interview Comics

Peter Tomasi

Bonjour Peter Tomasi, peux-tu te présenter ?
Peter Tomasi : C'est arrivé il y a de cela très très longtemps dans une galaxie très lointaine... C'était en 1992, donc il y a de ça longtemps. J'ai commencé en tant qu'assistant à l'édition, chez DC Comics puis j'ai lentement gravi les échelons jusqu'à devenir éditeur pour l'ensemble des titres Batman. A partir de là, j'ai eu la possibilité d'écrire pas mal de comics, pendant que que je travaillais chez DC Comics. A un moment donné, après en avoir parlé avec Dan Didio, il a été décidé qu'il vaudrait mieux me laisser écrire des comics à plein temps et on m'a offert cette opportunité. Moi j'ai dit "Bien sûr, tant que je gagne autant" et eux "Oh mais ça paie encore plus" et j'ai aimé cette idée. Ça a très bien fonctionné et ça m'a permis de rester à la maison avec mon fils et de le regarder grandir. Ça a été génial. Ça a commencé il y a donc très longtemps en apprenant tout d'abord le métier auprès des éditeurs qui m'avaient précédé, des grands comme Archie Goodwin. J'avais l'habitude de m'installer avec Archie, le matin, et de l'écouter parler aux auteurs et aux illustrateurs, du marché étranger et du marché américain. Rien qu'en écoutant ce que disaient les éditeurs de l'époque, quand on est plus jeune, on en apprend beaucoup. ça m'a été très bénéfique. Le temps passant, une fois en charge des titres Batman, je me suis retrouvé à devoir engager les différents auteurs et dessinateurs... J'ai une longue et très belle carrière, chez DC Comics.

Quelles sont tes influences ?
Peter Tomasi : Je dirais... Les choses avec lesquelles j'ai grandi. J'adorais les comics DC et Batman et le Shadow figuraient parmi mes préférés. Les comics sur la guerre et les western étaient parmi mes favoris, aussi, et les comics historique - j'adore l'histoire. Les histoires de guerre et de western, donc, avec les aventures de Batman et du Shadow étaient mes favoris mais il y avait aussi quelques personnages Marvel que j'appréciais. Mais en ce qui concerne Batman, pour ce qui est des illustrations, mes préférés étaient ceux illustrés par Jim Aparo, à l'époque. Et les histoires de Dennis O'Neil ou encore Bob Haney sur Brave and the Bold... Quand j'était jeune, j'aimais beaucoup ces histoires. Je n'imaginais pas faire carrière dans les comics, à l'époque. Je voulais être un joueur de base-ball ou encore réalisateur, et ce dès le plus jeune âge. Je réalisais des films à l'âge de 7 ou 8 ans, à l'aide de notre caméra super 8. Au final, je suis tombé amoureux des comics. Même j'avais arrêté de les lire pendant un temps ; quand j'étais à la fac, je suis tombé sur le Daredevil de Miller et Mazzucchelli et ça m'a replongé dans les comics. C'était l'époque de Watchmen, Dark Knight, etc. Voir à l'époque la forme que prenait le média en étant plus âgé moi-même m'a permis de voir qu'il était possible d'avoir des comics avec un traitement plus adulte. J'ai alors commencé à me dire que je pouvais peut-être gagner ma vie en écrivant des comics. Mais percer dans le métier a été très difficile, vraiment. J'ai compris à ce moment là que beaucoup d'auteurs commençaient en tant qu'assistants à l'édition au sein d'une compagnie avant de faire leur trou et alors seulement ils écrivaient leurs comics. Je me suis alors dit que ce serait la meilleure manière de faire et j'ai eu beaucoup de chance de pouvoir démarrer ainsi. J'ai travaillé pendant 15 ans en tant qu'éditeur pour DC Comics et ça fait aujourd'hui 8 ans que je travaille en tant qu'auteur freelance, exclusivement pour DC Comics.

Marvel n'a jamais essayé de te débaucher ?
Peter Tomasi : Ils ont essayé ! Oui, oui, ils ont frappé à ma porte mais DC Comics a toujours été cool avec moi, depuis des années. Donc autant j'aime les personnages Marvel, le moment n'a jamais été opportun. DC Comics arrive toujours à me garder dans son giron.

Que penses-tu de tes premiers scénarios ?
Peter Tomasi : Je trouve que j'avais souvent tendance à en écrire de trop, à mettre trop de mots. Je pense que le secret est que, quand on travaille avec un grand illustrateur, on a des illustrations, des décors et des expressions faciales si expressives que l'on peut se permettre de simplifier les dialogues. L'idée étant de travailler avec l'artiste adéquat et d'arriver à une confiance mutuelle afin de pouvoir faire de son mieux, en prenant son temps. Quand je revois certains de mes premiers projets, je me dis que j'avais tellement travaillé sur la réalisation de films, une chose que j'ai faite longtemps avant d'entrer chez DC Comics quand j'avais 29 ans, que mes connaissances en matière de réalisation influençaient mon travail sur les comics. Je visualisais toujours en premier la page que j'écrivais et je donnais donc beaucoup d'indications au dessinateur sur la manière dont la page devait être illustrée. L'artiste ajoutait alors sa contribution. C'était une bonne relation de travail.

Peux-tu nous parler de ta collaboration avec Patrick Gleason sur Batman & Robin ?
Peter Tomasi : Bien sûr, Pat et moi travaillons ensemble depuis maintenant très longtemps. Je l'avais engagé alors qu'il était encore adolescent. Je crois qu'il avait fait une histoire de Hawkman pour moi, quand j'étais éditeur, puis il a été sur Green Lantern Corps pendant un moment. Puis, quand je suis devenu auteur freelance auprès de DC Comics, on a aussi travaillé ensemble sur Green Lantern Corps pendant pas mal de temps. C'est un de ces cas de figure où l'on travaille pendant tellement longtemps avec un artiste que l'on commence à penser chacun à la manière de l'autre, on devient un peu comme un couple marié, on est en harmonie. J'écris pour lui en sachant quels sont ses points forts mais aussi mes propres faiblesses, celles qu'il peut rattraper. Chaque mois, je lui communique un script complet puis on échange tous les deux autour de l'histoire, des illustrations... Encore une fois, c'est une de ces relations où l'on se connait depuis si longtemps qu'on en retire un réel confort. Ce que j'aime avec Pat, c'est qu'il peut aussi bien illustrer les grandes scènes d'action que les scènes minimalistes, plus humaines et plus émouvantes. C'est en ça très proche de l'écriture comme j'aime la faire. J'apprécie les scènes d'action mais mais c'est aussi très agréable d'avoir à sa disposition un illustrateur capable de capturer les petites interactions que peuvent avoir les personnages entre eux.

Ton écriture sur Green Lantern Corps est très différente de celle de Batman & Robin...
Peter Tomasi : Le principal avantage du fait de passer de Green Lantern Corps à Batman & Robin, c'est le nombre de personnages bien plus réduit ! [rires] Et je sais que Patrick a lui aussi apprécié cet aspect. Quand je lui ai dit pour Batman & Robin, il a fait "OUAIS" ! [rires] Il était très content. C'est effectivement différent. Quand j'écrivais sur Green Lantern Corps, je tenais à jour un diagramme sur lequel je reportais les noms des personnages et, après une douzaine de numéros, je me disais qu’émotionnellement parlant, je voulais placer tel personnage ici et l'autre là, etc. J'avais donc toujours ça en tête ainsi que sur une feuille de papier, dans mon bureau, de manière à pouvoir garder à l’œil l'évolution de chaque personnage, d'un point de vue émotionnel. Il est alors très difficile de s'en sortir avec beaucoup de personnages. C'était donc beaucoup plus facile avec Batman & Robin car ça parle d'une relation père-fils et mon fils a le même âge que Damian. C'était difficile donc de gérer la mort du personnage. Mais c'était quand même bien de pouvoir se concentrer sur la relation du père avec son fils plutôt que sur un énorme conflit galactique, c'était bien de pouvoir faire autre chose.

Tu arrives parfaitement à retranscrire les relations père-fils dans Batman & Robin...
Peter Tomasi : Ce n'est pas dur quand on a un fils du même âge ! A un moment, dans la série, Damian se saisit d'une des bottes de Batman et la plaque contre la sienne pour voir la différence de taille entre les deux. ça m'est venu d'un jour où j'étais dans mon garage avec mon fils, Alex, et qu'il a lui-même pris une de mes baskets puis une des siennes et les a comparées. Je me suis dit que c'était un joli moment et que je pourrais m'en servir plus tard. On écrit toujours, dans sa tête, on ne peut pas s'en empêcher. Ce sont des choses comme ça que l'on extrait de sa propre vie pour les injecter dans l'histoire.

Comment gères-tu les impacts des events dans Batman & Robin ?
Peter Tomasi : Je le savais alors même que j'étais éditeur sur la série. A l'époque, on cherchait un nouvel auteur et, comme j'étais aussi éditeur sur All-Star Superman, on a passé la main à Bob Shrek. Peu de temps après, comme j'avais travaillé avec Grant Morrison sur Seven Soldiers of Victory, je me suis dit que ce serait super si Grant pouvait travailler à la fois sur Batman et sur Superman. Je le lui ai alors dit: "Hey, tu pourrais travailler sur ces deux super-héros en même temps !". Je suis ensuite allé voir l'éditeur en lui disant "Que penses-tu d'avoir Grant sur les deux titres ?" et il m'a dit "Ok, si tu arrives à l'avoir". J'ai donc passé une heure au téléphone avec Grant, à le convaincre de reprendre la deuxième série. A ce moment là, la première idée de Grant était de tuer Damian. Donc je le savais déjà, alors que je n'étais qu'éditeur. On était là à se dire "Il peut peut-être y passer maintenant" "non, non, attends !" Il persistait à repousser l'échéance. Ils ont donc continué à repousser la mort de Damian jusqu'au moment où j'ai quitté le poste et là Grant a dit "je pense que je vais le tuer maintenant !" [rires] Super ! Mais ça a marché dans le sens où ça m'a permis de raconter un certain genre histoires se basant sur l'idée que je savais ce qu'il allait se passer, ça s'est construit autour de ça. D'une certaine façon, ça a été bénéfique. Mais parfois, la compagnie a tendance à mettre un carcan autour de vos scripts, on devrait laisser plus de marge et permettre aux séries de vivre leur vie. Mais autant les gens disent toujours "on ne veut plus de crossovers, plus d'events" autant les chiffres disent le contraire car ils grimpent à chaque fois que l'on en fait un. Dans ce cas, la compagnie peut se dire "on arrête d'en faire" mais quand on voit les chiffres, forcément "vous en voulez plus ? On va vous en donner plus !"

A quoi peut-on s'attendre dans les prochains opus de Batman & Robin ?
Peter Tomasi : Beaucoup de choses. Aujourd'hui, on a déjà sorti cinq volumes aux Etats-Unis. On a une grosse histoire autour de Double-Face qui arrive, une histoire dont je suis très fier et sur laquelle Patrick s'est déchiré. Ensuite... Il y a tellement de choses dont je ne peux pas vous parler pour ne pas vous gâcher la surprise ! Le principal, dont tout le monde est au courant, est que Batman va accomplir un long périple afin de tenter de ramener Damian parmi nous. Et cette odyssée va le mener à Apokolyps. Je voulais sortir Batman de son cadre habituel de Gotham City, je voulais l'emmener ailleurs, en un lieu où l'on pourrait lui faire vivre quantités de choses délirantes, laisser Pat dessiner autre chose qu'un cadre urbain. On en a parlé et il me disait "Bon sang, si seulement on pouvait le sortir de sa ville " alors moi "Allons à Apokolyps" [rires]. On a donc cette histoire qui se déroule dans l'espace mais c'est quand même dans un cadre très réduit. Beaucoup d'action mais aussi beaucoup de cœur avec la relation père-fils... Même si Robin est mort depuis maintenant un long moment, du moins aux États-Unis - deux ans, maintenant, je crois -, il est toujours présent dans la série, son esprit est toujours là.

As-tu le temps de développer d'autres projets ?
Peter Tomasi : Pas beaucoup. Je suis sur Superman & Wonder Woman, avec Doug Mahnke et je crois que le premier numéro vient juste de sortir cette semaine. On est aussi en pourparlers pour une autre série dont je ne peux pas vous dire grand chose pour l'instant. Il y a deux séries indépendantes : The Light Brigade que j'avais écrite il y a un moment de ça pour DC Comics et dont les cinq volumes ont été rassemblés... Peter Snejbjerg est un fabuleux dessinateur ! DC Comics, qui avait les droits, nous les a remis à moi et à Peter et Dark Horse Comics vient d'en sortir une belle édition en hardcover. L'autre titre, The Mighty, avec Peter Snejbjerg et Chris Samnee, sortira en décembre, toujours chez Dark Horse Comics. J'ai eu de la chance que DC Comics, quand ils ont réalisé qu'ils ne feraient rien de ces titres, nous ait permis de les récupérer.

Si tu avais le pouvoir cosmique de visiter le crâne d'un autre artiste, chez qui irais-tu et pourquoi faire ?
Peter Tomasi : Hmm, bonne question. je dirais... Je suis un grand fan de John Steinbeck, c'était un de mes auteurs préférés quand j'étais jeune. J'aimerais bien pouvoir fouiller un peu dans son cerveau. En comics, je dirais probablement Frank Miller. Le Dark Knight et le Daredevil de Frank Miller ont été parmi mes grandes influences quand j'ai décidé de revenir aux comics. ça a changé la manière dont je percevais les comics et puis, bien sûr, Alan Moore. Rien que pour Miracleman, tout ça. C'était le bon moment pour être à la fac, alors que tous ces titres qui sortaient à ce moment-là. Je ne sais pas vraiment ce que je voudrais y trouver, peut-être rien que la manière dont ces histoires leurs venaient, comment ils parvenaient à faire le tri dans leurs idées pour choisir une histoire en particulier et dire qu'il faudrait raconter celle-là, à ce moment-là. Oui, ça j'aimerais bien.

As-tu remarqué un changement dans la création des comics depuis qu'ils sont devenus très populaires ?
Peter Tomasi : Je pense que, d'une certaine façon, oui. Les deux grandes compagnies ont compris, aujourd'hui, la valeur de leurs différentes propriétés intellectuelles, au niveau mondial ainsi que combien ces propriétés pouvaient leur rapporter. Aujourd'hui, les gens en haut de la hiérarchie prêtent certainement beaucoup d'attention à ce qui se passe en-dessous d'eux. A l’époque où j'étais éditeur, ça ne se passait pas comme ça. Chacun engageait ses auteurs et ses dessinateurs, on était nos propres patrons. ça a pas mal changé, à ce niveau-là. Beaucoup plus de gens sont impliqués. Voilà, tout a changé, que veux-tu y faire ?

Merci Peter !

Remerciements à Louise Rossignol pour l'organisation de cette rencontre, à Mathieu Auverdin pour ses questions additionnelles et à Alain Delaplace pour la traduction.


Peter Tomasi Batman & Robin


PAR

22 novembre 2014
©Urban Comics édition 2014

Éditeur depuis plus d'une quinzaine d'années chez DC Comics, Peter Tomasi a tenté l'aventure de scénariste depuis le milieu des années 2000. Après quelques essais concluants, DC Comics lui confia l'écriture de deux séries : Green Lantern Corps et Batman & Robin. Dans des styles très différents, Peter Tomasi a su convaincre les lecteurs avec des récits de qualité et qui sont parfaitement intégrés à la storyline des événements de l'univers DC . Alors que le second opus de Batman & Robin venait de sortir en librairie, nous avons eu le plaisir de passer un moment à ses côtés et le questionner sur ses différentes facettes...

Réalisée en lien avec les albums Batman et Robin T2, Green Lantern T3, Batman et Robin T1, Geoff Johns présente – Green Lantern, T5
Lieu de l'interview : Paris Comics Expo