L'histoire :
Emile Fernandez, 78 ans, noue sa cravate dans son appartement du 17ème étage d’une haute tour de Mulhouse. Il donne à manger au chat, arrose sa plante, dépose une enveloppe sur la table, place un petit escabeau devant la vitre et grimpe. Il ouvre la fenêtre, regarde l’horizon, hume une dernière fois l’air et saute dans le vide. Quelques voisins le voient passer par la fenêtre, horrifiés. La police arrive vite sur les lieux pour emporter le corps et débuter une enquête. Ils interrogent les concierges, bouleversés, et ceux qui ont pu voir quelque chose… Martine, la voisine d’en face d’Emile, rentre des courses en tirant son panier à roulettes. Elle ne s’attend pas du tout à cette atroce nouvelle. Aujourd’hui veuve, elle entretenait depuis 30 ans une relation « amicale » forte avec Emile, lui-même veuf. C’est l’incompréhension, tout autant que la stupéfaction. Le soir venu, les voisins évoquent évidemment le sujet, dans l’intimité de leurs foyers ou en discussions de paliers. Les infos régionales en parlent aussi dans la télé. Le courrier laissé par Emile ne laisse aucun doute sur le suicide. Il parait qu’il ne s’entendait plus avec son fils. Emile a aussi laissé des instructions : le chat pour Samir (vétérinaire de profession), la plante pour Martine…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Un vieux monsieur se défenestre volontairement d’une haute tour d’immeuble, et c’est tout le voisinage qui s’interroge sur les raisons qui l’ont poussé au suicide. Tel est le pitch qui fait le sel de cet album en one-shot proposé par le scénariste Pierre-Roland Saint-Dizier. Quand il y a mort et enquête, le commun des mortels s’attend logiquement à ce que ça tourne au polar, que ça révèle des secrets moches, un coupable, un jugement et que ça explique finalement le geste fatal. Pour autant, ça n’est pas précisément cet axe narratif qu’emprunte Saint-Dizier. De coupable, il n’y en aura pas… et les raisons resteront floues. Ce qui l’intéresse, tout au long des étapes du deuil d’Emile, c’est plutôt le lien social qui se noue à l’intérieur d’une barre d’immeuble populaire. Comment les locataires qui logent chacun dans une petite case d’une telle masse de béton, composent une grande famille, avec des liens affectifs, des relations de confiance, une symbiose humaine, tout en s'attachant à ce lieu. Comme il l’explique dans le dossier de fin d’album, le scénariste a authentiquement vécu dans un tel bloc d'immeuble façon le Corbusier dans son enfance et il rend ainsi hommage à une partie de sa vie, plutôt tendre, malgré l’image que nous renvoient traditionnellement les JT des « quartiers ». Le récit est donc choral, avec des moments de pauses durant lesquelles le gaufrier de la planche de BD se superpose à la vue latérale sur les intérieurs des voisins et leurs occupations quotidiennes. Sur ce plan, le rendu graphique de Michaël Crosa est formidablement pertinent. Non seulement le dessinateur varie avec virtuosité la décoration, les objets, qui correspondent aux personnalités des gens, mais son style crayonné, d’une grande souplesse et en couleurs directes, confère aussi beaucoup d’expressivité et de crédibilité à cet aéropage diversifié d’occupants. Un récit feel-good plein d’humanité.
