interview Comics

Paul Renaud

©Delcourt édition 2014

Parmi les artistes français qui comptent aux USA, il y a irrémédiablement Paul Renaud. Le dessinateur toulousain s'est rapidement fait un nom en délivrant de sublimes couvertures puis au fur et à mesure des "interior pages". Avec un trait personnel ainsi qu'une palette de couleurs reconnaissable, Paul Renaud s'est imposé dans le paysage comics actuel. Collaborateur régulier de Rick Remender, un des scénaristes les plus en vue de ces dernières années, le frenchy a enchaîné des projets toujours plus importants. Alors qu'il vient de travailler sur Uncanny Avengers et sur Captain America, l'emploi du temps de Paul Renaud est toujours plus rempli. Pourtant, il a trouvé un large créneau pour répondre à nos multiples questions et évoquer notamment la sortie d'une de ses premières prestations sur l'album Athena...

Réalisée en lien avec les albums Athena, Iron Man (revue) – V 2, T14, Fear Agent
Lieu de l'interview : Le cyber espace

interview menée
par
10 août 2014

Paul Renaud Uncanny Avengers Annual Bonjour Paul Renaud, peux-tu te présenter et nous dire comment tu en es arrivé à faire de la bande dessinée ?
Paul Renaud : Je lisais énormément de BD, enfant, et encore plus de comics à l'adolescence. Après le décès de mon père quand j'avais 12 ans, j'ai ressenti le besoin me réfugier encore plus dans ces histoires, mais en lire ne suffisait plus. Je dessinais sans arrêt les aventures des héros Marvel sur des centaines de pages. Ce jeu thérapeutique s'est petit à petit transformé en passion pour la narration et le dessin. A tel point que j'ai décidé d'en faire mon métier. Ma mère ne m'a demandé que de finir le lycée, et m'a fait confiance pour le reste. Après mon BAC, j'ai rejoint un groupe de dessinateurs toulousains avec lesquels nous avons produit un fanzine de BD qui s'appelait Black Out.

Quelles sont tes influences ?
Paul Renaud : Elles sont américaines avant tout. Je pense particulièrement à Paul Smith qui dessinait les X-Men, ou encore Michael Golden, John Byrne, Arthur Adams, Alan Davis, Dave Stevens, et plus tard Adam Hughes, Bryan Hitch, JG Jones. J’étais aussi fasciné par le travail de Frank Frazetta, qui est une influence très importante dans mon travail, surtout sur les couvertures, mais aussi mes intérieurs. A la même époque, je suis littéralement tombé amoureux du travail d'Al Williamson, et de sa vision romantique du dessin réaliste. Mais c'est réellement Jean Giraud qui m'a fait passer le cap et donné envie d'en faire mon métier. Je suis un fan inconditionnel de Gir/ Mœbius.

Pourquoi avoir choisi de travailler dans les comics et pas, dans la bande dessinée ? Suis-tu ce qui sort en BD ?
Paul Renaud : Après avoir travaillé dans ce Fanzine, les éditions Soleil m'ont proposé de faire un album. Cette expérience n'a pas été concluante, et l'album n'est pas sorti. Avec le recul, c'est mieux comme ça. C'est après cette déception Paul Renaud que les éditeurs américains m'ont repéré, et offert du travail. Travailler pour les comics était mon rêve, et la seule raison pour laquelle je n'avais pas envisagé de le faire est que je pensais ça impossible. Mais bien sur, je continue à lire ce qui se fait en France. J'ai aussi beaucoup été influencé par des gens comme George Bess (immense dessinateur réaliste) Loisel, Vatine, Bajram, Lauffray, Rossi.... C'est aussi ça qui plait aux éditeurs américains.

Comment définirais-tu ton style ?
Paul Renaud : C'est difficile de parler de son style, car il est invisible aux yeux de l'artiste. Comme dit Denis Bajram, c'est la sommes de tous mes défauts qui fait mon style. J'aime la formule, alors je la lui pique! Je pense que j'ai un style réaliste assez classique. J'aime penser qu'il est difficilement datable, et qu'il aurait pu aussi bien fonctionner à toute les époques du comics. Sur Flash Gordon dans les années 50 aussi bien que sur les X-Men dans les années 80...ou maintenant. Un facteur important de mon identité visuelle si j'en crois les gens qui me suivent, ce sont mes couleurs.

En cherchant bien, j'ai vu que tes premiers travaux professionnels étaient sur Cavewoman. Quel souvenir gardes-tu de cette première expérience ?
Paul Renaud : Cavewoman a été une chouette expérience de camaraderie avec mon complice Richard DeDominicis (qui a écrit une courte histoire), et surtout une liberté totale. J'ai pu y faire mes premières armes, et me confronter aux délais à l’américaine. Je connaissais le personnage uniquement grâce à une petite histoire dessinée par Frank Cho, mais en lisant le reste, je me suis rendu compte du potentiel humoristique de la série. Le travail de Budd Root est moins superficiel qu'il n'y paraît. Je me suis bien amusé sur ces quelques comics. Le "good girl art" est une tradition très américaine dans laquelle j'ai eu plaisir à m'inscrire, sans complexe! Ces boulots ont aussi eu le mérite de me faire repérer par les plus gros éditeurs.


Paul Renaud Cavewoman


En 2006, tu as eu l'occasion d'illustrer un récit court de Fear Agent. Comment t'es-tu retrouvé sur la série de Rick Remender ? Que penses-tu de la série ?
Paul Renaud : Il a repéré mon travail sur internet. Les scénaristes de comics sont toujours à la recherches de nouveaux talents car ces derniers seront plus susceptibles de se lancer dans un projet indépendant, et donc mal rémunéré. A la même époque, Robert Kirkman m'avait aussi proposé une série. Dans le cas de Fear Agent, j'adorais le concept de cette SF à la EC Comics, façon Wally Wood. J'ai proposé à Rick d'explorer la veine plus romantique de ce genre, le côté plus héroïque tel qu'imaginé par Edgar R. Burrough dans son cycle de Mars, ou bien Flash Gordon. Rick et Hilary Barta m'on pondu un scénario sur mesure, et nous l'avons dédié à Al Williamson, le plus grand dessinateur de Space Opera.

Paul Renaud fear agent rick remender Tu as seulement fait quelques pages sur Fear Agent, avais-tu eu la possibilité de devenir l'un des dessinateurs réguliers (à la suite de Tony Moore ou de Jerome Opena) ?
Paul Renaud : Oui, Rick m'avait proposé d'en faire plus, mais je ne pouvais pas. Il m'avait aussi proposé de reprendre sa série Strange Girl, et quelques autres aussi. Rick et moi travaillons très bien ensemble, c'est pour quoi il me propose toujours toutes sortes de choses.

Tu es très vite devenu un artiste de cover très prisé. Chez Dynamite, tu as notamment réalisé de nombreuses couvertures de Red SonJa. Cet univers est très différent des précédents que tu avais l'habitude d'exploiter. Était-ce difficile ou au contraire salvateur ?
Paul Renaud : Etant un gros fan de Fantasy, de Frazetta à Hal Foster, j'étais ravis de pouvoir aborder le genre. Le seul hic, c'est que je devais réaliser toutes ces couvertures sans connaître le contenu des comics. Cela implique de faire des images suffisamment génériques pour ne pas induire une fausse piste. Au bout d'un moment, cela devient horriblement contraignant car il faut enchaîner le même type d'images encore et encore sans jamais raconter quoi que ce soit. J'ai eu le même problème avec Vampirella pour laquelle j'ai du faire une trentaine de couvertures d'affilé. Autant dire une seule image déclinée sur 30 versions. Même chose pour Dejah Thoris. Au bout d'un temps, on y perd forcément en qualité, et aussi un peu de son âme. Je reste fier de nombre d'entre elles, mais pour un perfectionniste comme moi, c'est dur d'avoir laissé passer celles qui témoignent d'un ras le bol total !

Paul Renaud guardians of the galaxy
Que préfères-tu faire : interior pages ou des covers ? Est-ce que travailler sur l'un ou l'autre implique une méthode de travail différente pour toi ?
Paul Renaud : Je préfère les pages intérieures, de loin. Cela représente beaucoup plus de travail, et c'est moins rémunéré que des covers, mais c'est plus nourrissant. J'ai la chance de pouvoir alterner les deux. Faire une couverture est comparable à un sprint. Il s'agit de faire une performance sur une très courte durée, d’être extrêmement réactif aux retours de l’éditeur , et de prendre le lecteur par la main pour finir par le laisser dans les mains de quelqu’un d'autre. Faire des intérieurs est plus une course de fond, d'endurance. La narration est plus importante que le beau dessin à proprement parlé, mais la problématique fondamentale finit toujours par être le délais. La question est : quel standard de qualité peut-on fournir avec les délais impartis ?

Après un épisode de Red SonJa réalisé en 2008 avec Rick Remender, tu as de nouveau eu la possibilité d'illustrer une série avec Athena. Pourquoi n'as-tu pas illustré l'ensemble ?
Paul Renaud : Je devais en effet illustrer l'ensemble de la série, mais ma mère est gravement tombée malade alors que je débutais à peine mes pages. J'ai laissé le choix à Dynamite de m'attendre, ou de continuer sans moi.

Le changement de style est assez brutal avec ton successeur, que penses-tu avec le recul d'Athena aujourd'hui ?
Paul Renaud : L'expérience m'a laissé un sentiment doux-amer, à l'image d'ailleurs de ma relation avec cet éditeur. J'aimais beaucoup le concept de faire revenir Athena de nos jours, mais je voyais le projet différemment. Après avoir designé la version sexy qu'il m'ont demandé, je me suis mis à travailler sur une nouvelle version plus guerrière en armure que je pensais plus appropriée. L'éditeur l'a approuvé, mais à ma grande surprise n'en a pas tenu compte lorsque le second dessinateur a repris la série. Avec le recul, je pense qu'ils voulaient juste leur version de Wonder Woman qui revisite la guerre de Troie Paul Renaud red sonja alors qu'un concept pareil aurait pu plonger ses racines plus profondément dans la mythologie. J'espérais plus de grandeur. Ma vision d'Athena, je l'ai explorée sur les couvertures dont la tonalité est très différente de l'histoire intérieure. Si vous regardez mes deux premières couvertures et la toute première page, vous avez là ma vision de ce projet avant que sa réalité ne me rattrape. Pour le reste, j'ai fait de mon mieux pour donner autant de classe possible à mes pages. Je suis quand même content de voire que Delcourt le sorte en France aujourd'hui car il y a certaines pages que j'aime encore beaucoup.

Tout en continuant à réaliser des covers pour Dynamite, tu as commencé par travailler de plus en plus pour Image Comics et Marvel. Comment se sont créés les passerelles ?
Paul Renaud : Marvel m'avait contacté avant que je ne commence à travailler pour Dynamite, mais je n'étais pas assez sûr de moi pour accepter leur offre. Après quelques années, je me sentais pris au piège de mes engagements envers Dynamite, et j'ai décidé d'accepter les proposition des autres éditeurs pour faire des couvertures. J'y ai découvert des relations de travail bien plus sereines. Les éditeurs de Dark Horse ou Marvel ont une volonté d'aller vers la qualité que je n'avait pas rencontrée jusqu'alors. Je crois avoir travaillé avec tous les plus gros éditeurs de comics pendant cette période, et cela m'a donné l'occasion d'aborder des sujets aussi variés que Star Wars, Conan, Donjons & Dragons, Mass Effect, ainsi que les héros Marvel.

Dernièrement, tu as réalisé un épisode entier pour Marvel avec l'annual de la série Uncanny Avengers. Peux-tu nous dire plus ?
Paul Renaud : Quand j'ai décidé d'arrêter de travailler pour Dynamite, j'en ai informé Marvel car je les savais intéressés pour me faire faire des intérieurs depuis longtemps. J'avais réalisé quelques pages sur Uncanny X-Men pour les dépanner, et ils m'avaient proposé d'en faire plus (ce que j'avais du refuser à cause de mes précédents engagements). Rick Remender a montré mon travail à Tom Brevoort, éditeur chez Marvel, Paul Renaud Uncanny Avengers Annual qui m'a immédiatement proposé cet annual d'Uncanny Avengers. Je travaille avec Tom depuis sur différents projets. Il m'a permis sur cet annual de faire moi-même mes couleurs, ce que je n'avais jamais pu faire avant ça. J'ai adoré le dessiner. Ce premier projet pour Marvel était idéal dans la mesure où il m'a permis de dessiner tellement de personnages de mon enfance. En plus des Uncanny Avengers, on y retrouve Ghost Rider, Doctor Strange, Blade, Satana, Man-Thing...et Mojo. J'ai toujours rêvé de dessiner un annual "à la Arthur Adams". Les fans comprendront !

Tu travailles souvent avec Rick Remender. Comment se passe votre collaboration ? Il a l'air d'être fidèle avec les artistes avec qui il travaille. Tu as déjà d'autres projets avec lui ?
Paul Renaud : Il est en effet très fidèle. Je ne compte plus le nombre de projet qu'il m'a proposé tout au long des années. Je n'étais jamais libre de dire oui. Mais les choses sont différentes maintenant, et je travaille avec lui le plus souvent possible car c'est toujours un immense plaisir. Nous avons les mêmes envies concernant le type de récits et des mécaniques internes de narration. On se retrouve à travailler de concert, dans une même direction où il n'y a plus d'ego. C'est extrêmement euphorisant. Il est très demandeur quant à mes idées, et je suis totalement ouvert à ses observations quant à la narration et au dessin. De plus, c'est un vrai perfectionniste, qui s’investit beaucoup dans ses projets. C'est aussi mon cas, alors on se comprend très bien. Nous avons commencé à parler de plusieurs idées de séries ou graphic novels, certainement pour Image.

Rick Remender est aujourd'hui scénariste mais il a longtemps oeuvré dans les comics comme dessinateur ou encreur. Est-ce que cela facilite la communication entre tous les deux ?
Paul Renaud : Oui, très certainement. Rick pense visuellement, et même s'il est très demandeur en terme de détails, il sait être réaliste. Il ne demande jamais l'impossible à ses dessinateurs. Ce n'est pas toujours le cas chez les scénaristes de comics qui parfois ont le sentiment d'écrire pour une série télé.


Paul Renaud uncanny avengers


Quels sont tes prochains projets ?
Paul Renaud : Je travaille sur un numéro de Captain America et quelques autres choses pour Marvel dont on ne peut pas discuter. Je vais aussi travailler pour DC Comics prochainement sur de nouvelles couvertures. J'ai aussi un projet de BD avec un scénariste français qui m’enthousiasme beaucoup.

Quel regard portes-tu sur le monde des comics aujourd'hui ?
Paul Renaud : Je pense que le niveau de qualité est incroyable. Il y a aussi une résurgence de projets très diversifiés chez les éditeurs indépendants (grâce à l'immense succès de Walking Dead). Le seul point que je regrette un peu, c'est la dominance actuelle des scénaristes dans le regard des lecteurs, mais surtout des éditeurs. C'est la période qui veut ça. On considère plus un projet comme une propriété intellectuelle à acheter, que comme le produit de la combinaison de deux talents. C'est pourtant ce mélange Paul Renaud Uncanny Avengers Annualqui a fait la gloire de Marvel dans les 60's. Stan Lee a eut le génie de reconnaître le caractère visuel des comics, et de laisser la narration aux dessinateurs. Aujourd'hui on a plus l'impression de lire des romans mis en image. Les scénaristes ne sont pas toujours très bon en mécanique de narration (même s'il faut reconnaître qu'ils sont meilleurs dialoguistes, et trouvent de meilleurs concepts)...et la lecture s'en ressent, quelque soit les efforts du dessinateur pour insuffler de la vie. C'est d'ailleurs pour ça que je choisis mes scénaristes avec attention aujourd'hui. Je retrouve l'excitation de lecture sur Hawkeye ou Daredevil : deux séries qui laissent le dessinateur responsable de la narration, ce n'est pas une coïncidence. On perd cette magie à trop diviser les tâches.

Avec qui rêverais-tu de travailler ?
Paul Renaud : J'ai déjà des projets avec certains d'entre eux, donc je ne peux pas vraiment les évoquer ici sans révéler prématurément des travaux en cours.

Quel personnage sur lequel tu n'as pas encore travaillé rêverais-tu de mettre en scène ?
Paul Renaud : Batman.

Es-tu un lecteur de comics et si oui, quels sont tes derniers coups de cœur ?
Paul Renaud : Oui, je lis beaucoup de comics. Récemment, j'ai adoré les nouveaux comics de Mark Millar. Starlight, avec Goran Parlov, MPH avec Duncan Fegredo, et Jupiter's Legacy avec Frank Quitely. J'aime beaucoup Daredevil, les titres X-Men de Bendis (surtout Uncanny X-Men), Thor God of Thunder de Aaron et Ribic, Uncanny Avengers de Rick, Fables de Willigham et Buckingham, Batman (mais à 90% pour Capullo), Hulk par Alan Davis. Les deux dernières claques que j'ai reçues sont Black Science et Deadly Class de Rick chez Image Comics.

Si tu avais le pouvoir cosmique de visiter le crâne d'un autre artiste pour en comprendre son génie ou son art, qui irais-tu visiter ? Et pourquoi faire ?
Paul Renaud : Mœbius sans aucun doute! Il est l'artiste qui m'a donné envie de faire ce métier, et je continue à me nourrir beaucoup de cette passion que j'ai pour son oeuvre, que ce soit en tant que Gir ou Mœbius.

Merci Paul !


Paul Renaud athena