L'histoire :
La Belgique du début des années 90, à hauteur de petites filles. Valentine et ses grosses lunettes rondes aime observer le macro de la nature, en expérimenter ses beautés et ses cruautés. Dans la voiture qui emmène sa famille vers Bruxelles, où ils résideront désormais, elle lit Un sac de billes de Joseph Joffo, ce récit de deux jeunes frères juifs qui fuient la Gestapo. Lorsqu’elle joue avec sa sœur ou ses amies, à l’instar des enfants de leur âge, se glissent plus ou moins insidieusement des rapports de domination. Mathilde habite également la capitale belge. Elle connaît elle aussi les méchancetés et injustices enfantines, ainsi que l’influence des histoires racontées sur un imaginaire ingénu. Toutes deux éprouvent donc, dans les espaces dévolus à leur âge, l’existence de la violence, inhérente au monde. Mais d’un jour à l’autre, s’inscrit peu à peu, dans les mots des adultes, celle d’un mal dont le nom se tait…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Pour cette première expérience d’édition, Valentine Gallardo et Mathilde Van Gheluwe, toute deux issues du fanzinat, mêlent leur geste dans une somme autobiographique à deux voix et quatre mains. Les récits de l’une et l’autre s’alternent, les traits singulièrement semblables se fondent, à la faveur d’une mémoire qui met à jour sa mécanique fragmentaire, tout en ne faisant plus qu’un. Les références multiples aux années 90, vêtues de T-Shirt Waikiki, assommées de Britney Spears, nourries aux Spécial K, ancrent leurs souvenirs dans le réel de cette Belgique déchirée par les drames pédophiles d’un Dutroux. Car le loup, s’il n’y est pas, dans ce livre, porte pourtant bien un nom, et a marqué au fer rouge l’histoire d’un peuple. Les deux jeunes auteures détruisent cependant tout réalisme de leurs planches, à coup de crayon à papier et de feutre noir. Les traits sont ici naïfs, ronds, gauches, appuyés ; là précis, nuancés, subtils, comme pour donner voix tant aux enfants qu’elles étaient, qu’aux adultes qu’elles sont devenues. Deux femmes, qui se souviennent des mots angoissés ou furieux entendus deci-delà, des bribes de compréhension, du silence ténébreux et de l’enfermement imposé, aussi physique que psychologique. Ces non-dits, qui nourrissent l’imaginaire et installent les émotions sur un trône branlant. La reine de ce livre est l’inquiétude, celle ressenti par les enfants surtout, les parents, mais également celle que l’on nous fait vivre. Dès les premières pages, l’environnement mis en scène se révèle aussi attirant que préoccupant : le foisonnement des plantes, des formes à la matière agrippante grisâtre ou noire, des personnages fictifs envahissant la page, ne sont que métaphores d’un danger inscrit en creux. Le fil de la lecture ne quittera pas ce sentiment de menace, comme si l’on nous tenait tendus vers un drame à venir. A l’image de petites filles qui découvrent que le grand mal déborde des pages de contes.