir la beauté dans différentes choses. C’est vraiment quelque chose de propre à soi. Quelqu’un peut trouver quelque chose de beau mais pour quelqu’un d’autre, ce ne sera pas le cas. C’est tellement quelque chose de personnel que c’est une émotion très profonde.


Ci-dessus : un dessin tel que l'auteur en réalisait pour chacune des personnes venues la voir en dédicace



A la fin du deuxième tome relié de Bishin, vous évoquez le fait de vouloir dessiner une seconde partie plus tard. L’avez-vous réalisée et que raconte-t-elle ?
Harumo Sanazaki : Pour ce qui est de la suite, je l’ai déjà écrite, et elle va se passer en France. Mais ce genre d’œuvre est actuellement difficile à publier, donc c’est un peu en suspens… Mais le fait de tout simplement pouvoir aujourd’hui parler de mon œuvre en France, en interview comme ça, dans le pays où doit se dérouler l’histoire de cette deuxième partie, c’est comme un rêve qui se réalise, j’en suis extrêmement ravie.


Vous avez plus de 30 ans de carrière et plus de 130 titres à votre actif. Après une aussi longue carrière, a-t-on encore envie de raconter des choses ? A-t-on encore des choses à raconter ? Trouve-t-on toujours de nouvelles idées ?
Harumo Sanazaki : Bien sûr ! Même si j’ai réalisé beaucoup d’œuvres, il y en a encore beaucoup d’autres dans mon esprit. J’adore raconter des belles histoires. J’ai encore plein d’idées, je voudrais les faire petit à petit. Ce que j’ai le plus envie d’écrire, c’est un manga sur le ballet. Mais je voudrais avoir le ballet et de la fantasy, et les réunir tous les deux pour en faire quelque chose d’assez surprenant, un beau mélange. Le scénario présenterait une jeune danseuse de ballet qui, par le biais de la danse, pourrait discuter avec Dieu... En tout cas j’ai encore beaucoup d’idées.


Harumo Sanazaki en dédicace, lors de son passage en France au salon Cartoonist 2013


Vous aimez la musique classique (dans Bishin, vous citez notamment Mozart) mais également la danse (vous parlez de Jorge Donn dans les 2 postfaces, et de la danseuse française Sylvie Guillem) : avez-vous déjà dessiné des œuvres autour de ces thèmes ?
Harumo Sanazaki : J’avais énormément d’idées sur ces sujets, mais je ne les ai malheureusement jamais couché sur papier.


Vous avez travaillé sur plusieurs titres Harlequin en manga. Comment se passent ces projets ? Echangez-vous avez les auteurs des romans ? Avez-vous choisi ces titres vous-mêmes ou est-ce des demandes de l’éditeur américain ?
Harumo Sanazaki : A la base, j’ai beaucoup lu ce genre d’œuvres mais je n’ai pas décidé tout de suite de leur donner vie en manga. Petit à petit, il y a eu une occasion avec une maison d’édition, donc il y a eu une collaboration qui a donné vie à ces œuvres-là. C’est la maison d’édition américaine qui m’a contactée. J’ai pu échanger avec les auteurs originaux par le biais de mails et de messages, avec Nora Roberts notamment.


Vous donnez des cours en plus de votre travail de mangaka, mais avez-vous le temps de lire des mangas ? Quels titres avez-vous lu qui vous ont marqués ?
Harumo Sanazaki : D’une manière générale, j’aime beaucoup lire, ça reste une grande passion. J’aime lire des livres d’histoire et aussi de cuisine. J’adore la France, et qui dit France dit cuisine, donc je lis aussi des œuvres sur les chefs. Donc oui, j’ai le temps de lire. Il y a trois œuvres qui m’ont marquée. L’une d’elle est d’une amie à moi, Naoko Moto, dont le titre est Lady Victorian (série en 20 volumes, publiée entre 1998 et 2007 dans le magazine Princess et non-éditée en France, NDR). La seconde est Dokushi de Higuchi Daisuke (l’auteur de Whistle !, NDR), sa dernière œuvre que j’aime beaucoup et qui possède beaucoup de suspense (publiée depuis 2009 dans le magazine Comic Birz, NDR). La troisième est d’une autre d’une autre amie, Yôko Hanabusa, Harumo Sanazaki en interview, lors de son passage en France au salon Cartoonist 2013 et c’est une série qui s’appelle Lady !! (publiée entre 1987 et 1993 dans le magazine Hitomi Comics, NDR). Il y a aussi un autre manga, de Kyoko Ariyoshi, dont j’ai été assistante sur la première partie et sur la fin, et qui s’appelle Swan (non traduit en France, 21 tomes parus dans le magazine Margaret entre 1976 et 1981 et divers spin-off depuis, dont le dernier est toujours en cours de publication, NDR). Pour la partie de la fin, j’ai failli me casser la main tellement c’était dur ! Il fallait dessiner plein de points et c’était la partie la plus difficile de cette œuvre.


Vous qui êtes déjà venue plusieurs fois en France, connaissez-vous la BD européenne ? Qu’en pensez-vous ?
Harumo Sanazaki : J’ai un profond respect pour la BD européenne et la BD française. Je voudrais passer une annonce : j’aimerais réaliser une BD, pouvoir faire toute l’histoire, tout le scénario, et qu’un dessinateur français réalise tout le dessin. Ce serait mon rêve.


Et la BD américaine ?
Harumo Sanazaki : J’apprécie aussi d’une certaine manière tout ce qui est BD américaine. Ce qui ressort le plus est le côté divertissement, évènementiel, beaucoup d’action… Comparé à la BD française, j’ai plus de mal à rentrer dans les univers qu’il y a dans les BD américaines.


Si vous pouviez avoir accès à l’esprit d’un autre artiste pour tout comprendre de lui, comprendre son génie créatif, etc. Qui choisiriez-vous et pourquoi ?
Harumo Sanazaki : Cela fait une dizaine d’année que je suis la carrière de Sylvie Guillem (danseuse étoile française mondialement connue, NDR). Quand je la vois en action, je suis impressionnée et émue par sa danse. Je trouve les femmes françaises très belles, et j’aimerais être une telle artiste, même si je sais qu’il y en a forcément qui ont des vies très difficiles. Donc je voudrais être une de ces artistes française, mais pas totalement.



Merci !






Toutes les illustrations de l'article sont ©Harumo Sanazaki
Toutes les photos de l’article sont ©Nicolas Demay sauf la photo de Yoshiki