interview Bande dessinée

Jérôme Lereculey

©Delcourt édition 2007

Après la saga Arthur en 9 tomes (la légende celtique originelle), Jérome Lereculey s’offre une parenthèse exquise, toujours en compagnie de son David Chauvel de chevet. Il vient de dessiner 7 voleurs, second one-shot de la collection 7, que l’on pourrait résumer par « le casse du siècle dans un univers d’heroïc-fantasy ». Des nains, des orcs, un graphisme particulièrement soigné pour une quête originale… une aventure aux petits oignons !

Réalisée en lien avec l'album 7 voleurs
Lieu de l'interview : Festival Delcourt (Bercy)

interview menée
par
14 septembre 2007

Bonjour Jérôme, pour faire connaissance, je te laisse te présenter : ta vie, ton œuvre, comment en es-tu arrivé à faire de la BD ?
Jérôme Lereculey : Bonjour, je suis Jérôme Lereculey, 37 ans, marié, deux enfants. On va donc commencer par présenter mes études. J’ai donc suivi un parcours scientifique, dans une école d’ingénieurs, puis j‘ai intégré les beaux-arts de Mulhouse, mais je n’ai suivi que le premier trimestre, car j’ai immédiatement signé mon premier album et j’étais devenu professionnel. J’ai toujours eu envie de faire de la BD, depuis toujours. Au départ, j’étais fasciné par la caricature : Mulatier, Morchoines, les grandes gueules… ça me paraissait alors inaccessible. Et puis j’ai rencontré Erwan Fages, qui vient d’ailleurs de sortir l’album Black Mary tome 3. Il habitait à côté de chez moi, on était super copains et lui faisait déjà de la BD… On s’est perdu de vue et je l’ai retrouvé quand j’étais en maths sup. Puis quand j’ai été en maths spé… je n’ai pas fait beaucoup de maths Spé : j’étais alors parmi les gars qui voulaient faire de la BD sur Renne. On a commencé à squatter le fanzine Atchoum, avec Pascal Bertho qui en était le rédac chef. Le fanzine était alors édité à 50 exemplaires et c’est moi qui mettait le agrafes ! Au fil du temps je me suis perfectionné, j’ai rencontré les professionnels qui habitaient sur Renne : Michel Plessix, Rollin Rollin. Ce sont surtout eux qui m’ont formé aux techniques de narration.

Ensuite, on connaît tous l’aventure Arthur, la retranscription en BD de la légende celtique « originelle », puis enfin, l’album qui nous intéresse aujourd’hui : 7 voleurs. Comment s’est déroulé le recrutement sur ce one-shot ?
J.Lereculey : Ça a été vite vu : après 9 tomes d’Arthur, je commence à être pas mal habitué à ce type de décors et à l’ambiance. Je voulais faire de la fantasy depuis très longtemps et David Chauvel a enfin cédé. En outre, ça l’arrangeait bien, puisqu’en tant que directeur de la collection, il voulait scénariser une des 7 aventures. C’est tombé pile poil.

Vous n’aviez pas peur de produire l’énième album d’heroïc-fantasy, comme il y en a pléthore aujourd’hui dans les bacs des libraires ?
J.Lereculey : La fantasy c’est tout de même un genre très délicat. Contrairement à ce qu’on croit, ça n’est pas ce qu’il y a de plus facile à faire. David avait des réticences à s’y frotter essentiellement par respect pour ce genre. Il adore le Seigneur des anneaux, il a fait pas de peintures de figurines dans sa jeunesse… A l’époque, il a même failli travailler pour Games Workshop ® ! Il était peintre sur figurines, il faisait même des concours ! Il avait peur de se planter : il y a beaucoup de gens qui en ont fait, pensant que c’était un univers relativement flou pour permettre de faire n’importe quoi, et le résultat est effectivement souvent tombé dans le grand n’importe quoi. Je veux faire de la fantasy en respectant les fondamentaux de l’univers de référence. Dès qu’on s’en affranchi, on crée un nouvel univers, et cette démarche là ne m’intéresse pas.

Vous avez également réussi à éviter les effets spectaculaires et grandiloquents du type batailles de sorciers à grands coups de boules de feu… 7 voleurs s’appuie essentiellement sur des paramètres guerriers et médiévaux.
J.Lereculey : Oui, ma référence, c’est Tolkien et Tolkien. J’aime l’utilisation qu’il fait de la magie dans son œuvre, car elle reste exceptionnelle. C’est de la « magie naturelle » ! Quand la magie est trop puissante, c’est la porte ouverte à n’importe quoi. Dans cette optique, on peut se demander pourquoi untel n’utilise pas sa super magie dès le début de la problématique, comme ça, voilà, la quête est réglée et il n'y a plus d'histoire. C’est ça qui est difficile dans la fantasy : c’est un univers très ouvert, mais il faut tout de même conserver une certaine logique, chercher une cohérence.

Comment travailles-tu avec David Chauvel ?
J.Lereculey : Primo, on s’est mis d’accord sur le genre fantasy. Ensuite, l’idée était d’en tirer le meilleur parti : ce qui compte, c’est le respect de l’univers, pas le schéma narratif classique de la quête, de la prophétie… Dans le milieu de la fantasy, on peut faire ce qu’on veut : un polar, une aventure… Nous, on a fait le casse du siècle. Ensuite, c’est David Chauvel le scénariste. Moi j’ai bien du apporter quelques trucs, mais bon… je ne suis que le dessinateur. Inversement, il ne m’a pas embêté sur le dessin.

Comment te livre t-il son scénario ?
J.Lereculey : Il donne le scénario case par case, avec des indications de plans, et les dialogues. A partir de ça, je fais mon découpage. Maintenant qu’on se connaît bien, il me donne de moins en moins d’indications de plans, parce qu’en général je ne les suis pas, donc ça n’est pas la peine qu’il se fatigue…

Et le choix des coloristes ?
J.Lereculey : Christophe Araldi et Xavier Basset avaient justement un trou dans leur planning. Et moi ça me faisait super plaisir de les avoir dans l’équipe, vu que j’adore ce qu’ils font. Je suis vraiment super content du résultat ! Ce que faisait Jean-Luc Simon sur Arthur collait très bien avec la série, mais ici, ça n’aurait pas collé.

Si tu avais gomme magique pour corriger quelque chose sur ce bouquin, est-ce que tu l’utiliserais et sur quoi ?
J.Lereculey : Hé hé ! Je ne sais pas trop… Je l’utiliserais peut-être un peu partout… ou plutôt nulle part : je suis vraiment content du résultat.

Quelle est la suite de l’aventure pour toi, au sein du 9e art ?
J.Lereculey : Je suis sur un livre pour enfants, toujours avec David. Ça s’appellera Séraphin le lutin : c’est un petit lutin qui fait découvrir les animaux aux enfants. Ça devrait sortir au printemps.

Ton graphisme change pour s’adapter au jeune public ?
J.Lereculey : Non, je n’ai pas beaucoup changé ma technique. Le petit lutin a les traits bien entendu plus « roudoudoux » que d’habitude… Et puis il y a des animaux… Surtout, la couleur sera beaucoup plus adaptée au jeune public. La coloriste, Sandrine Louise est toute nouvelle et elle est vachement bien.

Et après cet ouvrage, d’autres projets ?
J.Lereculey : Je vais certainement faire avec ma femme l’adaptation d’une nouvelle, une histoire fantastique de vampire… mais je n’en dis pas plus. Et sans doute, après, avec David on repartira a priori dans de l’heroïc-fantasy.

Quelle sont tes références en matière de bande dessinée ?
J.Lereculey : Je suis super fan de Goosens… mais j’ai beaucoup de références…

Si tu avais le pouvoir cosmique de devenir quelques instants un autre auteur… pour comprendre sa démarche artistique, par exemple…
J.Lereculey : Daniel Goosens, pour savoir un instant dessiner comme il dessine et comprendre comment lui tombent des idées aussi génialement débiles. Sinon, il y a en plein d’autres qui m’impressionnent : Juillard, Boucq, Franquin, Moebius… Il y en a tellement des bons dessinateurs.

Et des bons scénaristes ?
J.Lereculey : David Chauvel ! (ah ah !) Sinon, disons, Alain Ayrolles… ou Pascal Bertho, que je connais bien donc c’est pas du jeu…

D'une manière générale, tu lis beaucoup de BD ?
J.Lereculey : Je ne suis pas à l’affut des nouveautés. De temps en temps, il y en a une qui m’interpelle, surtout au niveau du dessin. Par exemple, je viens de feuilleter la Ligne de fuite, une nouveauté (NDLR : chez Futuropolis) dessinée par Benjamin Flao, il faut absolument que je me l’achète ! Ou encore Hel de Anne Renaud : son dessin est très impressionnant. Sacrée dessinatrice !

Et si tu devais partir sur une île déserte, quelle seraient les 3 séries que tu emporterais ?
J.Lereculey : Primo, tout Daniel Goosens, évidemment ! Ensuite… La bouche du diable de François Boucq. Et puis disons, tout Blueberry, parce que t’en as pour un bout de temps et c’est quand même loin d’être désagréable !

Merci Jérôme !