L'histoire :
Brancaccio, Sicile, octobre 1994. Le petit Nino, âgé d’une dizaine d’années, se rend à pied à l‘étude de l’après-midi. Son maître et ses parents lui ont appris que les études sont le seul moyen de s’en sortir dans la vie, et il a bien enregistré le message. Chemin faisant, un copain du quartier, Carmello, un peu caïd sur les bords, lui propose de l’emmener en scooter. Nino accepte de bon gré, mêlé d’un sentiment de respect craintif. Chevauchant le scooter, les deux garçons traversent malgré les barrières fermées et passent juste à temps avant le train, récoltant les jurons du garde-barrière. Carmello fait alors un détour par chez un garagiste receleur. Il lui refile le scooter, évidemment volé, contre une liasse de billets. Puis les deux mômes se séparent. Carmello s’en va à un combat de chiens, tandis que Nino reprend sa route et… se fait casser la figure par une bande de voyous. Il n’est pas de bon ton, à Brancaccio, de s’appliquer à l’école. Nino arrive à l’étude en retard, couvert d’hématomes. Le maître comprend immédiatement ce qu’il s’est passé, mais respecte le silence de Nino. Il en va ainsi à Brancaccio. Le maître tente alors d’installer un climat de liberté dans sa classe, notamment à travers un sujet de rédaction portant sur la confidence et la liberté de parole. Il essaie à sa manière d’instiller un changement de mentalités… Rien n’y fait : la mafia est trop puissante, l’omerta de rigueur.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Après les conséquences sur Nino (voir résumé ci-dessus) des comportements mafieux dans sa ville, les auteurs nous livrent les points de vus respectifs du racket organisé et de la terreur mafieuse sur son père, puis sur sa mère. Trois générations, trois incidences distinctes et pourtant entremêlées, générées par un système social abominable. A cette époque, que l’on situe dans les années 80-90, la mafia pollue insidieusement tous les niveaux de la vie quotidienne des habitants de Brancaccio, un des pires quartiers de Palerme. Le lecteur comprend vite que l’espoir initial porté par le petit Nino, ce gamin gai et volontaire, qui a choisi la voie de la vertu, sera rapidement anéanti. Il ignore alors de quelle sordide manière. Et pourtant, le « système » n’est pas directement responsable des tragiques évènements… A travers cette œuvre réaliste engagée, les auteurs dénoncent les pièges de ces mentalités mafieuses, souvent arc-boutées sur un respect des traditions familiales séculaires. Dessiné en noir et blanc par Claudio Stassi, ce one-shot scénarisé en trois temps par Giovanni Di Gregorio est certes une fiction qui fait la part belle aux symboles (le train et le rêve). Mais il reste tout à fait crédible et réaliste : combien de martyrs inconnus ont ainsi été sacrifié sur l’autel de la corruption ? L’ouvrage vient d’ailleurs en écho de l’assassinat du père Puglisi, un prêtre engagé dans la lutte anti-mafieuse, assassiné en 1992. Il se complète de témoignages et entretien poignants autour de cet épisode réel, et insiste sur l’importance de la parole, seule à même de venir à bout de ces systèmes sociaux pernicieux. La lutte anti-mafia a désormais sa bible au sein du 9e art…