interview Comics

Mike Huddleston

©Urban Comics édition 2013

Avec Butcher Baker, les amateurs de comics et de visuels hallucinés ont pu (re)découvrir le talentueux Mike Huddleston, un artiste qui nous avait enchanté au début des années 2000 avec Sarcophage. Depuis le début de l'année 2013, l'auteur n'a jamais été aussi présent dans les librairies françaises puisque pas moins de deux ouvrages sont sortis : Homeland Directive, un thriller politique totalement envoutant, et The Strain, un récit écrit par Guillermo Del Toro. Quelques mois après notre dernière entrevue, nos routes se sont de nouveau croisées lors du Comic Con parisien...

Réalisée en lien avec les albums Homeland directive, The Strain T1
Lieu de l'interview : Comic Con Paris

interview menée
par
31 juillet 2013

sketch Bonjour Mike Huddleston, peux-tu nous parler de ta collaboration avec David Lapham sur ta derrière série The Strain ?
Mike Huddleston : Mon travail avec lui est somme toute assez traditionnel ou commun à tous les comics. Je reçois ses scripts et je dois dire qu'ils sont particulièrement bon. Au passage comme il sait lui-même dessiner, il sait ajouter à son texte des descriptions très visuelles, mais il n'attend pas de moi un feedback particulier. Il travaille beaucoup avec Guillermo pour que son script lui donne satisfaction, alors il arrive de temps à autre que je suggère une petite modification, mais comme c'est déjà un travail d'adaptation, il n'y a pas trop de place pour cela.

Tu as prévu de travailler sur The Strain sur combien d'épisodes ?
Mike Huddleston : Le premier arc comptait 11 chapitres. Je travaille sur sa suite en 9 épisodes : « La chute ». Et le troisième volet, dont j'ai oublié le titre, en comptera 12. Donc, c'est un gros projet…Oui, c'est mon plus gros projet, celui avec lequel je vis pour un bout de temps. Je n'avais jamais travaillé sur un seul projet durant autant de temps.

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Sur The Strain, tu as pour une fois laissé la tâche de coloriste à quelqu'un d'autre...
Mike Huddleston : Oui, si tu fais référence à Butcher Baker ou Homeland Directive, où je faisais les couleurs, c'est une expérience complètement différente. D'abord, il y a la question des délais, chaque mois, il faut qu'un épisode soit édité. C'est donc une question de pouvoir répondre à la demande. Et The Strain n'est pas mon projet. Et puis Butcher Baker ou Homeland Directive laissaient plus de place à mon implication personnelle. S'il y avait quelque chose que je voulais faire, je n'avais qu'à essayer ! Là, c'est un peu comme travailler sous la coupe d'un réalisateur, même si la volonté de raconter au mieux une histoire reste la même.

Invincible Ta méthode de travail est-elle différente sur The Strain ?
Mike Huddleston : The Strain est complètement digital. C'est la première fois que je travaille entièrement sur ordinateur. En fait, les planches sont dématérialisées.

Est-ce que Guillermo Del Toro, qui est impliqué dans l'écriture des romans, t'a confié ce qu'il pensait de ton travail ?
Mike Huddleston : Oui, on communique régulièrement, car il est très impliqué, ce qui est très surprenant quand on sait à quel point il est occupé. Si j'ai besoin d'une indication, d'une précision, il me répond le jour même ! C'est un type très généreux, qui me motive et m'encourage sans cesse. Si je lui demande s'il aime ceci ou cela, il répond «c'est démentiel ! ». Alors oui, il est même très personnellement impliqué.

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As-tu le temps d'avoir d'autres projets ?
Mike Huddleston : Oui, j'ai des projets, mais ils sont prévus pour après The Strain. Ce que je fais simultanément est limité : des dessins préparatoires, des esquisses. Le rythme mensuel est tellement exigeant que travailler un autre comics en plus, ce n'est pas quelque chose que je peux faire. Donc oui, j'ai des projets, mais ils sont pour plus tard et on verra !

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Peux-tu nous parler d'Homeland directive, une de tes dernières créations sorties en France...
Mike Huddleston : Homeland Directive a été un nouveau départ pour moi. C'est une intrigue politique, rien à voir avec le genre super-héroïque. Je pense que c'est le bouquin sur lequel j'ai travaillé qui soulève un problème important. Bon, l'affaire de l'espionnage international, la NSA le prouve. Pour moi, d'un point de vue artistique, ça a été le début des expérimentations que j'ai pu continuer et perfectionner avec Butcher Baker en essayant de combiner plein de techniques et styles différents. Du point de vue artistique, ça a été pour moi un livre important.

dd Homeland Directive t'a permis de passer une étape avant de réaliser Butcher Baker, c'est ça ?
Mike Huddleston : Oui, tout à fait, Homeland Directiveest un peu le grand père de Butcher Baker. En fait l'un ne va pas sans l'autre…

Homeland Directive parle d'un pays meurtri par les événements du 11 septembre 2001. Quel regard portes-tu sur ce drame ?
Mike Huddleston : Je comprends que cela ne vous ai pas touché comme le peuple américain. C'est aussi du à la distance, mais aux USA, le 11/09 a vraiment bouleversé la culture. Et la question que vous soulevez est vraiment complexe. Je ne sais pas combien de temps on peut y consacrer, mais cette interview n'y suffira pas. (silence…) Bon, ce n'est pas quelque chose que je soutiens, mais je mesure aussi les enjeux. Mais face au contexte de la prolifération des armes, où n'importe quelle personne peut se doter d'engins de mort, je pense même aux bombes nucléaires et armes chimiques, il semble logique de se doter de moyens qui permettent d'identifier d'éventuelles personnes malintentionnées. Mais maintenant, on sait désormais que chaque appel, chaque mail a pu être surveillé par le gouvernement, enregistré et peut-être aussi sauvegardé. Nous aurions besoin du regard de la Justice sur de telles pratiques et c'est un fait qu'on puisse s'inquiéter de ce que l'Administration est susceptible de faire de ces informations. Cela ne correspond pas à l'esprit qui a fondé les USA , aux libertés fondamentales de la personne. C'est vraiment ce que je peux vous dire de la façon la plus brève possible, parce qu'on peut échanger des arguments durant des heures. Je ne sais pas si une nuit entière suffirait ! C'est vraiment une question qui traite d'un très gros problème…

Invincible Comment as-tu imaginé ton nouveau style sur Homeland Directive ?
Mike Huddleston : Hé bien, je me dois d'appréhender les choses de façon différente. J'aime bien me remettre en cause à chaque fois pour que d'un comic à l'autre, le style soit différent. Je venais de faire des épisodes de Gen 13 pour Wildstorm durant un an et passer à Homeland Directive était une sorte de grand écart. Un écart qui ne saurait être plus grand. Alors j'étais focalisé sur la question du « comment rendre l'histoire visuellement intéressante ? ». C'est une histoire réaliste, et là, il ne s'agit plus de jouer sur des trucs comme les super pouvoirs, et vas-y que je te crache du feu ou je ne sais quelle autre couillonnade… Donc là je me suis concentré sur les moyens de créer de l'intérêt et j'ai du prendre des risques, expérimenter…

Aurais-tu envie d'écrire des récits pour d'autres dessinateurs ?
Mike Huddleston : Ah… Alors j'ai une paire d'histoires que je suis en train d'écrire, mais c'est pour moi ! Si j'arrive à en tirer quelque chose qui me plaît, je ne les confierai à personne d'autre que moi pour les dessiner ! Oh non !

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Si tu avais le pouvoir de visiter le crâne d'un autre auteur pour en comprendre son génie, qui choisirais-tu ?
Mike Huddleston : Maintenant, ce serait Sergio Toppi. Je dirais que j'y trouve le même génie que Sienkiewicz, qui est vivant, donc je ne me permettrais pas de visiter son âme ! Mais quand je regarde leurs créations, je n'arrive pas à comprendre leur cheminement. La plupart du temps, même si cela concerne de grands artistes, tu regardes ce qu'ils ont fait et tu arrives à décrypter : ok ; là il s'y est pris comme ça, là il fait comme ci… Voici la structure, puis l'encrage et les couleurs… Mais la façon dont Toppi dessinait et peignait, ça m'échappe. Le résultat est splendide mais comment son cerveau a fonctionné pour concevoir et réaliser, pfff… je n'en ai aucune idée !!! Voilà, cette semaine, mon obsession va à Toppi. Une autre semaine, cela pourrait être un autre ! Merci !

Merci Mike !

Remerciements spéciaux à Julie Duthey pour sa bonne humeur et à Jean-Philippe Diservi pour sa présence et sa traduction !

Retrouvez également notre première interview de Mike Huddleston en cliquant ici !


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