interview Bande dessinée

Jean-Yves Delitte

©Glénat édition 2004

En publiant pas moins de 3 albums en… 3 mois, Jean-Yves Delitte occupe largement les bacs des libraires, ces temps-ci ! Cet architecte designer de formation dessine les coulisses du pouvoir (avec Philippe Richelle au scénario - lire la chronique) et surtout orchestre seul une série d’aventure inspirée de l’œuvre de Jules Verne : Le Neptune (lire la chronique). Pour comprendre cette frénésie créatrice, les bédiens lui ont posé quelques cyber-questions…

Réalisée en lien avec l'album Le neptune T3
Lieu de l'interview : le cyber-espace

interview menée
par
22 juin 2004

Peux-tu nous résumer le parcours qui t’a amené à faire de la BD ? Tes choix de collaborations ?
Jean-Yves Delitte : J’ai été baigné enfant par la bande dessinée et ce parce que probablement mon père avait une belle bibliothèque, à la hauteur de ce qu’était la bande dessinée, il y a plus de 40 ans ! Dès lors, dès que j’ai été en âge de tenir un crayon dans mes mains, j’ai dessiné et imaginé mes propres BD, qui tenaient bien souvent sur une seule page d’un mauvais papier. Plus grand et grâce une fois encore à mon père, il avait un beau carnet d’adresse, j’ai été amené à faire mes premiers pas réels dans la BD. À l’époque, qui n’est pas si éloignée que cela, de nombreux magazines existaient. Cela permettait à bien de jeunes auteurs de faire leurs "armes".
Pour ce qui est de "mes collaborations", elles se limitent en fait deux personnes. La première c’est Jean-Luc Vernal, entre autres scénariste de Jugurtha et rédacteur en chef du journal Tintin. Il m’a permis de faire mes premiers pas et m’a soutenu. J’ai d’ailleurs réalisé sur ses scénarii plusieurs histoires courtes qui ont été d’abord pré-publiées dans les pages du magazine Tintin et ensuite, cela se faisait régulièrement aux éditions du Lombard, publiées en album dans la collection "Histoire et légende". L’album s’intitulait "Onna".
La seconde personne est Philippe Richelle. Un ami de longue date rencontré dans les couloirs du journal Tintin et ce par l’intermédiaire de Jean-Luc Vernal. Cette amitié et collaboration a donné le jour à plusieurs séries. Je citerais : Donnington, Venturi et les Coulisses du Pouvoir (actuellement 6 tomes aux éditions Casterman).

Il paraît que tu es également designer d’ "objets"... Tu peux nous en dire plus ? Comment passe t-on d’architecte designer à dessinateur de BD (et réciproquement) ?
Jean-Yves Delitte : J’ai fait des études d’Architecte designer. Et depuis toujours ma profession était celle-là. La bande dessinée n’était, en fait, qu’un "hobby". D’aucuns passent leurs loisirs à jouer au golf ou au tennis, moi c’était devant une table à dessin. Ma profession m’a donné beaucoup de satisfaction. Plusieurs de mes créations sont d’ailleurs des modèles déposés fabriqués en série et qui équipent des espaces publics et privés. Il n’y a que depuis peu j’ai décidé de "m’investir" d’avantage dans la bande dessinée. Ce qui explique beaucoup ma "production actuelle". En 2004, quatre de mes nouveaux albums sont et seront édités.

Tu as sorti en un peu plus d’un trimestre : Le Neptune 2, Les coulisses du pouvoir 6, Le Neptune 3 et tu prévois pour octobre le premier tome d’une nouvelle série intitulée "Les nouveaux Tsars". Tu avais pris de l’avance ou tu es ambidextre ?
Jean-Yves Delitte : Pas du tout ! Je réalise aisément une bonne douzaine de planches par mois. Faites le calcul et cela donne sur une année le nombre de pages dessinées et par conséquence le nombre d’album que je peux "produire". Je n’y vois rien d’extraordinaire. À l’époque des magazines - on en revient au passé - les auteurs, s’ils voulaient se voir être pré-publié, se devaient de tenir un rythme. J’ai été formé à cette école. Je continue donc ainsi. Il est vrai aussi, et c’est le paradoxe actuellement, qu’inversement au nombre d’auteurs qui va toujours croissant, la production par auteur régresse. Il faut dire qu’un grand nombre de ces derniers font du "nombrilisme" et se réfugient bien souvent dans une maladive "introspection" !

Entre le Neptune et les Coulisses du pouvoir, on retrouve les mêmes personnages, dans des rôles parfois très opposés. On a l’impression que ces personnages sont des acteurs qui ont tourné dans deux séries différentes... Tantôt ils incarnent des héros, tantôt des seconds couteaux. C’est original dans le 9eme art ! Ce faisant, as-tu cherché quelque chose de nouveau, ou est-ce simplement pour éviter de nouvelles études de personnages ?
Jean-Yves Delitte : Des similitudes ou apparentés physiques entre des personnages de seconds rôles voir et surtout des "figurants" ont toujours existé chez un auteur qui a plusieurs séries. Les exemples sont légions. Plus les seconds rôles et les "figurants" sont nombreux, plus il y aura des risques de similitudes. Dans les Coulisses du Pouvoir ainsi que dans le Neptune il y a de très nombreux personnages... Alors, il faut savoir relativiser, et se dire après tout que tout cela ce n’est que de la bande dessinée et personne n’est parfait.

En combien de tomes est prévu le Neptune ? Les aventures de William Lake et de son équipage peuvent rebondir ainsi sans fin sur tous les continents... Où cela va-t-il les mener ?
Jean-Yves Delitte : Dans l’état actuel, le nombre d’album qui composera la série n’est pas encore clairement défini... Tout dépend aussi de son succès en librairie... Car la bande dessinée est aussi régie par des contraintes bassement commerciales et financières !
Mais si tout se passe bien - soyons optimistes que diable ! - la série devrait contenir à une petite dizaine d’albums. Le principe de cette série est que le Neptune et son équipage sont amenés à faire un tour du monde. Chaque volume propose aux lecteurs une étape de ce périple. Des étapes qui seront tout sauf banales. Quant à la fin - que je connais déjà - je la promets surprenante à plus d’un titre.

Comment imagines-tu les aventures du Neptune ? Quelle est ton approche exacte de l’œuvre de Jules Verne ?
Jean-Yves Delitte : L’œuvre de Jules Verne (plus particulièrement 20 000 milieux sous les mers) a été l’un des déclencheurs pour ma série. Mais, en aucune manière, je n’en fais une quelconque adaptation. Je dois d’ailleurs avouer fort mal connaître l’œuvre du grand romancier et je revendique des histoires originales pour le Neptune. En fait, c’est plutôt et avant tout le 19ème siècle qui m’a intrigué. Un siècle qui, grâce à de nombreuses révolutions techniques et scientifiques, allait permettre à l’homme de conquérir ces rêves. Jules Verne dans son œuvre ne fait que traduire les aspirations et les craintes de l’homme face à ces révolutions.

Cet été, tu exposes tes planches au musée Jules Verne d’Amiens (du 1er juin au 30 septembre 2004). C’est une opportunité ou était-ce une démarche prévue de longue date ?
Jean-Yves Delitte : C’était à la fois prévu de longue date, du moins dans mon esprit, et une opportunité. Il me plaisait à rendre un hommage, à la vielle des célébrations de son centenaire de son décès, à ce grand romancier. Grand romancier auquel je ne manque pas de faire des clins d’œil dans ma série et qui, peut-être, un jour rencontrera mes personnages de papier !

Y aura-t-il d’autres cycles aux Coulisses du pouvoir ?
Jean-Yves Delitte : Probablement. Casterman y tient beaucoup, nos contrats le permettent. Reste à trouver le temps !

Tu as essentiellement travaillé avec Philippe Richelle. Tu es du genre fidèle ?
Jean-Yves Delitte : Je ne pense pas que la fidélité puisse tout expliquer ou justifier. Disons que les scénarii de Philippe m’ont toujours fort séduit et qu’ils sont, de plus, de très grande qualité. Par ailleurs, si je n’ai travaillé jusqu’à présent qu’avec Philippe c’est que, je le rappelle, jusqu’il y a peu je faisais de la bande dessinée à mes "temps perdus". Je n’avais donc pas la place ou le temps pour d’autre collaboration.

Et à part ces 3 séries, tu as d’autres projets ? D’autres auteurs avec qui tu aimerais travailler ?
Jean-Yves Delitte : Trois séries ? J’en compte quatre !
Il y a, bien entendu : les Coulisses, le Neptune et les Nouveaux Tsars - dont le premier volet devrait paraître à la rentrée de septembre dans la collection Grafica, chez Glénat. Mais il y a aussi un nouveau projet avec Philippe Richelle : Secret Bancaire, qui sera publié par Glénat courant 2005. Quant à de nouvelles collaborations, seul l’avenir nous le dira !

)La fiche de presse nous a appris que tu es passionné par l’Italie. Tu n’as jamais envisagé de faire une série qui se déroule sur la péninsule ?
Jean-Yves Delitte : J’y ai déjà pensé. J’ai un projet dans mes cartons !

Si tu étais un bédien, quelles seraient les BD que tu aimerais faire découvrir aux terriens ?
Jean-Yves Delitte : Je ne suis pas un bédéphile convaincu. Je dois d’ailleurs avoir dans ma bibliothèque qu’une petite vingtaine de BD, pour la plupart reçues par des services de presse. J’affectionne plutôt les "beaux livres". Des ouvrages sur l’art en particulier. Les seules BD qui m’ont convaincu sont en fait de grands classiques. Celles qui se trouvaient déjà dans la bibliothèque de mon père. Alors, si je dois conseiller un terrien pour sa lecture, je ne peux que vivement l’inciter à lire ou relire Giraud (Blueberry’s), Herman, Edgar P. Jacob,...

Si tu avais le pouvoir cosmique de te téléporter dans le crâne d'un autre auteur de BD, chez qui aurais-tu élu domicile ?
Jean-Yves Delitte : Personne ! Je suis trop bien dans ma tête. Et puis, imaginons que son épouse soit un véritable boudin, cela me ferait une belle jambe !

Merci Jean-Yves !