L'histoire :
1961. Après avoir servi quelques mois sous les drapeaux français dans la guerre d’Algérie, Joseph est de retour au village. Son père cultivateur l’aperçoit de loin qui descend du bus… mais il se cache, amer, plutôt que de l’accueillir. Sa mère est plus chaleureuse, mais une étincelle de tristesse luit au fond de ses yeux. Et pour cause, tandis que Joseph revient vivant sur ses deux jambes, pendant son absence, son frère Jules, promis à une brillante carrière de coureur cycliste, a eu un terrible accident de tracteur, qui l’a laissé paralysé des deux jambes. De retour chez ses parents, Joseph va saluer Jules dans sa chambre. Sans même le regarder, depuis son fauteuil roulant, Jules lui reproche son absence durable. Il lui en veut aussi d’avoir fait la guerre comme un planqué, le cul assis à un bureau de l’Etat-Major. Joseph encaisse et se tait. Il a remarqué la bouteille d’alcool dans un tiroir et compatit au malheur qui touche Jules. De retour à la cuisine, Joseph constate que son père lui fait le même type de reproche. Certes, il est revenu vivant, mais sa réputation de lâche l’a précédé. Joseph s’en va alors au village saluer le cafetier local, dont le fils Michel est encore en Algérie. Il en profite pour glaner des infos sur Mathilde, son amoureuse avant qu’il ne parte…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Presque soixante ans après son terme, la guerre d’Algérie reste un sujet relativement tabou dans l’esprit collectif français. Au point qu’on parle toujours « d’évènements », plutôt que d’une guerre – colonisatrice, donc impossible à légitimer. A travers cet album en one-shot, Philippe Pelaez s’empare donc d’un sujet sensible et pas facile à aborder en BD. Son propos dépasse cela dit le sujet propre de cette guerre, pour cerner, selon un angle plus universel, la question du traumatisme des soldats revenant du front, qui doivent se réinsérer dans la société civile. Le « shell shock », comme l’appellent les anglais, a été largement abordé au cinéma, notamment à travers le prisme de la guerre du Vietnam (Rambo, Voyage au bout de l’enfer, Taxi driver…) ou de la première guerre mondiale (Capitaine Conan). Le stress post-traumatique demeure cependant longtemps dissimulé dans cet album. On suit avant tout la campagne de dénigrement et d’ostracisme dont fait l’objet Joseph dans son village rural. Le lecteur le voit encaisser sans broncher, prenant son attitude comme un besoin de faire profil bas, forcément coupable. Mais les apparences sont trompeuses… On n’en révèlera pas plus concernant l’intrigue pour maintenir le plaisir de lecture. Un dossier annexe très juste développe la question du trouble de stress post-traumatique (TSPT) et de sa place dans la société civile. Essentiellement cadré sur les personnages aux traits semi-réalistes, le dessin semi-réaliste de Victor L. Pinel s’adapte parfaitement au sujet. En variant astucieusement les angles de vues, le découpage dynamique permet fluidité et immersion. Il se complète d’une colorisation légèrement délavée, comme s’il s’agissait des couleurs passées de vieux magazines retrouvés dans l’héritage d’une grand-tante.