interview Bande dessinée

Samely et Aurélien Morinière

©Emmanuel Proust Editions édition 2011

Elle est novice dans l’univers de la bande dessinée ; lui a déjà pas mal bourlingué. Ils partagent un même univers fantastique, peuplé de créatures improbables, provenant des origines du monde. Aux quatre éléments s'ajoutent l'éther, essence de toute vie. S’inspirant de différentes mythologies, Samély et Aurélien Morinière ont imaginé Aethernam, un diptyque dont la conclusion vient de paraître en novembre 2011. Amateurs de symbolisme, cette série est faite pour vous ! N’ayez pas peur : entrez dans le monde d’Aethernam !

Réalisée en lien avec l'album Aethernam T2
Lieu de l'interview : Festival d'Angoulême 2011

interview menée
par
21 décembre 2011

Bonjour Samély, bonjour Aurélien. Si on connaît bien le second, Aethernam est toutefois la première bande dessinée signée Samély ?
Samely : C’est effectivement ma première bande dessinée. L’écriture est, en revanche, quelque chose qui m’est connue. J’ai écrit des scénarii de jeux de rôle et j’ai commencé un roman… qu’Aurélien m’a obligée à interrompre ! J’ai rencontré Aurélien un peu par hasard. Lui et moi partageons un même univers. Je suis passionnée d’Histoire, de légendes, de mythologies. J’ai beaucoup voyagé et toutes les cultures m’intéressent.

Encore une fois, Aurélien, on te retrouve sur une série de genre fantastique…
Aurelien : Oui. Naturellement, je m’oriente plus vers ce genre, vers ce qu’on a créé avec Aethernam – même si sur Tengiz, le fantastique intervenait peut-être de manière plus progressive. Quand je dessine, j’ai cette envie de raconter des choses un peu barrées. Avec Aethernam, on est tout de suite dedans !

Le titre prend le risque de désarçonner le lecteur autant que de l’intriguer. Comment est née cette série ?
Samely : Elle est née du principe de notre conception du fantastique. Un fantastique qui fait irruption dans notre vie de tous les jours. C’est la rencontre – le choc – de deux univers qui nous séduit. Avec Aurélien, nous avons beaucoup discuté pour trouver cette idée et c’est parti de quelque chose d’anecdotique. Un soir, je regardais un immeuble près de chez moi dont seule une petite fenêtre était éclairée. Et j'ai imaginé qu’il se passait peut être des événements étranges et fantastique derrière cette fenêtre anodine…
Aurelien : C’est aussi parti d’un film comme Cabal de Clive Barker (1989). L’idée d’un univers souterrain dont les créatures étranges, inquiétantes, émergent d’un coup dans la réalité. Puis, nous sommes allés vers plus de mythologie pour un résultat plus éthéré.

Samély, quel parallèle peut-on faire entre ton activité de conteuse de jeux de rôle et la bande dessinée ?
Samely : Un conteur de jeux de rôle s’attache à faire vivre des personnages, ceux qui seront incarnés par les joueurs et ceux qu’ils rencontreront. Et c’est un peu l’idée ici aussi : je m’attache d’abord à faire vivre des personnages plutôt qu’à l’histoire proprement dite.
Aurelien : Nous avons bâti des personnages avant même d’avoir l’histoire complète. Leur psychologie – ils ont des obsessions, des névroses – induit et construit la trame de l'intrigue.

Pourquoi la place Saint-Michel à Paris pour commencer ?
Aurelien : Il fallait cette idée du quotidien pour que l’histoire devienne crédible...
Samely : … Et la place Saint-Michel est un endroit hautement symbolique. Il y trône la statue du combat du Bien contre le Mal, incarné par Saint Michel et le dragon. Le personnage de Dante – notre héros – doit affronter des créatures qui sont loin d’être des anges...

La symbolique occupe une place essentielle dans la série.
Samely : Quand Aurélien et moi avons cherché le nom des personnages, nous n’avons pas choisi la facilité. Nous voulions des noms qui rappellent les origines du monde. Les Aborigènes ont un langage intéressant en ce sens, puisque leur mythologie parle des origines de l’univers. Nous nous sommes inspirés des termes désignant le père, le mari, la femme, les éléments, la cendre, le sable, etc.
Aurelien : De fait, tout est lié. Il est difficile d’établir une chronologie de l’élaboration de la série. Rien n’est complètement gratuit. La psychologie des personnages, leurs noms inspirés du langage aborigène, l’histoire, etc. tout cela vient en même temps. Si une chose ne colle pas, on le ressent. S’il faut en modifier une autre, aussi. Par exemple, en fin du tome 1, un cahier détaille le travail de composition du personnage de Waathawun. A l’origine conçu comme organique, il est progressivement devenu une créature de sable, au fur et à mesure que l’histoire se créait.

La couverture est ainsi hautement symbolique…
Aurelien : Cette couverture a fait l’objet d’une vingtaine de propositions.
Samely : Elle représente le symbole de l’éther. Un symbole que j’ai créé et c’est finalement la seule chose que j’ai dessinée ! Le but était d’arriver à une couverture extrêmement symbolique. Nous ne souhaitions pas représenter une scène mais nous voulions quelque chose de simple, de frappant ! Pour le symbole de l’éther, je suis partie du pentacle classique représentant les éléments et l’esprit – également appelé éther. On a cherché ensuite à représenter les relations que les éléments ont entre eux. La position du personnage s’inspire aussi d’une photographie de l’occultiste Aleister Crowley, dans une posture de pouvoir symbolisant le contrôle des énergies, des forces, la magie (…). C’est aussi ce que vit Dante.
Aurélien : En définitive, on peut lire Aethernam en amateur éclairé ou même sans rien y connaître du tout à la mythologie et à l’occultisme. Chacun y trouve ce qui lui correspond.

Pourquoi avoir choisi le format du diptyque alors qu’il existe notamment aux éditions Emmanuel Proust une fameuse collection Trilogies ?
Aurelien : Nous ne souhaitions pas nous étendre de trop – quitte à y revenir plus tard, qui sait (?). Au début, le format du one-shot nous plaisait. Puis nous nous sommes rendu compte qu’il était plus confortable de réaliser deux albums plutôt que 80 à 100 pages en une seule fois. De plus, cela permet de créer une dynamique : un premier tome de mise en place, suivi d’un autre où l’action explose ! L’éditeur souhaitait aussi que l’on scinde en deux volumes. Il est vrai qu’avec la crise, le lecteur attend peut-être quelque chose de plus ramassé. Les propositions sont tellement nombreuses qu’il est aujourd’hui difficile de suivre.

Pour terminer, quelles sont vos références respectives en matière de bande dessinée ?
Samely : De grands classiques comme la trilogie Nikopol (Bilal) ou des choses plus récentes comme Jolies ténèbres (Vehlmann, Kerascoët) paru chez Dupuis en 2009 : un album très particulier, poétique et dérangeant à la fois.
Aurélien : Deux de mes bandes dessinées favorites demeurent Le Garage hermétique de Moebius et Sharazde de SergioToppi.

Merci à tous deux !