interview Comics

Joe Benitez

©Delcourt édition 2014

Dans les années, les séries à succès étaient nombreuses chez Top Cow avec The Darkness, Fathom ou encore Witchblade. Parmi les auteurs qui se sont révélés à cette époque, il y eut Joe Benitez. Rapidement, le jeune dessinateur a gagné en popularité en illustrant le Darkness d'un Garth Ennis inspiré. Ensuite, il s'est illustré sporadiquement sur de courtes sagas ou épisodes. Il aura fallu attendre l'arrivée de Lady Mechanika, un projet personnel où il se charge des dessins bien évidemment mais aussi du scénario, le tout dans un univers steampunk. Alors que la série multiplie les retards de parution, l'artiste est tout de même venu nous rassurer à la Paris Comics Expo sur l'arrivée prochaine en France de sa série...

Réalisée en lien avec les albums Darkness T1, Assistante et exécutrice T1, Soulfire T2
Lieu de l'interview : Paris Comics Expo

interview menée
par
28 janvier 2014

Bonjour Joe Benitez. Peux-tu te présenter et nous dire comment tu es entré dans le monde des comics ?
Joe Benitez : Bonjour, je m’appelle Joe Benitez. J’ai commencé à travailler dans les comics en tant que professionnel en 1993. J’étais allé au Comic-con de San Diego, c’est une des grosses conventions aux États-Unis... En fait, à cette époque Image Comics recherchait de nouveaux talents. J’avais soumis mon travail, et pas seulement à Image Comics, mais aussi à Marvel, DC, Valiant Comics... Toutes les entreprises en même temps. J’ai eu des rejets, un tas de lettres de refus. Cet été-là, je me suis dit « OK, le Comic Con arrive à la fin de l’été » et j’ai décidé de travaillé pendant quelques mois pour développer un portfolio. Ensuite, j’ai donc été au Comic Con et j’ai montré mon travail. C’est comme ça que j’ai été découvert par David Wohl. A cette époque, il était éditeur à Top Cow, la société de Marc Silvestri. Et c’est comme cela que j’ai été embauché.

Joe Benitez Magdalena The Darkness Quelles sont tes influences ?
Joe Benitez : Il y en a plein ! Les principales... Todd McFarlane est une grosse influence, j’ai toujours aimé son énergie, j’aime son design. Il y a aussi Michael Golden, Arthur Adams, Marc Silvestri, Jim Lee... Et ces gars que je découvre tout le temps, comme Milo Manara... A l’époque où je commençais, il y avait Masamune Shirow, l’auteur de Ghost in the shell et Appleseed. Mais en tant qu’artiste, on trouve toujours différents artistes qui vous parlent... Il y en a plein… En fait, ça dépend vraiment de ce que je fais. Si je dessine des filles sexy, je regarde ce que fait Adam Hughes. Si je fais un mec dans une pose très dynamique, je regarde Todd McFarlane. J’aime toujours retourner voir ce que faisaient tous ces dessinateurs car ils me permettent de réfléchir à ce que je peux faire.

Comment est né ton style personnel ?
Joe Benitez : Vous mettez un tas d’artistes différents dans un pot et vous prenez la façon d’untel de dessiner les yeux, la façon d’un autre pour le nez, un autre pour le visage, un autre pour la mise en page... Et ça devient votre style. Quand je regarde mon travail, je ne trouve pas qu’il y ait un style particulier. Je vois seulement les styles de pleins d’artistes différents. Je crois que tous les artistes sont comme ça. Ils commencent comme un clone de quelqu’un d’autre, ou en essayant de dessiner comme quelqu’un d’autre, puis finalement il finit par y avoir tellement d’artistes différents dans leur travail qu’ils développent leur propre style.

Dans ta carrière, tu as fait plein de chapitres et plein de couvertures. Que préfères-tu entre les deux ?
Joe Benitez : Je préfère les couvertures. Ils payent bien plus pour une seule pin-up. Dans la scénarisation, ça peut être un peu fastidieux car, encore une fois, vous devez penser à comment raconter l’histoire, à comment ça colle avec le scénario, alors qu’avec les couvertures c’est seulement du fun. On peut aussi s’amuser avec les histoires, mais on doit être capable de raconter. C’est plus de labeur, et plus de réflexion.

Joe Benitez Parmi les couvertures que tu as réalisées, y en a-t-il une que tu affectionnes en particulier ?
Joe Benitez : Je ne peux pas dire. Il y a quelques jours, quelqu’un m’a aussi posé cette question. C’est comme vos enfants : vous les aimez pour différentes raisons, ils ont tous quelque chose. J’ai répondu : demandez-moi plutôt laquelle j’aime le moins, car c’est plus facile de dire « celle-là, je l’aime moins à cause de telle ou telle chose » que de dire l’inverse. Je ne crois pas avoir d’illustration favorite en particulier. J’ai mis tellement d’éléments différents dans chacune d’entre elles...

Donc laquelle est la pire ?
Joe Benitez : Je ne peux pas le dire non plus, sinon la société pour qui je l’ai réalisée sera fâchée contre moi (rires).

Parles-nous de ton actualité...
Joe Benitez : En ce moment, j’essaye de terminer la quatrième partie de Lady mechanica - The mystery of the mechanical corpse. Cela fait deux ans que je travaille sur ce chapitre et j’essaye d’enfin le terminer pour clore l’histoire. J’ai été approché par plein d’éditeurs d’ici qui voudraient publier Lady Mechanica en français, mais je dois d’abord terminer l’histoire avant qu’on puisse négocier. Une fois que la série sera terminée, dans encore 3 chapitres, on pourra négocier et j’espère que l’année prochaine, on pourra avoir la série en France.

Peux-tu nous présenter Lady Mechanica ?
Joe Benitez : Cela se passe dans un passé alternatif, en version steampunk. Lady Mechanica vit dans un monde qui est comme le nôtre au 19ème siècle, mais en plus avancé. Elle a été trouvée avec des bras et des jambes mécaniques. C’est une survivante isolée dans ce monde de fous et de terreur. C’est un cyborg qui n’a aucun souvenir de ce qu’elle était avant cela, et elle cherche à savoir pourquoi on l’a mécanisé et qui lui a fait ça. Elle devient ainsi la toute première enquêtrice paranormale de notre époque. Donc maintenant, lorsque Scotland Yard a une affaire qui sort de l’ordinaire, c’est une des premières personnes à qui elle parle. Imaginez Lara Croft et Sherlock Holmes, mais avec un peu des éléments de Hellboy. Donc le ton est un peu surnaturel. Dans la première histoire, elle trouve une autre personne mécanique, donc elle est immédiatement intéressée. Et on suit d’où vient cette personne mécanisée, on essaye de savoir si c’est ou non la même personne qui l’a créé. C’est un mystère qu’on essaye de dévoiler.

Joe Benitez Lady Mechanika


Certains détails du début de l’histoire font penser au manga Gunnm de Yukito Kishiro, avec l’héroïne cybernétisée et amnésique. Est-ce que cette série t’as inspiré ?
Joe Benitez : Je me rappelle avoir vu des illustrations mais je n’ai jamais lu la série. Je crois savoir que l’héroïne était une cyborg complète, alors que la mienne n’a que certaines parties mécaniques. Mais je ne sais pas... Si c’est le cas, c’est peut-être de là que certaines influences sont venues. Pour la mémoire absente, c’est un coup classique, comme avec Wolverine, Fathom, Jason Bourne... C’est facile car comme ça il y a du mystère et on n’a pas à raconter quoi que ce soit. Et quand le personnage découvre son passé, on le découvre en même temps. C’est un bon truc scénaristique.

Joe Benitez lady mechankika Es-tu un grand fan de l’univers steampunk ou bien cela était-il juste l’univers qu’il te fallait pour cette histoire en particulier ?
Joe Benitez : Je n’étais pas spécialement fan, mais je le suis devenu. Un jour, j’étais à la convention Dragon Con en Georgie, et il y avait une grande cosplayeuse en tenue steampunk. J’ai pris des photos et j’ai fait des sketches, je pensais « whoa, c’est très cool et élégant, esthétique, design… ». J’avais déjà vu des bouquins dans l’univers steampunk, mais rien qui n’arrivait à ce point-là. Il y avait là quelque chose que personne n’avait jamais fait, en tout cas de la manière dont je l’imaginais. Donc j’ai commencé à noter une idée d’histoire, une direction où aller. J’ai toujours voulu une héroïne, car je préfère les personnages féminins forts. La seconde chose aussi, c’est que, économiquement, quand vous faites un personnage féminin, vous n’avez pas que les lecteurs masculins, mais aussi les femmes qui aiment les personnages féminins forts. Donc j’ai décidé de faire comme ça. Après, j’ai googlelisé steampunk - enfin, j’ai tapé « sexy steampunk » (rires) - et j’ai commencé à voir toutes ces photos de différents modèles et tenues. Ça m’a vraiment inspiré. Quand on recherche « sexy steampunk », un des principaux résultats, c’est cette fille modèle / designer, Kato. Elle fait une sorte de version très moderne du steampunk. Et je me rappelle l’avoir montrée à l’une de mes amis en lui disant « j’aime les ondes que ça dégage, j’aime l’énergie qu’il y a là-dedans ». Mon amie m’a répondu qu’elle lui rappelait une version steampunk de Wraithborn. C’est un personnage que j’ai fait en 2005. Et quand elle a dit ça, j’ai fait « oh, OK, je vais faire une Wraithborn steampunk : je vais simplement reprendre les mêmes éléments, mais en les transformant, en utilisant le même design que pour ce personnage mais en plus marron et cuir ». Car Wraithborn était plus « cénobite » (Hellraiser), plus cuir noir SM. Initialement, le premier concept que j’ai eu était un vampire, j’allais faire une Céline d’Underworld, qui ressemble à Kate Beckinsale, mais en tenue steampunk… C’est comme ça qu’est né le concept.

Joe Benitez Lis-tu des comics actuellement, et si oui lesquels ?
Joe Benitez : Malheureusement non. Non seulement je n’ai pas le temps, mais surtout il y en a tellement que je ne sais pas quoi choisir. Je suis intéressé par Locke & Key, car j’ai entendu tellement de bonnes choses dessus.Je voudrais lire aussi Jupiter’s children, le nouveau titre de Frank Quitely et Grant Morrison. Il y en a que j’ai déjà mais que je n’ai tout simplement pas lu. La dernière série que j’ai réellement lu était 100 Bullets, je crois que j’ai lu les 5 premiers et que j’ai arrêté car je n’avais pas la suite. Globalement, je ne lis pas de comics en fait. Je devrais, car j’entends dire beaucoup de bien de certains... Saga est très bon à ce qu’il paraît... Je ne le fais pas, mais je devrais…

Si je te donnais le pouvoir de visiter l’esprit d’un autre artiste, de comics ou non, vivant ou mort, pour comprendre son esprit, ou peut-être lui voler des techniques, qui choisirais-tu et pourquoi ?
Joe Benitez : Je ne sais pas. Comme je disais, il y en a tellement de différents… Bon Scott le chanteur d'AC/DC. Ce que je lui volerais… je ne sais pas, sa façon de chanter. J’adore sa façon de chanter.

Merci Joe !

Remerciements à Mickaël Géreaume pour toutes ses questions, son chapeau et sa mise en forme !

Joe Benitez Lady Mechanika