interview Comics

Stephan Franck

©Glénat édition 2017

Travaillant depuis des années dans l'animation auprès des plus acteurs de ce secteur, Stephan Franck s'est lancé dans l'aventure des comics avec Silver, une série qu'il a lui-même édité au sein de sa structure Dark Planet. Sorti aux U.S.A. depuis maintenant plusieurs mois, le titre mélange le pulp au registre vampirique hérité de Bram Stoker. Alors que le premier tome sort en France chez Glénat Comics, nous avons demandé à l'artiste français de nous parler un peu plus de Silver.

Réalisée en lien avec l'album Silver T1
Lieu de l'interview : Le cyber espace

interview menée
par
17 juin 2017

Stephan Franck


Tout d'abord, peux-tu te présenter et nous dire comment tu es arrivé dans l'univers des comics ?
Stephan Franck : D’une certaine façon, je suis né dedans. Quand j’étais petit, mes parents avaient une librairie/maison de la presse en région parisienne et j’y passais beaucoup de temps à lire des BDs et rendre la monnaie… D’un côté du magasin il y avait tous les albums Franco-Belges, (mes favoris était Lucky Luke, Les Schtroumpf, Tintin, les Rubriques à Brac de Gotlieb, mais avec aussi une passion pour Gilles Jourdan et Tiff & Tondu), et de l’autre côté, il y avait le rayon presse, avec les comics US version Lug, Sagedition et Artimat, sans oublier les strips syndiqués dans les journaux, et bien sûr, n’oublions pas PIF GADGET ! Bref j’aimais tout. Mais vers l’âge de 10/11 ans, c’est vraiment le comic qui a pris le dessus. Kirby, Colan, Buscema, Adams, Aparo, Romita Sr. me faisaient rêver. Dans des personnages comme Superman et Batman, je retrouvais l’image d’un père, que j’avais malheureusement perdu dans la vie réelle, et Peter Parker, c’était juste moi… Puis à l’adolescence, j’ai découvert Métal Hurlant (qui dans le magasin, était rangé en hauteur, entre Playboy, Lui, et Photo). Evidemment, le Graal, c’était quand ma mère m’emmenait avec elle chez le distributeur… un entrepôt avec des caisses entières de BD à même les palettes… C’est là que j’ai découvert Le Spirit de Will Eisner chez les Humano. Le magasin de mes parents vendait aussi du matériel de dessin et du film super 8, donc j’avais tout ce qu’il me fallait pour passer à l’action.

Tu as un parcours assez incroyable dans l'animation et travaillais avec de nombreux artistes de renom. Que retiens-tu de cette période ?
Stephan Franck : Oui, j’ai eu la chance de travailler avec certaines de mes idoles artistiques. À chaque fois on apprend quelque chose en participant à leur process. Par exemple, de Brad Bird, j’ai appris beaucoup sur la réalisation, spécifiquement comment diriger une équipe artistique. Que ce soient des acteurs ou des animateurs, comment créer un espace créatif “safe” ou chacun se sent libre de prendre des risques -ce qui est indispensable pour arriver à une performance intéressante. Avec Glen Keane, j’ai appris beaucoup sur le storytelling visuel, et notamment comment capturer l’énergie et la vérité du moment dans un dessin. J’ai aussi travaillé étroitement avec des gens comme George Lucas ou Adam Sandler, qui évidement, ne dessinent pas. Mais ce que tous les “grands artistes” que j’ai pu côtoyer ont en commun, c’est qu’au-delà du talent, ils ou elles travaillent extrêmement dur. Ils ont tous un nombre énorme de corbeilles à papier dans leur bureau, et toutes les corbeilles débordent toutes. En fait, le truc que j’ai vraiment découvert, c’est que l’expérience créative ne change pas. Qu’on soit un gamin dessinant dans sa chambre, ou un pro de 30 ans de carrière dans son studio, le processus mental et émotionnel reste exactement le même.

Stephan Franck


Quelles sont tes influences (en terme BD) ?
Stephan Franck : Comme je le disais plus haut : quasiment tout. Cela dit, les graphic novels mythiques des mid/late 80’s sont sorties quand j’étais à l’université : The Dark Knight Returns, Born Again, Watchmen, Year One, tous les trucs de Howard Chaykin, etc… Tout ça est arrivé à un âge ou j’étais déjà de l’autre côté de mon adolescence, et donc je m’étais un peu lassé de la production comics moyenne post Bronze Age et même Métal commençait un peu à s’essouffler. Et là j’ai découvert qu’on pouvait réinventer les trucs que j’avais lu étant gamin et auquel j’étais émotionnellement attaché, et en faire quelque chose qui avait la pertinence et l’immersion du “Great American Novel”.

As-tu travaillé sur d'autres projets BD en amont de Silver ?
Stephan Franck : J’ai fait de la BD et de l’animation par moi-même toute mon enfance, et jusqu’à ce que je finisse mes études, et ensuite, ma carrière en animation a pris le dessus. Je ne me suis remis au Comics qu’avec Silver.

Peux-tu nous présenter Silver ?
Stephan Franck : Silver explore l’univers du Dracula de Bram Stoker, 40 ans après les événements du roman original, dans la période Pulp des années 1930. On suit les aventures d’un gentleman cambrioleur et de son groupe d’escrocs, qui s’allient avec une femme chasseuse de vampires pour dérober un trésor mythique caché dans un château rempli de vampires. Donc en fait, c’est un peu Ocean’s 11 dans le château de Dracula! C’est avant tout une grande histoire d’aventure surnaturelle dans la tradition du Pulp, qui mêle une tonne de fun avec des moments d’émotion sincère, et je l’espère, un sens de l’humour 100% basé sur les personnalités des protagonistes. Il y a évidemment un clash des genres : gangsters/conmen d’un côté et vampires de l’autre. Non seulement c’est fun, mais ça a aussi une résonance thématique. Vampires et escrocs sont des personnages thématiquement similaires qui vivent la nuit, sont des prédateurs chacun à leur niveau, et surtout, ne sont pas supposés s’impliquer émotionnellement avec qui que ce soit. Donc dans un certain sens, les deux sont des créatures “sans âmes”, mais le fait d’être confrontés aux vrais mort-vivants va pousser nos escrocs à réexaminer la façon dont ils vivent leur vie. Ça devient un peu une réflexion sur ce que ça veut dire de “se sentir en vie”. Est-ce juste perdurer pendant des millénaires, ou est ce qu’il y a autre chose à trouver ?

Stephan Franck


Comment as-tu conçu l'univers de Silver ?
Stephan Franck : Quand j’étais gamin, tous les vendredi soir, je regardais le Cinéma De Minuit sur FR3, qui présentait des films en noir et blanc des années 30 et 40. ça allait du chef d’œuvre de Fritz Lang ou Orson Welles a la série B géniale comme King Kong ou Les Chasses Du Conte Zardoff, sans oublier les films de gangsters et les screwball comedies du genre Thin Man. Dans mon imagination d’enfant, tous ces films se connectaient en une sorte de méta univers cohérent, ou tu pouvais commencer avec des gangsters à New York, et prendre un avion à hélice jusqu’en Angleterre, et te retrouver, perdu dans la lande face a un loup garou, puis monter dans un ocean liner pour l’Afrique et découvrir une cité perdue… C’était un monde en noir et blanc plein de mystère, d’humour et d’aventure, un monde pré-google map, en quelque sorte, et c’est ce monde qui est l’inspiration de Silver.

Tu as publié Silver au sein de ta propre structure éditorial, Dark Planet. As-tu essayé de présenter en amont ton titre à d'autres éditeurs aux USA ?
Stephan Franck : J’aurais pu le faire publier ailleurs, mais je suis très excité par l’aventure Dark Planet, qui est une structure de publishing et aussi une maison de production. D’un coté l’univers de Silver commence a s’étoffer, avec le troisième volume qui sort cet été aux US, ainsi que Rosalynd, un graphic novel qui explore le passé de Sledge (un des personnage principaux de Silver). D’autre part, il y a aussi d’autres séries en préparation.

La série a débutée depuis quelques temps maintenant. Quels sont les retours du public américain ?
Stephan Franck : Venant professionnellement de l’animation, j’avais un peu peur de ne pas être accepté par les die-hard comic fans, mais en fait ils ont très vite accroché. De plus, il y a de nos jour un nouveau public du comic aux US. Un public qui a découvert des séries comme Walking Dead à la télé, et qui veut remonter à la source, et s’aventure bravement à essayer de lire des comics. Silver connecte très fortement avec ce nouveau public, peut-être grâce au fait que j’ai une mise en scène/mise en page assez cinématographique, donc facilement accessible pour un nouveau lecteur. Dans cette aventure, une des grandes découvertes pour moi a été l’expérience des conventions, où on se trouve en prise directe avec les lecteurs (on fait 15 conventions majeures par an). Je serre donc des milliers de mains tous les ans, et j’ai des centaines de conversations en tête à tête avec les lecteurs. Parfois des conversations très émouvantes que je n’oublierai jamais. Et donc je dois dire que parmi tous les projets sur lesquels j’ai pu travailler, il y en a deux qui se détachent en terme d’investissement émotionnel du public. Le premier c’est Iron Giant, et le second, c’est Silver. À chaque convention, on a des visites de gens qui viennent nous voir pour partager leur passion pour la série. C’était tellement fort qu’on s’est mis à les prendre en vidéo. Je suis aussi fier du fait que le profil du lecteur de Silver est extrêmement divers en terme d’age, sexe, ou origines socio-culturelles.

Stephan Franck


L'une des particularités de Silver est que tu prends le temps d'installer tes personnages et que tu ne les jettes pas tout de suite au milieu des vampires. Était-ce un choix conscient ?
Stephan Franck : Oui, à partir du moment où on part d’éléments de genre ou de mythologie connus, ça n’a d’intérêt que si on prend le temps de développer des personnages vraiment originaux et crédibles. Qu’on se prenne d’amitié pour eux, qu’on comprenne leurs motivations, et qu’on s’investisse dans leurs problèmes et dans ce qu’ils essayent de faire. De plus, on est aussi dans l’univers original de Bram Stoker, donc à l’intérieur d’un monde où Dracula, Harker, Van Helsing, etc… sont des personnages réels et des personnes privées, et non pas des noms connus du public ou des icônes de pop culture. Du coup, c’est vraiment fun de suivre nos personnages originaux, et de les voir petit à petit découvrir et accepter la dimension fantastique du monde dans lequel ils vivent.

La série comprend deux volumes pour l'instant, les deux sont réunis en un seul tome en France. Quand pourrons-nous espérer lire la suite ?
Stephan Franck : Le troisième volume (qui fait presque la taille des deux premiers réunis) sort aux US pour San Diego en exclu retail Dark Planet, et sort en magasin à l’automne. Et donc il sera accompagné par Rosalynd, qui continue à explorer le Silver Universe et sa mythologie.

Es-tu lecteur de comics et si oui, quels sont tes derniers coups de cœur ?
Stephan Franck : J’ai deux amis dont le travail m’inspire énormément : Tommy Lee Edwards, qui vient de faire Superman : American Alien et dessine actuellement Mother Panic pour DC, et Andrew MacLean avec Head Lopper. Chacun dans leur style, ont un dessin qui captive mon imagination.

Si tu avais le pouvoir métaphysique de visiter l'esprit d'un autre artiste pour en comprendre le génie. Qui irais-tu visiter et pourquoi ?
Stephan Franck : Quand je me suis installé à Los Angeles en 1995, je n’avais pas conscience que mon idole Will Eisner vivait ici, et que j’aurais pu très facilement le trouver et faire sa connaissance. C’est un de mes grands regrets. Eisner, pour moi c’était non seulement un maître de la BD, mais aussi quelqu’un qui a su avoir une indépendance artistique. Un auteur dans tous les sens du terme. J’aurais aimé le voir dessiner, et discuter un peu de la vie, de sa carrière, de sa jeunesse a New York. Non pas pour comprendre comment il créait ses pages, mais pour comprendre la personne. Donc maintenant évidement c’est trop tard, et c’est là qu’il faudrait effectivement des pouvoirs métaphysiques. Même regret avec Mœbius, que j’aurais pu avoir la chance de rencontrer d’une manière intéressante à LA, l’année avant son décès, et là aussi j’ai loupé le coche.

Merci Stephan !

Stephan Franck