L'histoire :
Un crapaud accoucheur, portant ses œufs sur le dos, sort d’un bosquet. Devant lui, l’asphalte d’une large route. Son instinct le pousse à en entreprendre la traversée. Lentement. Trop lentement. Une voiture vient à passer par là en pleine vitesse et écrase à moitié le crapaud. Encore vivant, ce dernier a la force de ramper jusqu’à l’autre côté. Quelques dizaines de mètres plus loin et il se laisse choir dans la première mare de la forêt. Beaucoup des œufs qu’il portait sont morts dans l’accident. Mais l’un d’eux, bien éveillé, éclot. Un têtard s’en extrait et nage jusqu’à être emporté par un courant. Il n’a pas le choix, il se laisse aller, jusqu’à se retrouver un peu seul au milieu d’une immense étendue d’eau. Soudain, une voix lui exige qu’il se batte. C’est un saumon, qui se présente : il s’appelle Iode. Le têtard dit s’appeler Alyte. Iode explique à Alyte qu’il n’a pas le choix, s’il veut vivre : il doit remonter le courant, le plus haut possible jusqu’à la source, car l’arrivée et ses étendues de sable inerte est terrifiante. Ok, donc. Alyte se met à nager à côté d’Iode en se plaçant dans son courant. Ensemble, ils entreprennent une formidable épopée. Elle commence par une zone infestée de canards, qui plongent subitement leurs becs sous l’eau à la recherche de petits têtards comme Alyte…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Quelle surprenante fable naturaliste ! Dans cet épais pavé édité par 2024, Jérémie Moreau se met à la place d’un crapaud du type « alyte accoucheur », une espèce de batracien très commune en France, pour partager avec le lecteur le processus de sa vie, de sa naissance à sa mort. Une vie formidable, incroyable, ponctuée de rencontres plus ou moins charitables, de dangers permanents et d’un objectif viscéral, guidé par l’instinct : remonter cette satanée rivière pour aller déposer les œufs qu’il transporte le plus en amont possible. Car oui, entre temps, Alyte s’est reproduit ! Or la particularité de cette espèce, c’est que c’est le mâle qui se charge à 100% de l’accompagnement des futurs enfants à naître. Une idée qui fait aussi son chemin à notre époque, chez l’humain contemporain. Jérémie Moreau colle au plus réaliste de ce que l’instinct dicte aux espèces rencontrées toute au long du périple initiatique d’Alyte. Le canard est un prédateur pour les têtards ; les aigles en sont un pour les agneaux ; les faons bouffent les jeunes pousses de chênes ; etc. La différence avec la réalité, c’est qu’ici, toutes les espèces communiquent à travers des phylactères de dialogues, dans un étonnant exercice de zoo-psychologie. Graphiquement, toutes respectent cependant les réflexes de leur condition et leur apparence naturelle. Les espèces évoluent à travers un prisme de décors que les couleurs fluo – une tendance artistique à la mode, qu’on vous laissera apprécier – tendent vers le gigantesque, le fantastique, ou même le psychédélique, mais qu’il faut rapporter à la petite échelle des yeux d’un crapaud, qui s’émerveille de la vie, grouillante et vibrante.