L'histoire :
Fin 2001, l'iranienne Roya Karimi Majd, journaliste et femme moderne, se trouve dans le bureau de Mr Mansouri, vénérable juge dans la ville de Mashhad, la deuxième plus peuplée du pays. Elle demande à ce qu'il lui accorde une série d'entretiens avec Saïd Hanaï, le célèbre tueur en série qui a été arrêté quelques mois plus tôt. Elle veut en effet faire un reportage complet sur cette personnalité hors norme qui s'en prenait aux prostituées droguées, et que les médias ont surnommé l'araignée de Mashhad. Elle veut comprendre comment on peut en venir à de telles horreurs avec la foi comme simple motivation. Elle veut prouver que ce qu'il a fait est contraire à la charia, quand bien même cette loi coranique proscrit violemment la prostitution. Le juge lui rappelle qu'imputer une affaire criminelle à la religion est un crime contre la religion... Et il accède à la demande de la journaliste. Aussitôt, elle téléphone à son collègue Mazziar, afin qu'il vienne filmer cet entretien dès le lendemain 9h. Tous deux se retrouvent ainsi face à Saïd Hanaï, un homme tout à fait simple, maigre, particulièrement humble et dévot. Avant d'étrangler de ses mains seize femmes, cet homme était maçon, père de famille et il menait une vie rangée. Il répond volontiers et sincèrement à toutes les questions de Roya Karimi Majd, sans le moindre scrupule sur ses actes...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
L'auteur iranien Mana Neyestani est réfugié politique français depuis 2011. En BD, il a déjà raconté sa fuite d'Iran (dans Une métamorphose iranienne) et son parcours du combattant pour rester en France (dans Petit manuel du parfait réfugié politique). Il s'intéresse de nouveau à la vie intérieure de son pays avec ce roman graphique éminemment intéressant sur les contradictions de la société iranienne, lui-même adapté d'un documentaire vidéo (de Roya Karimi Majd et Mazziar Bahari, tous deux logiquement acteurs de l'histoire). Ici, une femme journaliste et son cameraman mènent une enquête sur un tueur en série, un homme persuadé d'œuvrer dans le sens de l'Islam en nettoyant sa ville de la débauche représentée par les prostituées. Dans cette république majoritairement fondée sur le respect de la charia, les interprétations de son acte sont variées. Héros populaire pour les uns, monstre meurtrier pour les autres, ce serial-killer authentique sera exécuté par pendaison en 2002. En une douzaine de chapitres, orientés sur divers cibles et témoignages, Neyestani insiste sur l'interprétation fluctuante de la morale et l'enfermement aberrant que procure le règlement civil. Fumer une cigarette en public, lorsqu'on est une femme, constitue par exemple un terrible acte de dépravation. L'auteur brosse ainsi un portrait acide du juge (notable tranquille), des fanatiques religieux et du dictat des apparences. Le régime de la tyrannie religieuse en ressort largement pernicieux et délétère, s'il en était besoin...