interview Bande dessinée

Renaud Garreta et Fabien Nury

©Dargaud édition 2011

En quelques années, Fabien Nury est passé du statut de « scénariste prometteur en vogue » à celui de champion du box-office. Toutes ses séries cartonnent et à juste titre : elles sont toutes simplement excellentes. Récompensé lors de l’édition du festival Angoulême 2011 par le prix de la série (pour Il était une fois en France), le bonhomme vous séduira tout autant avec Le maître de Benson Gate ou La mort de Staline, dans des registres toujours précisément imprégnés d’Histoire. Mais il scénarise aussi pour le cinéma (Les brigades du Tigre) et nous promet un XIII Mystery à venir… Pour Benson Gate, il s’allie au talent réaliste de Renaud Garreta et retranscrit une puissante saga familiale et pétrolière dans les années 20 américaines, quelque part entre Le Maître de Ballantrae et Le Parrain. Les deux auteurs ont accepté de revenir ensemble sur leur recontre et leur série...

Réalisée en lien avec les albums Le maître de Benson Gate T3, Il était une fois en France T4, La mort de Staline T1
Lieu de l'interview : festival d'Angoulême 2011

interview menée
par
7 février 2011

Renaud et Fabien, bonjour ! Pouvez-vous vous présenter en quelques mots et nous dire comment vous en êtes venus à faire de la bande dessinée ?
Renaud Garreta : Je m’appelle Renaud Garreta, j’ai 47 ans depuis peu, je suis marié et j’ai 3 enfants. Depuis l’âge de 2, 3 ans, je dessine et ça m’a toujours passionné. Maintenant, on me paye un peu pour faire ça, je suis content. En fait, j’ai démarré ma carrière dans la publicité. D’ailleurs, je continue encore à travailler dans ce milieu car je suis story-boarder et designer aussi un peu pour le cinéma où j’ai bossé sur quelques prods. Ma première bande dessinée était une série sur l’aéronautique, légèrement d’anticipation, qui s’appelait Fox-one. J’ai alors travaillé avec Dassault et l’armée de l’air. La série a connu un bon succès, même si elle a du être arrêtée pour raisons personnelles. Après cette série, comme j’avais un peu de temps devant moi, j’ai bossé sur Insiders et maintenant je travaille sur Le maître de Benson Gate avec Fabien Nury et j’en suis ravi.
Fabien Nury : Bonjour, Fabien Nury, 34 ans, scénariste d’origine ardéchoise habitant Paris. Je suis scénariste à plein temps depuis 5 ans, maintenant. Voilà, ça c’est moi à peu près… Un gentil scénariste, qui écrit en fait des histoires un peu sombres.


Comment vous êtes-vous rencontré sur cette série ?
Fabien : Dargaud nous a fait nous rencontrer. Cette série, c’est une vielle histoire pour moi. Elle fait partie de mes vieux projets. Peu de temps après WEST, j’avais eu cette idée de transposer en quelque sorte Le maître de Ballantrae de Stevenson, dans l’univers du pétrole. Et de recréer, à travers cela, cette lutte fratricide des années 1920 qui me paraissait une période fertile avec une révolution, la prohibition, etc. Cette histoire a bien plu chez Dargaud et ils ont envoyée ce scénario à Renaud Garreta, très bon dessinateur réaliste. Renaud l’a lu et cela lui a plu. C’est parti comme ça. Ce n’est qu’après qu’on est devenu copain.

Comment se passe votre collaboration ?
Renaud : On communique surtout par mails, bien sûr. En fait, on ne se voit pas très souvent, surtout que je n’habite plus à Paris depuis début septembre. Mais on trouve toujours un moment pour se voir. En tout cas, chaque année, on se fait un petit séminaire, qui passe notamment par un petit match de tennis juste pour se tirer la bourre un peu. Je vais chez Fabien quelques jours afin de travailler aussi sur le découpage de l’album et voir les réglages à faire.

Le tome 4 est en préparation… pouvez-vous nous donner quelques pistes sur la suite des évènements ?
Fabien : En fait, j’ai déjà fait ça sur une autre série, mais la fin de la série se trouve sur la planche une du tome 1, qui démarre en 1924 au sud du Mexique. Donc, à tout moment on peut boucler la boucle. Après, tout ce qui s’est passé entre deux, cela reste à établir. La finalité, de toute façon, se produire en l’année 1924. Sinon on va devoir changer les planches du tome 1 et on n’a pas très envie, car elles nous plaisent fort bien.
Renaud : Actuellement [NDLR : fin janvier 2011], je suis sur les planches du tome 4. Il y a déjà un tiers de l’album qui est fait.


La réalisation d’un album comme celui-ci, comment ça se prépare au niveau des décors ?
Renaud : Je suis déjà allé aux Etats-Unis, 2, 3 fois dans ma vie. Dans ce cas là, on découpe l’album pour connaître exactement les choses spécifiques dont on a besoin. J’ai pas mal de photos des USA mais je les utilise assez peu, finalement. J’utilise surtout Internet pour trouver les documents et les photographies dont j’ai besoin. Les décors, dans le tome 3, et surtout le tome 4, vont être dans l’esprit du western. Ce sont des décors que l’on a vu assez souvent, moins difficiles à imaginer, finalement. Les deux premiers albums étaient plus compliqués, car je devais recréer la ville de Boston dans les années 1912 / 1915. Le web permet vraiment de retrouver tout ce dont on a besoin pour s’inspirer.

Fabien, l’idée d’une histoire dans le monde pétrolifère, comment ça t’est venu ?
Fabien : Il y a 10 ans, j’ai lu et relu le roman de Stevenson Le maître de Ballantrae, qui depuis a été adapté, fort bien d’ailleurs, par Hippolyte. L’histoire est celle d’une lutte fratricide qui s’étend sur une dizaine d’année au milieu du XVIIIe siècle en Ecosse. Je me suis dit : tiens, deux frères, un seul héritier, ça c’est un bon challenge… simple. Je me suis demandé alors ce que je pourrai trouver comme décors ou plutôt comme situation familiale rappelant une forme de féodalité… En fait, l’empire pétrolier du début du siècle dernier, c’est pas mal comme féodalité. Ce qui me plaisait beaucoup, aussi, c’était la naissance des grandes fortunes américaines, de type Rockfeller. De nos jours, ce sont des grands noms de sociétés, de marques. Mais au départ, tout cela s’est construit dans le sang et cela reste assez peu connu. La standard oil, c’était des équipes de tueurs qui se répartissaient dans tous le Texas et ainsi de suite… Le film There will be blood porte très bien son titre pour cet aspect là. Et donc, je me suis dit que cela pouvait être franchement intéressant, parce qu’il y avait des crimes, des choses de ce genre, et pourtant ce n’était pas des gangsters. Je n’étais pas non plus dans le cliché « famille mafieuse », et puis il y avait la possibilité de faire juxtaposer naturellement des univers différents les uns des autres, comme la bonne société bostonienne et le sud du Mexique. Le pétrole, il vous emmène un peu partout, c’était ça l’idée du sang noir de ce siècle. Je me suis dit que c’était un sujet assez parlant, évidemment. C’est une période tragique des années 10 et 20 et donc riche en destins. J’ai simplement retenu le canevas de départ du roman et la narration par ce serviteur ambiguë, qui était le narrateur dans le roman. Parfois, d’autres narrateurs tels que Duke Malloy apparaissent dans le tome 3, de la même manière qu’il y avait ça aussi dans le roman. Il faut juste qu’il y ait un bon frère et un méchant frère : le bon « hérite » et le méchant, c’est le personnage démoniaque. Il est séduisant mais aussi diabolique : de lui, on n’a pas son point de vue, on n’a que des gens qui vous disent : je l’ai vu… Ça, ça produit un bon effet pour le personnage, il est presque doué d’ubiquité, il apparaît presque toujours là où on ne l’attend pas. La violence organisée qui règne est celle de Richard, l’affairiste, qui finalement est beaucoup moins « sexy » que celle de Calder, qui se salie les mains. L’aventurier reste quand même plus apprécié que l’affairiste. Pourtant, au début du tome 3, Richard rend visite à une exploitation dans une ville dont dépendent 2 à 3000 personnes employés ; lui, d’une seule décision, il fait perdre leurs jobs à tout ces gens là. Finalement, c’est plus violent dans le fond que les actions aventurières de Calder avec un ou deux meurtres. Il a du mérite, car il emmène quand même le lecteur à la recherche d’un trésor au fin fond du Mexique. Il reste plus séduisant, au final, que l’autre.

Au départ, quand tu écris l’histoire, as-tu un penchant pour l’un des deux frères plus que l’autre ?
Fabien : Non, les deux me plaisent bien. Honnêtement, je me suis fait très plaisir dans Benson Gate tome 2. Je savais que l’autre, Richard, il allait hériter et devenir le patron de Benson Oil. Je savais que ce serait un affairiste sans scrupule. Sachant cela, je commence par en faire un assistant du procureur, droit dans ses bottes, moraliste, etc. Ainsi, plus dur sera la chute et c’est ça qui m’intéresse précisément. Au début, c’est un redresseur de tords… et puis il découvre que son père est complice des pires crimes, qu’on a laissé sévir un tueur sexuel juste pour masquer des affaires véreuses… Et le gars Richard choisit le pouvoir. C’est un trajet à la Michaël Corleone : « je voulais pas être mafieux comme papa ! » N’empêche qu’il a un fond de brute et qu’il reste une brute. Après, en tant qu’affairiste, Richard a des armes conséquentes. Et Calder, en tant qu’aventurier, a lui-même un autre style et d’autres armes. Quand arrivera leur affrontement, il est susceptible qu’il produise une jolie étincelle. Le tome 4 sort en août, et on va y boucler le cycle mexicain de Benson Gate. On saura alors ce qu’il est advenu de Calder Benson, avant la mise en place du cycle central qui est, en fait, le gros affrontement entre ces deux hommes. Je rattache d’ailleurs leur affrontement avec un évènement réel qui secoue la ville de Boston : les grandes émeutes de 1919 [NDLR : Le boston police strike]. Avant ça, bien sûr, il faut savoir ce que Calder a été faire au fin fond du Mexique… La suite dans l’album 4 que Renaud est en train de terminer et qui fera 54 pages.

Fabien, as-tu d’autres projets ?
Fabien : Alors oui, j‘ai plein d’autres projets. Là, je fais La mort de Staline avec Thierry Robin et c’est un vrai bonheur. Ça y est, Staline est mort et on est en train de prévoir les funérailles… et on s’éclate. Je m’éclate à chaque fois que Thierry m’envoie des planches, c’est super. En plus, le succès est là, le bouquin marche super bien, les gens ont l’air d’aimer, d’apprécier ce qu’on a voulu faire. Ça fait très plaisir, bien sûr. La série Il était une fois en France marche très bien aussi. Il me reste deux tomes avec Sylvain Vallée et ça reste aussi un grand bonheur pour moi d’avoir bouclé la saga de Joanovici. Je fais un one-shot sur l’esclavage avec Brüno qui ne sera pas une histoire rigolote non plus. Il y a aussi un XIII mystery sur Steve Rowland pour 2012. On chôme pas…

Et toi, Renaud, as-tu un autre projet en dehors de Benson Gate ?
Renaud : Oui ! Là, j’ai le projet en 2012 d’un one-shot et après ça, je vais lancer une nouvelle série dans laquelle je fais tout : du scénar au dessin, avant d’attaquer le tome 5 et le tome 6 de Benson Gate.

Si vous aviez, tous deux, le pouvoir cosmique de visiter les méninges d’un auteur, ça serait qui et pour y faire quoi ?
Renaud : Alors moi, au niveau dessin, c’est et ça restera Jean Giraud alias Moebius. Je pense que c’est lui que j’admire le plus en tant que dessinateur. Je préfère le côté Jean Giraud avec Blueberry, c’est mon côté réaliste dans le dessin qui parle. Je trouve qu’il a un trait fabuleux. J’aime bien aussi Bilal et Uderzo dans Tanguy et Laverdure. Voilà…
Fabien : Il y a 4 ans, j’avais répondu Charlier et je répondrai bien Charlier de nouveau… Mais je pense aussi à Greg. Greg c’est top, j’ai relu Bernard Prince et les Comanches, c’est de la balle… Un contemporain que j’aime aussi, moins connu, c’est Nicolas Juncker avec D’Artagnan. Alors lui, j’aimerais vraiment savoir ce qu’il a dans la tête car il est vraiment bon.


Merci à vous deux et bonne continuation pour la série !