L'histoire :
Le temps se gâte. Au dessus des montagnes se forme une dépression noire qui n’annonce rien de bon. Le vent souffle et les éléments se déchaînent comme pour faire éclater une colère. Au pied des pentes venant se jeter dans la mer, sur le rivage, gisent les corps sans vie de combattants raccourcis, étripés, dépecés par les charognards. Un œil a cependant échappé au massacre. Vite, il se met à l’abri des becs qui le menacent, empruntant les sentiers retors des crevasses entaillant le sol. Est-ce un rêve ? N’est-ce qu’une impression ? Pourquoi ce sentiment de déjà-vu ? Pourquoi cette tristesse chevillée au corps ? Autour de lui, il n’y a rien. Seul la porte est entre ouverte… Sur la montagne, une nuit est passée. L’œil s’est éveillé aussi vulnérable qu’il s’était endormi. Qui aura raison de lui ? Ce géant sans tronc au visage proéminent ? Ces arrières-trains ailés qui s’enculent ? L’œil avance doucement avec une infime précaution. Avancer en rampant n’est pas aisé. Et quand une ogresse pointe le bout de son gros nez, la panique le gagne. Il faut dire que la gloutonne n’aime rien tant que les globes oculaires. La chance aurait tournée ? Son heure venue ? Là, devant son iris, l’attend une paire de bras…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
C’est un récit d’un autre temps, d’un autre monde. C’est pourtant une histoire dans l’ère du temps pour qui, comme Patrick Pion (Moloch Jupiter Superstar avec Gabriel Delmas), aime à dynamiter les repères et les codes du genre. La collection Révolution nouvellement née chez Carabas se propose d’explorer une autre façon de conter une histoire en bande dessinée. Absence de pagination, absence de bulles comme de cadres formels, Mezzotinto1 déroute mais impressionne rapidement. Parce que le trait, crayonné brut tout juste encré, convainc par sa puissance suggestive d’une part et son énergie communicative de l’autre. Alors que, presque muet, le récit pourrait rester vain, on lit et relit les pages de cette histoire iconoclaste et délirante, perdue entre préhistoire barbare et modernité désincarnée. L’aventure cruelle d’un œil qui cherche à se rassembler et d’un être impersonnel. Une question demeure : que comprendre ? Il n’existe probablement pas de lecture unique. Chacun comprendra et ressentira la chose différemment. C’est une expérience des sens. Certains pourront la juger complètement absurde, d’autres passer complètement à côté, d’autres encore s’y intéresser jusqu’à être fascinés... personne n’aura pour autant raison. Il faudrait connaître les intentions premières de l’auteur. Particulier, intriguant, songeur, ce Mezzotinto1 laisse perplexe. Pari gagné Monsieur Pion ?