L'histoire :
Au nord-est de l’Inde, dans l’Etat le plus peuplé : l’Uttar Pradesh et ses 190 millions d’habitants. Bhola et Ram Avatar sont ce que l’on appelle des « intouchables » (ou dalits, opprimés), une catégorie de la population indienne faite de vidangeurs, d’équarisseurs, située au plus bas l’échelle sociale et en marge du système traditionnel des castes. Ce sont aussi des musahars, c’est-à-dire des dalits chargés de chasser les rats. Les deux hommes racontent leur quotidien fait de misère, de sous-alimentation, de maladies mortelles, d’analphabétisme, de corruption, d’endettement et de violence. Dans un pays à la croissance économique exceptionnelle, il y a les nouveaux riches, la classe moyenne, mais aussi tous ceux que l’Etat abandonne sur le bord des routes, les plus nombreux : 836 millions d’Indiens vivent avec moins d’un-demi dollar par jour. Pour tous ces dalits, les situations ubuesques se multiplient. Oui, les programmes d’assistance alimentaire existent, mais ils ne servent qu’à enrichir les puissants : pour accéder à ces programmes, les dalits doivent s’endetter pour payer des pots-de-vin aux intermédiaires, ceux-là mêmes qui leur redistribuent les denrées alimentaires. Problème : les sacs de riz, en fait, sont le plus souvent revendus au marché noir par les intermédiaires. Ou quand l’endettement nourrit encore plus la pauvreté. 85% de l’argent consacré au développement serait détourné en Inde…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Attention, cette chronique porte uniquement sur la BD de 30 pages d’une revue qui en comporte plus de 200. XXI est une revue récente dédiée au grand reportage, dans la veine des fleurons de la presse américaine (The New Yorker, Atlantic Monthly, Vanity Fair) et des grands journalistes tels qu’Albert Londres ou Joseph Kessel. Suffisamment rare pour être souligné, la BD est traitée comme un genre à part entière dans la revue. Ainsi chaque trimestre, 30 planches inédites de reportage BD y sont publiées. Jean-Philippe Stassen ou Jacques Ferrandez ont réalisé les premiers reportages de XXI. Ici, Joe Sacco, un des pionniers du journalisme d’immersion en bande dessinée, explore l’Inde des marginaux et des laissés-pour-compte, dans un pays à la croissance exceptionnelle. Et pourtant. Le portrait de cet Etat de l’Union, l’Uttar Pradesh, fait froid dans le dos : pauvres et indigents (dalits ou musahars) sont maintenus dans la misère par leurs propres chefs. Leur lot quotidien : sous-alimentation (trouver à manger dans les trous de rats est un métier à part entière), maladies, corruption, illettrisme, endettement, violence en cas de rébellion, absence de projet professionnel… Sinistre réalité d’un pays où les inégalités socio-économiques sont exacerbées, d’autant plus que le système féodal des castes cohabite difficilement avec un présent démocratique et capitaliste. Le trait de Sacco, assez impersonnel et neutre, vient quant à lui souligner l’oubli et l’ignorance dans lesquels sont rejetés les hors castes. Seul bémol à ce reportage salutaire, l’attitude du journaliste qui, malgré son souci d’objectivité, flirte parfois avec un misérabilisme agaçant. Pédagogique et informatif néanmoins, ce récit témoignage propose au final un regard glaçant, documenté et éclairant sur l’Inde des pauvres.