L'histoire :
Jean Cocteau fume une cigarette. C'est peut-être sa dernière. Son heure est peut-être venue. Par la fenêtre, il voit un enfant (lui ?), qui souffle sur la vitre et dessine un visage. Une femme portant des lunettes ouvre la porte et l'invite à venir. Dehors, deux hommes vêtus comme des marins l'attendent sur le seuil et les suit. Dans la maison, la femme à lunettes le regarde partir avec un chat dans les bras. Jean Cocteau pénètre dans un lieu où une galerie de personnages le regarde. Il continue son chemin et ouvre une ultime porte... 1902, lycée du petit Condorcet, Paris. Le jeune Cocteau quitte son bureau et se met à quatre pattes. Il demande à son camarade Dargelos de venir chez lui après la classe. Le professeur le prend sur le fait et le sermonne vivement. Ce soir, il ira voir son grand-père pour lui parler du pays : sa conduite et ses résultats scolaires sont épouvantables. Dès la sortie des cours, Cocteau joue avec ses camarades à se lancer des boules de neige. Il retrouve son camarade Dargelos qui le repousse. Cocteau est blessé à la tête et se relève péniblement...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Quand on pense à Cocteau (1889-1963), on pense toute de suite à son formidable La belle et la Bête (1946) avec Jean Marais ou à son roman Les enfants terribles réalisé par Jean-Pierre Melville (1950). Pourtant, à la fois écrivain, dramaturge, cinéaste, poète ou encore dessinateur et plasticien, l'artiste est bien plus difficile à définir et à cerner. Le scénariste François Rivière se cantonne d'ordinaire aux récits classiques (adaptation d'Agatha Christie, Maître Berger, Victor Sackville, Blitz...). Il s'attaque ici à ce mythe créatif. Un choix qui, de prime abord, peut paraître étonnant. Mais, loin de son classicisme narratif usuel, le scénariste chevronné délivre un récit d'une poésie folle, à la fois noire et solaire. Dans une ambiance que n'aurait pas renié Kafka, l'un des maîtres de l'absurde, il embarque littéralement dans une atmosphère de jugement dernier où Cocteau fait face à ses vieux démons. Cocteau se retrouve comme dans le Chant de Noël de Dickens, confronté à son amour pour l'art et ses coups d'éclat, ses liaisons sentimentales et artistiques (Raymond Radiguet, Jean Marais), ses amitiés douloureuses (Dargelos) et majestueuses (Picasso), son opiomanie prononcée, ses deuils (le suicide de son père, la mort de Radiguet), sa gloire et la reconnaissance des autres. Laureline Matuissi épouse les textes délicats de Rivière avec un trait virevoltant dans un noir et blanc aérien. Cet album donnera à coup sûr l'envie de se replonger dans l'œuvre foisonnante de cet enfant terrible qui, 60 ans après sa mort, continue assurément d'inspirer les artistes de notre siècle.