interview Bande dessinée

Matthieu Bonhomme

©Dargaud édition 2008

Prix du meilleur album en 2003 pour l’Age de raison, plusieurs fois nominé pour le Marquis d’Anaon (avec Fabien Vehlmann), Mathieu Bonhomme est de ces dessinateurs qui réconcilient les amateurs de bande dessinée classique et de la frange (dite) moderne du 9e art. De Messire Guillaume au Voyage d’Esteban, le dessinateur varie les contextes enchanteurs et fait montre d’un trait invariablement élégant et juste, synthétique et d’accès grand public. Vous aurez compris, on est totalement fans !

Réalisée en lien avec l'album Le marquis d'Anaon T5
Lieu de l'interview : Angoulême

interview menée
par
27 juillet 2008

Bonjour Matthieu, pour faire connaissance, peux-tu te présenter, comment tu es arrivé à faire de la bande dessinée ?
MB : Etant gamin, j’avais beaucoup de BD à la maison, mes parents étaient assez portés sur la chose. On avait beaucoup d’Astérix, de Tintin, de Lucky Luke… C'est comme cela que j’ai appris à dessiner, en recopiant les cases et en décalquant les couvertures de Lucky Luke. par la suite, je suis allé aux ateliers du mercredi, puis après en école d’art. Mes parents m’ont toujours accordé beaucoup de confiance. Ils ont eu sans doute par moment des gens pour les convaincre que ce n’était pas forcément une voie sans issue. Pendant mes études, je faisais beaucoup de bandes dessinées, évidemment en cachette, parce qu’à cette époque-là c'était interdit dans les écoles d’art. Cela n’a fait qu’attiser un peu plus mon envie d’en faire. Quand j’ai fini l’école et que me suis retrouvé en âge de travailler, je me suis rendu compte qu’en fait, cela aurait été bien qu’on m’en apprenne un peu plus. A ce moment-là, j'ai entamé une relation, que j’ai un peu provoquée, avec Christian Rossi, qui m’a parlé de mon boulot, et du sien. Cela m’a beaucoup aidé pendant quelques temps, pendant quatre ou cinq ans, je l’ai vu assez souvent. Après, j'ai aussi rencontré un peu Jean-Claude Mézières, qui m’a donné d’autres pistes de réflexion, tout aussi intéressantes. En fait, tout cela m’a mis en confiance, je me suis confronté vraiment à ce qu’était vraiment la bande dessinée comme média. S’en sont suivis des petits boulots pour la presse, où j’ai publié quelques premières pages. C'était aussi un moyen d’apprendre, parce que je les montrais, on me commentait, je recommençais pour que ce soit mieux. En fait, c'est par ces boulots de presse que j'ai fait mon premier album, une commande d’Okapi, qui s’appelait Victor & Anaïs.

Copyright Bonhomme 2008 - le marquis d'AnaonComment cela s’est-il passé ?
MB : Victor & Anaïs est né de la rencontre avec Jean-Michel Darlot. C'était très intéressant et c'est là que je suis devenu un peu professionnel. J'ai donc pris un atelier, et commencé à croire que je pouvais en vivre. J'ai voulu parier sur le fait que j’avais les moyens de payer un atelier. Dans cet atelier, j'ai rencontré Gwen de Bonneval, il y avait aussi Christophe Blain, Marjane Satrapi. J’en ai vu quelques uns passer et je me suis peu à peu retrouvé avec des auteurs de ma génération dans le milieu de la bande dessinée. L’amitié que j'ai avec Gwen date de cette époque-là et elle n’a jamais baissée. Lui m’a ensuite fait rencontrer Fabien Wehlmann. Au moment où j’intégrais l’atelier, il commençait alors son projet Samedi et Dimanche chez Dargaud. Lui me voyait faire les pages de Victor & Anaïs et trouvait ça bien. Moi, je le voyais faire le scénario pour Samedi et Dimanche et Green Manor et je trouvais ça bien. Par des discussions, on a commencé à élaborer Le Marquis d’Anaon. Donc, voilà comment on s’est « trouvés ».

As-tu senti à un moment que tu prenais vraiment ton envol ?
MB : Je n’ai pas eu l’impression un moment qu’il y a un truc particulier qui m’ait lancé, en fait. C'est très bizarre, mais j'ai l’impression qu’il y a plusieurs parcours possibles. Il y a des gens qui font un album et qui les envoie tout de suite très haut. Moi, c'est un autre cas de figure : mes albums ont à chaque fois été un petit peu mieux repérés que les précédents. Ça m’a fait monté à chaque fois une petite marche en plus, je n’ai pas eu d’envol précis. Certes, il y a eu un moment très fort pour moi, qui a été L’Age de Raison, où je me suis retrouvé à avoir un peu plus confiance en moi que ce que je pensais. Et puis il a été récompensé par un prix à Angoulême, et ça, ça fait du bien. La reconnaissance et « en gros » le succès, montent doucement et sûrement (heureusement) depuis quelque années et c'est très agréable.

Copyright Bonhomme 2008 - Le marquis d'Anaon, recherche de couverture pour le tome 5La reconnaissance critique du Marquis d’Anaon, ça doit aider aussi ? (NDLR : nominé à Angoulême en 2007)
MB : ui, d’un côté, j’étais fier de représenter la seule BD de chez Dargaud. Si on voit la sélection dans son ensemble, là aussi j’étais très fier d’être parmi ces livres, que je trouve tous vraiment excellents. D’un autre côté, d’autres albums très bons auraient tout aussi bien pu s’y trouver, et j’aurais aussi très bien pu ne pas être dedans. Comparé à tous ces autres bouquins, je me demande même parfois ce que je faisais là… Cette année là, il y avait le Blutch, La Volupté, Lucille de Ludovic Debeurme… Et beaucoup d’autres que je n’ai pas lus et dont je sais que ce sont des monuments, dont Black Hole que j'ai sur mon étagère depuis des mois, que je veux lire, mais pour lequel je n’arrive pas à trouver le temps… Il y a des bouquins, ce sont de véritables bêtes de concours. On sent qu’il y a certains livres qui vont aller vers des prix tout de suite. Alors que Le Marquis, ce n’est pas une série « à prix » : c'est de l’aventure, de la série, c'est classique. Généralement, les albums à prix sont les albums plus courts, événements, one-shot, avec des sujets de société, un dessin un petit peu « nouveau ».

La reconnaissance du Marquis d’Anaon, ne vient-elle pas justement de sa capacité à réunir un maximum de lecteurs de tous bords.
MB : Je ne sais pas si c'est un avantage, même si c’est, pour Fabien et moi, très agréable. En fait, nous sommes tous deux « classiques de base » : dans notre jeunesse, on a été tous deux bercés par les BD classiques. Ce qu’on a envie de faire dans Le Marquis, c'est d’écouter nos émotions et essayer de mettre de côté cet aspect classique, pour vraiment raconter les choses, au sujet du personnage, au sujet de nos propres vies et de nos propres histoires. Du coup, c'est peut-être là que l’on diverge sur le classicisme. En réalité, on ne se pose la question de cette façon-là, on fait vraiment le truc qu’on aime le plus sincèrement possible. C’est pourquoi se retrouver dans la sélection d’Angoulême, avec des trucs pointus, je me dis que c'est un malentendu heureux. Et cela me fait très plaisir, parce que de fait, j'ai l’impression que cette petite part d’émotion plus personnelle a été perçue. C'est rassurant de se dire qu’on a réussi son coup !

L’avenir à court et à moyen terme, c'est quoi : enchaîner un Messire Guillaume, un Marquis d’Anaon et… peut-être autre chose ?
MB : Voilà ! J'ai aussi la série Le Voyage d’Esteban que je dois finir, puisque l’histoire fera trois albums. Et puis je vais me retrouver avec les deux autres séries après, Le Marquis et Messire Guillaume, qui dureront le temps qu’on a envie de les faire, le temps que le public a envie de les lire, le temps que l’éditeur a envie de les faire. En revanche, je garderai toujours de la place pour des projets personnels, tout seul, scénario et dessin. Il y a des choses que j’ai envie de raconter. J'ai envie de continuer à être mon propre scénariste et je ne veux surtout pas que des séries m’empêchent de m’exprimer. La fréquence des albums risque donc par moment d’en pâtir.

Tu as un grand besoin d’expression personnelle ?
MB : Travailler sur les histoires des autres, même si on en a discuté avant ensemble, ça reste scénarisé par quelqu’un d’autre. Cela représente une richesse d’un côté, puisque cela m’ouvre des portes sur des choses que je n’aurai pas racontées, des façons différentes de raconter. Cela m’oblige à me remettre en question sur ma palette de tics et mes réflexes de narration. Par contre, à l’inverse, cela représente une frustration : ce n’est pas toujours mon histoire telle que j’aurai voulu la raconter. Il faut donc un peu des deux.

Copyright Bonhomme 2008 - recherches de persos
Tu sens que tu as toujours une marge de progression, tu te relis parfois ?
MB : En permanence, je ne suis jamais content. A chaque fois que je fais un truc il y a deux attitudes qui vont s’entrechoquer en permanence, cela va être « Tiens, ce truc-là n’est pas si mal, tiens ce truc-là est vraiment pourri ». Et donc, il y a des fois où je me dis « Tant pis, ce sera pour le prochain ». Je ne pense pas me sentir un jour pleinement rassasié. J’ai encore beaucoup d’envies que je ne peux pas satisfaire.

Si tu étais un bédien, quelles seraient les BD que tu conseillerais aux lecteurs ?
MB : Il y aurait les trois que j'ai déjà citées, dont le Blutch que j'ai trouvé fascinant. Mais Blutch, je trouve génial tout ce qu’il fait, je le conseille à tout le monde, parce que graphiquement, c'est virtuose, et au niveau narration aussi. A chaque fois je trouve cela excellent, qu’il s’agisse d’humour ou de mystères… Il est super envoûtant, il est très fort, c'est vraiment le meilleur d’une génération. Sinon, parmi les anciens, le travail de Munoz en noir et blanc me plait beaucoup… Et puis les travaux de Pratt, je trouve cela à tomber, j’adore. Ce sont des ouvrages qui me nourrissent en permanence.

Si tu avais le pouvoir cosmique d’être dans le crâne d’un autre auteur de BD, chez qui est-ce que tu essaierais de voir les choses ?
MB : Je ne sais pas, parce que dans le crâne d’un auteur de BD des fois c'est très compliqué. Je ne sais pas si je trouverais un crâne moins compliqué que le mien, dans lequel je me sentirais plus à l’aise. Je n’ai envie d’être dans la tête de personne, même si des fois j’aimerais être un peu plus au calme. J’aimerais voir apparaître les images, l’impression de les faire apparaître.

Merci Matthieu !

Copyright Bonhomme 2008 - Croquis du Caire