L'histoire :
En 320 pages sur 18 chapitres, l’œuvre de Bob de Moor est détaillée, littéralement du début à la fin. Né en 1925, il manifeste très tôt non seulement un goût, mais un talent graphique (avec perspective), dès 5 ans. Le premier chapitre des 20 premières années, très peu connu, est riche en dessins de toutes sortes (projets de BD, humour, thème de la mer et des bateaux…). Originaire d’Anvers (en région flamande de la Belgique), il est néerlandophone et n’améliorera son français qu’à la période Hergé. Dans les travaux d’après-guerre, il commence à publier des BD réalistes, historiques et enfantines pour des journaux, et se marie en 1948 avec Joanna, qui l’assistera plus tard pour des tâches « mineures » mais chronophages. Son arrivée aux éditions du Lombard en 1949 bouleversera sa carrière. L’éditeur publie, entre autres revues, Kuifje, le Tintin néerlandophone qui occupe Hergé, mais aussi Jacques Martin, E. P. Jacobs. Il travaille vite, dur, puis avec Le lion des Flandres, il entame une série historique minutieuse. Mais c’est avec Monsieur Tric qu’il obtient la consécration : un bonhomme magrittien, attachant, malicieux, suivi par Till l’Espiègle. Enfin et surtout, cette année voit la création de Barelli, en couleurs, et dans les deux éditions de la revue Tintin. Ce personnage de comédien rompt avec les habitudes scénaristiques. Le style de Moor est déjà solide, parfaitement tenu. Ne reste plus qu’un pas à faire pour rejoindre Hergé et son studio : Objectif lune ! Travaux de l’ombre, préparations, retouches parfois importantes, qui s’effacent derrière l’œuvre du maître : cela n’a jamais gêné Bob de Moor ! La machine créatrice poursuit : Cori le moussaillon apparaît, d’abord à visée hollandaise, sa plus grande réussite pour beaucoup de connaisseurs. Cependant, le travail pour le studio Hergé l’occupe considérablement : décors et assistance diverse pour les nouvelles versions de Tintin, dessins animés, retouches notamment sur la série Jo, Zette et Jocko d’Hergé, l’aspect maritime de la collection Voir et savoir… Ainsi, L’affaire Tournesol, Coke en Stock et les Tintin suivants, surtout Les Picaros, bénéficient de sa ligne claire souple et gourmande, plus que compatible avec celui du créateur de Tintin, ce qui n’est pourtant qu’une partie de son art. Dans la décennie 1960, Hergé ralentissant nettement sa production, de Moor se concentre sur les studio : illustrations, publicités… Il continue donc Barelli, mais dans un style plus éloigné de Tintin : plus réaliste, comparable aux Lefranc par Martin puis Chaillet. D’ailleurs, il signera un Lefranc : Le repaire du loup, unanimement salué comme solide et prenant, l’un des meilleurs de la série. L’arrivée de Greg (dessinateur d’Achille Talon et scénariste), vers 1967, redirige l’hebdo Tintin vers des séries plus réalistes, ce qui pousse Bob de Moor à adopter un autre style, lié à l’humour, tout en conservant Barelli, puis en faisant revenir Cori. Plus tard, s’enchaîneront planches-hommages, pastiches, cartes de vœux, publicités, comme si cela ne finissait jamais… La dernière grande réalisation de ce Stakhanoviste du dessin reste la suite du Professeur Sato, après le décès du créateur de Blake et Mortimer.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Doit-on présenter Gilles Ratier ? Ex bibliothécaire, grand expert de la BD de patrimoine et secrétaire général de l'Association des journalistes et Critiques de la BD, rédacteur-en-chef du site BDzoom.com sur le patrimoine et l'actualité de cet art, auteurs de nombreux articles, notes, bibliographies, de livres sur le domaine (notamment sur Charlier et sur les scénaristes), jusqu’au fameux « rapport Ratier » annuel. Cet érudit reconnu et respecté signe une passionnante biographie professionnelle de Bob de Moor, qui présente également des éléments significatifs de la vie privée de l'artiste, grâce à son fils Johan (également dessinateur bien connu). L'auteur a truffé son étude d'anecdotes nombreuses, souvent savoureuses, surprenantes, et d'extraits bien fournis d'interviews éclairants. Au format imposant, ce beau livre au gabarit « coffee table » (selon l'expression anglo-saxonne) se présente agréablement par la taille confortable de ses caractères et les illustrations généreuses (au moins deux par page). En-dehors des extraits de planches, les autres dessins sont soit issus des originaux, soit méconnus, rares ou inédits : alternatifs, projets, etc. Hélas, « beau livre » signifie aussi souvent onéreux, du fait de la riche iconographie. Cadeau idéal pour Noël ou les étrennes, cette monographie est à offrir aux amoureux de la Mémoire BD qui souhaitent en savoir bien plus sur un franco-belge important, ayant tout pour séduire l'amateur le plus exigeant. Quel travail d'écriture, précis, documenté, bref, expert. Saluons le tour de force.