L'histoire :
Pieterjan est un artiste contemporain de modeste réputation, en manque d’inspiration. Fasciné par cet artiste, Kristof, l’organisateur de la première Biennale d’art de Beerpoele au beau milieu de la campagne flamande, le sollicite pour encadrer un groupe d’amateurs dans une résidence d’artistes. Pieterjan accepte sans trop hésiter. Mais bien vite, il découvre que la tâche va s’annoncer plus compliquée que prévu. D’abord, la troupe se révèle pour le moins excentrique : Valentijn est un fantôme à la bouche et aux yeux grand ouverts, Dennis, un sociopathe en puissance, Dirk un clown farfelu s’adonnant à la sculpture de ballon et Cléo, une jeune fille innocente chargée de la mise en forme du projet. Tous, en amateurs, nourrissent une véritable fascination, béate et lyrique, pour celui qu’ils considèrent comme leur maître. Plus qu’à une résidence d’artistes, le projet de Kristof ressemble à une grande kermesse débridée. Pieterjan, lui, le professeur d’arts plastiques à l’autorité de pacotille, est décidé à jouer son rôle : snob, manipulateur, menteur et cynique, Pieterjan revêt tour à tour le costume de guide spirituel ou de génie de l’art, le tout avec un professionnalisme déconcertant. Sorte d’idole illusoire qui doit sauver les apparences, Pieterjan profite néanmoins de l’occasion pour convaincre cette petite troupe de construire ensemble un grand œuvre au cœur de la lande : un nain de jardin géant !
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Avec son précédent ouvrage (Les Noceurs ) auréolé du prix de l’audace à Angoulême en 2011, Brecht Evens avait frappé un grand coup. C’est donc avec un intérêt non feint qu’on attendait sa nouvelle performance graphique. Et encore une fois, le résultat est bluffant. Sur le même modèle que Les Noceurs, la BD met en scène Pieterjan, figure de l’artiste contemporain snob et urbain, qui polarise la fascination béate d’un petit groupe d’artistes de province en quête d’utopie. Pieterjan, c’est l’illusion faite art, l’expression fantasmée d'un échec et d’une frustration d’artiste à laquelle les Amateurs opposent une utopie lyrique, le mythe de l’œuvre idéale. Dans un registre de l’alchimie des contraires, Evens confronte nature et culture, spiritualité et matérialisme, snobisme citadin et culture provinciale teintée d'enthousiasme naïf, et pose aussi la question de l’utopie comme moteur de création artistique. Le scénario, qui pédale parfois dans le vide, demeure intéressant et réfléchi, même si l’on sent Brecht Evens moins à l’aise en matière de narration que de mise en scène. Car visuellement, c’est une prouesse picturale d’une rare puissance. Aquarelliste virtuose et admirable faiseur d’ambiances – nostalgique ou végétale – Brecht Evens distille ses encres délavées ou transparentes en une farandole colorée, ménageant de somptueux tableaux sauvages où le regard aime se perdre. Pour les comparaisons, inutile de chercher une référence en BD puisque l’auteur invente son propre langage graphique, fait de couleurs directes et de nuances évoluant selon les personnages, nageant aussi avec bonheur hors de la sacro-sainte case. C’est plutôt du côté des artistes-peintres qu’il faut chercher, notamment les fauvistes, et Matisse en particulier. Par des harmonies de couleurs audacieuses, vives et expressives, par un coup de pinceau fiévreux ou brut, l’auteur donne finalement à voir une utopie en marche, celle de la BD faite Art. Encore une fois, une œuvre stylée et puissante de la part d’Evens, qui a fait sienne la formule selon laquelle « le devoir d’un artiste est d’aller toujours au-delà des frontières de sa propre perception ».