L'histoire :
En 1898, un berger du Vercors parvient à tuer l’ours qui saccage les troupeaux depuis des mois. Les villageois s’en félicitent, à l’exception du jeune Edouard Roux, doté d’une chevelure aptonymique, qui trouve honteux d’avoir tué une aussi belle bête. Il se battra à coups de bâtons avec ses camarades pour défendre ce propos, mais finira dans le cachot des policiers. 18 ans plus tard, Edouard se trouve sur le front de la Somme, harnaché comme un poilu, au fond d’une tranchée bombardée par les boches. Il se réveille quelques jours plus tard dans un hôpital de Troyes, le corps entouré de bandages. Un médecin lui annonce qu’il est le seul rescapé de son unité. Son nez et tout le côté droit de sa bouche sont partis dans une explosion. Il pourra parler car sa langue a été sauvée, mais il est désormais ce qu’on appelle une « gueule cassée ». Quatre ans plus tard, Edouard vit à Grenoble, en permanence avec un sac en papier sur la tête. Il vient d’enterrer sa mère, se saoule dans un bar et nourrit logiquement une virulente amertume envers toute forme de patriotisme. Un voisin, une gueule cassée comme lui, lui donne l’adresse d’une artiste parisienne appelée Jeanne Sauvage, qui refait les visages. Edouard prend ainsi le train pour Paris…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Cette Dernière reine qu’évoque Jean-Marc Rochette dans cet épais one-shot de 230 planches n’a rien à voir avec l'ultime représentante de la monarchie française. Cette « reine » est la dernière vieille ourse vivant sur le plateau du Vercors, que le héros, une « gueule cassée » de la première guerre mondiale, tente de protéger de la folie meurtrière des hommes, à la fin de l’opus. Son crépuscule et le scénario tout entier sont une métaphore de notre anthropocène arrivée au bout de son « modèle » de développement fort peu vertueux. Car l’histoire développée par Rochette interroge tout à la fois sur la place de l’homme dans la nature, sur le sens de la guerre dans l’humanité, sur celui du vrai et bel amour dans un monde dégueulasse, sur la puissance reconstructrice de l’art, lorsqu’on pense que plus rien ne vaut d’être vécu. Quand bien même tous ces sujets pris indépendamment sont finalement assez convenus, le souffle du récit est intense, et les propos abordés parfaitement soutenus. Il y a un petit quelque chose de L’étranger (de Camus) dans le scénario de Rochette. A défaut d’être évocateur sur le rendu des émotions des personnages (aux visages atones), son encrage charbonneux et réaliste a le mérite d’être cohérent et pudique, voire spectaculaire sur les paysages de montagne, complété par une colorisation sombre et sobre ad hoc.
