interview Comics

Sophie Campbell

©Glénat édition 2016

Revisiter une licence déjà connue n'a jamais rien de très facile pour un artiste. Lorsque Sophie Campbell reprend Jem & les Hologrammes, en compagnie de la scénariste Kelly Thompson, elle a eu le courage de s'éloigner du design du dessin animé original pour offrir un visuel moderne et flashy à souhait ! Cette qualité de réinterprétation n'est pas inédite puisque l'artiste a déjà œuvré sur Glory ou les fameuses Tortues Ninjas. Sophie Campbell emmène son trait précis, détaillé et rond depuis pratiquement une quinzaine d'années et n'hésite pas non plus à écrire ses propres histoires. Auteure complet talentueuse, nous en pouvions manquer l'occasion de lui poser plusieurs questions...

Réalisée en lien avec l'album Jem & les Hologrammes T1
Lieu de l'interview : Le cyber espace

interview menée
par
14 décembre 2016

La traduction de cette interview a été réalisée par Alain Delaplace.

Sophie Campbell


Peux-tu te présenter et nous dire comment tu as commencé à travailler dans l'industrie des comics ?
Sophie Campbell : Je m'appelle Sophie Campbell et je travaille dans les comics depuis 2003. J'ai montré mon travail à Oni Press alors que j'étais encore à la fac et je les ai harcelés jusqu'à ce qu'ils me confient un peu de travail sur la série Hopeless Savages de Jen Van Meter. Ça m'a ouvert des portes et le reste appartient à l'Histoire.

Quelles ont été tes influences, artistiquement parlant ?
Sophie Campbell : Au début, mes influences étaient Kevin Eastman, Peter Laird, Bill Watterson, HR Giger, et Masakazu Katsura. Je suis influencée par des gens et par des choses différentes mais ce sont eux qui m'ont le plus influencée quand j'étais plus jeune.

Comment décrirais-tu ton propre style ?
Sophie Campbell : En général, je considère que c'est du « réalisme cartoony » dans le sens où je m'efforce d'apporter un certain niveau de crédibilité et un reflet de la vie réelle mais que c'est aussi très stylisé.

En France nous t'avons découvert avec Les Abandonnés. Qu'avais-tu fait avant ?
Sophie Campbell : Les Abandonnés est survenu très tôt dans ma carrière et avant ça je n'avais fait que du remplacement sur Hopeless Savages, le premier album de Wet Moon et un ouvrage intitulé Spooked avec Antony Johnston à l'écriture. Les Abandonnés était mon troisième ouvrage.

Sophie Campbell


À l'époque de la sortie de Les Abandonnés, les zombies n'étaient pas autant à la mode qu'aujourd'hui. Étais-tu du genre ?
Sophie Campbell : Oui, Les Abandonnés était en grande partie une déclaration d'amour aux films de George Romero, on y trouve de nombreuses blagues et autres références à ses films ainsi qu'à d'autres films de zombies dont j'étais fan à l'époque comme Dellamorte Dellamore et Le Retour des Morts-vivants. J'aime me dire que j'étais en avance sur mon temps par rapport à la folie zombie ! Ce qui est amusant, c'est qu'un de mes personnages s'appelait Riley et que, plus tard, la même année, Romero a sorti son quatrième film de zombies (en 2005), Land of the Dead et que l'un des personnages s'appelait Riley.

Tu as ensuite travaillé sur plusieurs récits sous licence comme Tortues Ninjas, Fraggle Rock ou Hack/Slash. Est-il simple de s'acclimater à des univers visuels déjà établis et à des genres très différents ?
Sophie Campbell : Fraggle Rock a été difficile pour moi car il m'a fallu coller aux modèles et je n'avais jamais vraiment regardé la série, il m'a donc fallu faire pas mal de recherches. Mais Tortues Ninjas et Hack/Slash ne m'ont pas vraiment posé de problèmes. Sur Hack/Slash, j'ai pu faire ce que je voulais et ça s'est bien fait ainsi. Et j'ai dessiné les Tortues Ninjas depuis mon enfance alors je n'ai eu aucun souci à prendre le train en marche ! J'ai eu de la chance avec les travaux de commande que j'ai eu à faire, je n'ai pas encore eu à tenter de faire rentrer mon style au sein d'un moule trop prédéfini. Il y a eu quelques petits soucis en haut lieu avec certaines des choses que j'ai faites mais, dans l'ensemble, tout s'est bien passé.

Sophie Campbell


Ensuite, nous avons pu te revoir à l'œuvre sur Glory, une maxi série écrite par Joe Keatinge. Connaissais-tu la série originale de Rob Liefeld ?
Sophie Campbell : Je connaissais vaguement le personnage, je me souvenais l'avoir vue dans un vieux numéro de Youngblood Strikefile, mais je n'avais jamais lu le comics, que ce soit celui de Jo Duffy ou celui d'Alan Moore. En fait, je n'ai fait aucune recherche quand j'ai eu le job sur Glory. J'avais trouvé un énorme paquet de comics de Jo Duffy mais les boss m'ont dit de ne pas m'en soucier. J'ai fini par faire ce que je voulais avec la série et je m'en suis remise à Joe pour les hommages à l'original, vu que, lui, était plus familier de la série.

Le récit se déroule en France et notamment au Mont Saint-Michel. Es-tu déjà venu en France ? Si non, comment as-tu pu développer l'environnement visuel ?
Sophie Campbell : Je n'ai jamais été en France, non. Un jour, peut-être. Joe y est allé pas mal de fois et il a fait un voyage au Mont Saint-Michel pour y effectuer des recherches, y prendre des photos pour me servir de références. Je les ai utilisées pour la plus grande partie de l'environnement mais j'ai aussi imaginé pas mal de choses en espérant que ça ressemblerait aux lieux réels. Il m'a aussi fallu inventer des angles de vue : par exemple, il y a une scène qui se déroule au-dessus de la tour de l'abbaye et personne n'a jamais pris de photo de cet endroit-là. J'ai imaginé ça toute seule.

Sophie Campbell


Après un retour sur Tortues Ninjas, nous te retrouvons sur Jem & les Holograms. Comment es-tu arrivée sur la série ?
Sophie Campbell : J'ai entendu dire qu'un comics Jem allait sortir et j'ai demandé à mon éditeur sur Tortues Ninjas de me mettre en contact avec l'éditeur en charge du comics, John Barber. Il savait déjà que dans mon travail, il y avait déjà des fan-arts de Jem que j'avais réalisés il y a plusieurs années et ça a pas mal aidé. Au même moment, Kelly est aussi entrée en contact avec John alors c'est comme si on avait toutes les deux convergées sur la série en parallèle. Kelly et moi, on se connait depuis longtemps donc l'idée de nous faire travailler ensemble paraissait parfaite ! On a élaboré un pitch et voilà !

Étais-tu fan de la série originale ?
Sophie Campbell : J'étais fan, ouais ! Je ne regardais pas trop la télé quand j'étais enfant mais il m'arrivait de voir des épisodes de Jem de temps à autres. Mais je crois que j'étais trop jeune pour vraiment « comprendre ». Je n'avais pas vraiment saisi le concept ni pourquoi les Misfits étaient si méchantes, je les haïssais ! Mais aujourd'hui, ce sont mes préférées, cela dit.

Sophie Campbell


L'identité visuelle du dessin animé était très marquée. Comment as-tu revisité le chara design ?
Sophie Campbell : J'ai eu les coudées franches avec les designs alors j'ai essayé de faire mon truc avec les personnages et d'apporter mon propre style tout en restant fidèle aux personnages. D'habitude, quand je fais du travail de commande, je crois que la meilleure manière de faire est d'y apporter une touche personnelle et de me l’approprier, d'une certaine façon. Je crois qu'il est vain et sans intérêt que de se contenter de dupliquer les concepts originaux, aussi bons soient-ils. J'ai aussi eu l'impression que les designs originaux étaient si puissants et la fan-base du dessin animée si étendue que je ne pourrais jamais vraiment y rendre justice. Si j'avais fait ça, ça n'aurait été qu'une pâle imitation. J'en ai donc conclus que mon devoir, en tant qu'artiste, était d'apporter ma patte au look de Jem. Sorti de là, j'ai aussi voulu inclure une plus grande diversité au niveau des physiques et de différencier les personnages les uns des autres, vu que dans le dessin animé, ils avaient tous plus ou moins le même corps et le même visage. Ça m'a toujours dérangée, ça avait un certain sens du fait que les personnages étaient basés sur des poupées mais là, avec les comics, j'avais plus de possibilités.

Jem met en scène des groupes de musique, a-t-il été simple de retranscrire la musique dans tes pages ?
Sophie Campbell : Ce genre de choses sera toujours difficile à restituer en dessin, trouver comment représenter le son et lui donner une signification. Mais je n'ai pas ressenti ça comme un problème sur Jem. Je savais déjà plus ou moins ce que je voulais faire dès le début et à mesure que la série progressait, je suis devenue de plus en plus audacieuse avec la manière dont je décris la musique mais l'idée fondamentale était présente dès le début.

Sophie Campbell


Le premier album est très réussi, à quoi peut-on s'attendre par la suite ? Est-ce que tu t'es lancée de nouveaux défis artistiques pour la suite de la série ?
Sophie Campbell : Mon dernier numéro de Jemest sorti au début de l'année et je ne travaille plus sur la série. Dark Jem a été mes adieux à la série. J'ai songé y retourné et ça reste une possibilité mais je ne ferais probablement plus que des couvertures de temps à autres.

Comme tu l'indiques dans les pages de Jem, tu as fait ton coming out durant la création de Jem. Tout d'abord : bravo ! Cela a-t-il été bien accepté par l'industrie du comics (en général) et par les lecteurs ?
Sophie Campbell : Merci ! La réaction a été incroyable, je ne pouvais pas rêver mieux. Je me disais «Ah, ah, ça va être un désastre pour moi et ma carrière » mais ça a été tout le contraire. Tout le monde a été génial et mes éditeurs ont été très accommodants et m'ont beaucoup aidée.

Si tu pouvais visiter l'esprit d'un autre artiste pour en comprendre le génie ou son art, qui irais-tu visiter et pourquoi ?
Sophie Campbell : Amy Reeder ou Frank Quitely, je souhaiterais leur voler leurs talents pour la mise en page et leur sens de l'espace dans leurs illustrations.

Merci Sophie !

Sophie Campbell