L'histoire :
Anissa touche la terre de Mayotte en débarquant, avec zébu et compatriotes malgaches, d’une modeste kwassa, une embarcation de fortune qui permet à des passeurs mahorais de proposer contre 3 mois de salaires une place pour l’eldorado français. Le vol 714 dépose Danièle à Mamoudzou dans cette même petite île du bout du monde : une petite annonce d’emploi, tombée il y a quelques mois sur sa messagerie, lui a donné l’occasion de plaquer la métropole et son pot de colle d’ex-mari. Une seule chose réunit ces deux femmes, le besoin de changer de vie : vitale pour l’une, indispensable pour l’autre… Jacques, un expat’ lui aussi, est là depuis plus longtemps, échoué outre-mer pour de semblables raisons. Il est ballotté au gré de ses cuites, entre sa femme, une clando qui l’a littéralement harponnée, ses filles, la pêche au gros et une philosophie qui oscille entre fatalisme et solidarité. Serge cherche quant à lui chaussure à son pied, tandis que Pierre un médecin du dispensaire, se lasse du colonialisme raciste galopant… Ils croiseront leurs routes, confronteront leurs destins en de surprenants ballets, faisant tomber peu à peu les masques : tous paumés, tous directement ou indirectement malmenés par le durcissement des politiques anti-immigration.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
En voulant témoigner de ce qui ce passe à Mayotte, ce médecin ORL, qui effectue régulièrement des remplacements dans l’île, a voulu nous adresser un direct au foie : de ces coups dont la fulgurance met au tapis. Dans ce Droit du sol, Charles Masson utilise à merveille ce pavé de 440 pages pour bâtir intelligemment et avec un inégalable talent de narrateur son KO. Ainsi, il ne se prive pas de jouer la confusion des sentiments, la valse des émotions en utilisant, pour ce faire, migrants clandestins, expatriés français confus, système de santé défaillant, colonialisme puant… Mais attention, si l’intention principale de l’auteur est de tirer le signal d’alarme sur cette situation dramatique dans laquelle l’homme ne sort pas grandi, la qualité de l’ouvrage dépasse de loin ce projet. Ce qui saisit, outre le message, c’est la talentueuse construction de la BD. Tel un maître es scénario et découpage, il réussit à livrer une profusion de thématiques avec une incroyable fluidité. La qualité de son écriture (une voix off béton) et le jeu de ses personnages éloignent notre lecture du misérabilisme suintant, nous mettent le nez dans les clichés, nous attendrissent en une formidable humanité : un parfait contraste avec la politique dénoncée. Et il est bien là le talent : soyons clair sans cet effort narratif, tranquilles dans nos pantoufles et loin de cette réalité, accrocherions-nous facilement à ce type de sujet ? Merci docteur !