L'histoire :
En 1955, le jeune Saïd Boudiaf est plus intéressé par la boxe que par les livraisons pour son père, boucher charcutier dans une petite ville de l’est algérien. Il est du genre à relever les défis de rue et à les gagner, faisant fi des petits arrangements qui lui sont traditionnellement proposés, en douce. C’est aussi grâce à ce comportement qu’il est repéré par « le constantinois », manager d’un club de boxe algérois. Celui-ci le prend sous son aile, lui apprend à boxer comme un pro et lui fait envisager une carrière internationale. Quelques mois plus tard, tandis que la guerre d’Algérie bat son plein et défraie les médias, Saïd traverse la Méditerranée et arrive à Paris. Il est certes tièdement accueilli par quelques uns, en raison du contexte politique qui exhorte le racisme… mais les moyens nécessaires sont déployés pour lui permettre de parvenir au sommet de son talent. Dès sa participation aux championnats de France, en 4 rounds très disputés, Saïd Boudiaf remporte le combat contre André Zaleck. C’est la gloire ! Pourtant, Saïd n’est pas pleinement heureux. Idéologiquement, il s’oppose par correspondance à son frère Ali, qui a rejoint le maquis au pays, pour combattre en faveur de l’indépendance aux côtés du FLN. Saïd, lui, refuse de payer l’impôt révolutionnaire. Il refuse que l’argent qu’il gagne soit dépensé pour faire la guerre, pour tuer des gens…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
A l’occasion de la présidence de Baru sur le festival d’Angoulême 2011, les éditions Casterman en profitent pour rééditer quelques pépites de cet auteur « engagé ». Dans ce one-shot, l’auteur embrasse deux thématiques récurrentes de son œuvre : la boxe (il la creusera à travers le diptyque L’enragé) et la révolte politique (ici, la guerre d’indépendance d’Algérie). Il s’agit en effet de l’histoire (presque) vraie d’une gloire de la boxe algérienne, dont l’ascension sportive et médiatique, en France puis aux USA, est perturbée par la guerre. En marge de ses combats et de ses victoires, le héros y est en effet racketté par l’impôt révolutionnaire et ses courriers déchirants avec son frère, politiquement engagé, rythment la narration. La question sous-jacente est aussi celle de l’instrumentalisation et de la récupération : à travers son parcours d’excellence, Boudiaf est-il un symbole ? Et symbole de quoi, et pour qui ? Le choix du sport de « combat » pour souligner ces questions n’est pas vraiment innocent, au regard de la révolte politique qui a toujours animé Baru. Au scénario, Jean-Marc Thévenet, acteur multi-casquettes du 9e art français, s’est en réalité inspiré de la vie authentique du boxeur algérien Chérif Hamia, champion d’Europe 1957. La mise en scène de fausses photos et coupures de presse, ainsi que la restitution du contexte géopolitique réel accordent beaucoup de crédibilité à cette histoire, au point de la confondre avec une BD documentaire. Sur ce plan, tout comme sur celui du dessin semi-réaliste, acéré et hargneux, qui vous happe pour ne plus vous lâcher, c’est une franche réussite. Lors de sa première édition, l’album a d’ailleurs été récompensé par l’alph-art du meilleur album 1991 au Festival d’Angoulême (6 ans après le prix de Baru en tant que « révélation »).