L'histoire :
Quelques mois après la fin de la première guerre mondiale, Blanca, Pauline, Florentin et Arpin – soit une jeune et une vieille veuve, un orphelin et un ex-poilu – ont finalement quitté leur Savoie natale, pour refaire leur vie aux antipodes, en Nouvelle Calédonie. Au terme d’un voyage difficile, ils ont rencontré un éleveur sur les quais de Sydney, James Jacques, qui leur a offert une aide à l’installation contre leur labeur au sein de sa propriété. Cinq ans plus tard, Florentin est devenu un excellent cow-boy. Il est farouchement courtisé par Marie, la fille du riche éleveur… mais il se refuse mystérieusement à elle. Pauline, elle, s’est remariée avec Arpin, au grand désespoir de James, qui espérait bien en faire sa seconde femme. Auguste, un kanak lui aussi stockman sur la propriété, observe lucidement ce jeu trouble de séductions et de convoitises. Il est devenu ami avec Florentin et tente de le raisonner sur l’opportunité d’un mariage avec Marie… mais il rumine aussi une forme de spleen intérieur. Est-ce parce qu’il se sait d’une « caste » inférieure, issu de l’esclavage ? Pas vraiment. Auguste intériorise une rage envers une jeune femme kanake, Déwé, qui aurait dû être sa femme. Mais Déwé a fui sa tribu pour se faire mettre enceinte, dans le plus grand secret, par Arpin…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
En général, les histoires d’amour finissent mal, même en Nouvelle Calédonie, et surtout lorsqu’elles entremêlent plusieurs protagonistes issus de « castes » sociales différentes. C’est ainsi de l’autre côté de la planisphère qu’Anthony Pastor exporte ses personnages du Sentier des reines, qui vont jouer 5 ans plus tard une toute autre partition. Notons que cette histoire peut se lire comme une suite au Sentier des reines… mais aussi se prendre au vol, comme un one-shot. Le contexte social concerne ici la condition des kanaks en milieu post colonial… ou presque. Car si l’esclavage a été juridiquement aboli dans ce territoire français du bout du monde, il n’en est pas de même avec les mentalités. Et côté kanak, les réflexes demeurent encore tribaux. Pourtant, Pastor n’en fait pas trop sur le sujet. De nouveau, il tend surtout les passions amoureuses à leur paroxysme, jusqu’à confiner au thriller. Dans cette trame à la base classique, mais psychologiquement palpitante et narrativement imprévisible, donc génialement crédible, vous découvrirez jusqu’à quelle folle issu les jalousies, les frustrations, les secrets et les « mensonges bienveillants » vont conduire nos protagonistes. On note aussi un usage subtil et peu commun d’un personnage : la vieille Blanca surgit systématiquement de lieux improbables, comme pour interroger ses proches sur leur conscience, à chaque fois. Ces apparitions l’assimilent à un fantôme… sans qu’on sache jamais précisément si elle est morte ou vivante. C’est certain, l’auteur complet Pastor a une méthode en plus, pour rendre ses récits aussi émouvants que fascinants et originaux. D’autant que son dessin réaliste sonne lui aussi très juste, à base de hachures finement posées lors des cases contemplatives, plus brut et rapide lors des scènes d’action. Le style de Pastor s’approche de la couleur directe, et se décline dans des ambiances colorimétriques en parfait accord avec la chaleur, la jungle, la nuit ou la tempête. Retrouverons-nous nos personnages dans une troisième époque ?