L'histoire :
De nuit, Poe est allongé sur une route de forêt, en compagnie d’un fou barbu. C’est un jeu dangereux et absurde : ils attendent qu’une voiture arrive pour voir si elle va freiner à temps. C’est ce qui se produit : un dérapage in extremis, et un conducteur qui sort en colère ! Poe vit ainsi, de manière folle et aléatoire, soumettant toutes ses décisions, même les plus idiotes, au hasard. Pour cela, il a toujours une dizaine d’allumettes dans la poche : s’il en tire un nombre pair, c’est oui ; impair, c’est non. C’est ainsi qu’il se retrouve en compagnie de son pote Harly – qui a aussi une araignée dans le plafond – dans le hall d’une banque pour ouvrir un compte, avec une mallette pleine de billets. Le plus fou, c’est que ces billets proviennent du braquage de cette même banque, une semaine auparavant. Ah non, le plus fou, c’est quand Harly s’énerve en tabassant un client qui a été odieux avec une guichetière. Il le tabasse avec sa mallette, qui s’ouvre, faisant virevolter dans tout le hall des milliers de billets de banque ! La fuite devient dès lors leur unique porte de sortie, et tant pis pour leur butin. L’honneur de la guichetière était plus important aux yeux de Harly. Le reste du temps, Poe est follement amoureux de Lola, qui sert les bières au bar…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Pour la collection Ecriture de Casterman, dédiée aux romans graphiques, aux BD dites « d’auteurs », Laureline Mattiussi adapte une nouvelle policière quelque peu hermétique et ésotérique de l’argentin Carlos Salem. Ici, une sorte de flingueur désabusé et atrabilaire remet à chaque instant son destin au hasard, en tirant chacune de ses décisions à pile ou face (ou plutôt un nombre d'allumettes pair ou impair). Avec son pote Harly, il braque des banques et des riches… mais ça n’est pas concluant ; il est amoureux d’une barmaid… mais ne concrétise jamais ; il côtoie des fantômes et des anges… mais on ne pige pas trop où ça le mène. Bref, entre actions désespérées absurdes et séquences ésotériques absconses, il n’est pas évident de cerner les intentions de l’auteur argentin – et pas plus l’envie d’adaptation de l’auteure de BD. Restent les impressions de noirceur, un puissant sentiment morbide, des ambiances étranges et atrabilaires, plus un zest d’humour, à travers les réactions débiles de ces braqueurs brindezingues (les masques de Titi et Bugs Bunny). Sans oublier le dessin aux traits épais, en pur noir et blanc, de Mattiussi. Moderne et vivant, il distord les angles et l’expressivité des personnages, mais en conservant une étonnante cohérence d’ensemble. Absolument parfait pour se repaître de l’étrange et de la vacuité du destin. Elle réside sans doute là, dans le véhicule graphique, l’intention de l’adaptation.