interview Comics

Terry Moore

©Delcourt édition 2012

En quelques années, Terry Moore a imposé sa griffe, celle d'un auteur soigneux, intègre et humaniste. Avec Strangers in paradise, il a su se montrer intransigeant vis à vis des éditeurs sur le contenu de son œuvre (celle de sa vie ?), pour le plus grand plaisir des fans du monde entier. Sur Echo, il a entièrement remis en question son approche narrative, au travers d’une histoire moderne et fantastique. La série approchant de sa fin (5 tomes sur 6 sont déjà sortis), Terry Moore s'est alors penché sur un nouveau projet, Rachel Rising, qui s'épanouira dans un registre encore différent de ceux auxquels l'auteur nous a habitué : l'horreur. Nous sommes allés à la rencontre de cet artiste subtil sympathique et d’une grande discrétion…

Réalisée en lien avec les albums Echo T5, Strangers in paradise – cycle , T15
Lieu de l'interview : Le cyber espace

interview menée
par
5 avril 2012

Bonjour Terry Moore, peux-tu te présenter aux lecteurs qui ne te connaissent pas ?
Terry Moore : Je dessine des comics depuis toujours. En 1993, j’ai débuté ma première série, Strangers in paradise. J’ai montré mon premier épisode à tous les éditeurs et personne n’en voulait, excepté une petite société nommée Antarctic Press. Ils ont sorti 3 épisodes. Les commandes étaient peu nombreuses, mais le livre était populaire. Cela a même été le premier ouvrage qu’Antarctic Press a du rééditer. J’ai choisi ensuite de m’auto-publier, puis après quelques épisodes, j’ai lancé Strangers in paradise chez ma propre maison d’édition. Depuis, j’ai toujours fait mes propres comics et les ai publiés.

Comment décrirais-tu ton style ?
TM : Je dirais qu’il s’agit d’un mariage entre le style des cartoons et l’illustration classique.

© Terry MooreQuelles sont tes influences ?
TM : Tous les illustrateurs du XIXème et XXème siècle, les auteurs de dessins animés, les peintres, les musiciens. Étrangement, je suis influencé par la musique. J’en retire beaucoup de choses.

Comment dessines-tu ? Te documentes-tu beaucoup, par exemple ?
TM : Je dessine au crayon directement sur la feuille, sans dessin préparatoire ou note. Si je procède ainsi, c’est parce que je n’ai pas beaucoup de temps. Je respecte toujours la date-butoir. J’ai travaillé dur pour arriver à maîtriser mon art, c’est pourquoi je parviens à dessiner ainsi. Je n’utilise pas de modèles. Pour encrer, j’utilise des crayons et des brosses, selon le besoin.

En France, nombre de lecteurs t’ont découvert grâce à Strangers in paradise. Comment as-tu imaginé cette série ?
TM : Je voyais Strangers in paradise comme un feuilleton télévisé. Il n’y a pas de récits courts mais plutôt une histoire longue réunissant beaucoup de sous-récits. Je voulais que ce soit le genre de série avec laquelle tu vis toujours, celle avec qui tu grandis et dans laquelle tu vois les personnages évoluer.

Avec le succès grandissant de la série, tu n’as pas eu envie de tenter de la publier chez un gros éditeur ?
TM : Je ne pouvais plus la proposer à un autre éditeur. Ils auraient voulu changer toutes les folles idées que j’ai pu avoir. J’ai mis tellement d’éléments inhabituels pour eux dans Strangers in paradise, le genre de choses que les éditeurs n’auraient pas laissé passer. © Terry MooreJe voulais avant tout garder mes idées car je ne voulais pas faire un comic identique année après année. Je vois plus l’histoire comme un journal personnel, avec de l’art, de la musique, de la poésie, des photographies… tout ce qu’on a dans une vie. Je ne pouvais pas arriver devant un éditeur qui me dise « eh, j’aime pas ça ! » Je l’aurai tué s’il me l’avait dit, et à mains nues !

C’est pourquoi tu as choisi de ne publier qu’en indépendant ?
TM : Aux USA, tu n’es pas obligé d’avoir un éditeur. Ils sont juste là pour faire de l’argent. Mais tu n’as pas besoin d’eux pour imprimer un album et le vendre. Tu peux tout faire très simplement. J’ai seulement besoin des éditeurs étrangers pour qu’ils traduisent mes livres dans différentes langues. Aux USA, c’est assez simple de sortir ses propres comics.

Quelles réactions ont provoqué Strangers in paradise ? As-tu une anecdote amusante ?
TM : Je suis toujours surpris de la variété de personnes qui lisent Strangers in paradise. Il y a des jeunes, des gays, des vieux, des sérieux… J’ai reçu des lettres de prêtres qui étaient heureux de voir que Francine et Katchoo continuaient à affronter la vie ensemble, après avoir été toutes deux amoureuses l’une de l’autre. La réaction des lecteurs a restauré ma foi en l’Humanité. Sinon, il y a aussi une chose concernant pas mal de lecteurs de Strangers in paradise. Beaucoup pensent que l’histoire est écrite par une femme, du fait que mon prénom est asexué. Quand ils viennent me voir dans les conférences ou les dédicaces, ils me demandent toujours où est Terry ! Je leur dis que Terry, c’est moi et ils font toujours une drôle de tête comme s’ils étaient choqués. « Tu es le Terry qui écrit Strangers in paradise ? Toi, ce mec d’âge moyen ? Non !!!!! » Maintenant, je m’y suis habitué !

© Terry MooreEnsuite, tu as créé Echo, une série dans un genre différent, le fantastique. Comment as-tu imaginé Echo ?
TM : Je l'ai pensé d'abord comme un film. J'ai ensuite adapté mon histoire au rythme de narration d'une série.

Tu avais déjà imaginé la fin d'Echo ?
TM : Oui, dès le début. J'avais planifié 3 actes et j'ai écrit autour.

Tu disais avoir pensé Echo comme un film. Cela serait-il envisageable à l'avenir ?
TM : Il y a une option sur la série pour qu’il devienne un film. Le producteur cherche à tout prix à rendre cela possible. Il a déjà fait Hellboy, Die Hard, La ligue des gentlemen extraordinaires. Il sait comment faire de bons films. Je suis plutôt confiant.

Echo oppose les univers de la science et de l'esprit. Ne peuvent-ils vraiment pas être compatibles ?
TM : Les deux peuvent fonctionner ensemble. Il suffit juste d'en discuter. On doit mettre de côté ses préjugés et laisser les faits porter la vérité, et ne pas être entaché par des opinions ou des traditions.

© Terry MooreTu es un auteur incroyablement réactif. Alors que la fin d'Echo n'était pas encore enclenchée, tu as enchainé simultanément avec Rachel Rising, comment fais-tu ?
TM : J'étais vraiment excité à l'idée de commencer Rachel Rising. Je pense que le monde change si vite que la semaine précédente paraît parfois lointaine. Si j'avais stoppé brutalement Echo, personne n'aurait apprécié. J'ai donc travaillé sur ce nouvel univers en même temps et en le développant un petit peu chaque jour.

Avec un tel rythme, comment fais-tu pour choisir les sujets sur lesquels tu veux œuvrer ? J'ai vu que tu avais récemment fait un épisode de Fables...
TM : Pour moi, travailler peut également être une perte de temps si personne ne peut voir ton travail. J'accepte donc des propositions sur des titres populaires histoire d'être toujours dans l'esprit des lecteurs. Je ne m'engage alors jamais sur le long terme et ne souhaite pas faire d'anthologie. Pour une série comme Fables, la qualité du titre et sa popularité m'ont permis de m'amuser tout en me montrant à de nouveaux lecteurs.

Comment présenterais-tu Rachel Rising ?
TM : Rachel Rising est l'histoire d'une fille qui se réveille dans une tombe, en ressort et part à la recherche de celui qui l'a tué. C'est très angoissant, avec des scènes horribles. J'adore ça.

Serais-tu intéressé par le marché européen ?
TM : Je considèrerais vraiment leurs offres !

Quels sont tes prochains projets ?
TM : Je poursuis Rachel Rising et prévois un nouvel album de Strangers in paradise pour 2013, à l'occasion des 20 ans de la série.

© Terry Moore

Si tu pouvais illustrer un super héros de ton choix, lequel choisirais-tu ?
TM : Je m'attaquerais à Supergirl, mais seulement si je peux écrire le scénario. L'éditeur et les auteurs ont fait de ce personnage un personnage de second plan et se sont vraiment planté là-dessus. Elle pourrait faire partie des cinq plus grands icônes de DC Comics.

Si tu avais un super pouvoir, ce serait lequel ?
TM : Celui de me faire pousser des cheveux longs ! Je veux l'avoir !

Si tu n'avais pas fait de la BD, que serais-tu devenu ?
TM : Je serais surement en prison au milieu des pervers !

As-tu un album favori ?
TM : N'importe lequel d'Amanda Conner, d'Adam Hughes ou de Darwyn Cooke.

Si tu avais le pouvoir de visiter le crâne d'un autre artiste pour en comprendre son génie, qui choisirais-tu ?
TM : Leonard de Vinci. J'aurais adoré apprendre de lui, lui poser plein de questions. Bien sûr, je n'aurais pas compris grand-chose, vu qu'il ne parlait qu'italien. J'aurais peut-être pu utiliser un logiciel de l'Ipad pour cela, il aurait sûrement apprécié !

As-tu un message pour tous lecteurs français ?
TM : Merci beaucoup de lire mes histoires, je vous en suis très reconnaissant. Merci ! (NDLR : en français dans le texte)

Merci beaucoup Terry !

© Terry Moore