L'histoire :
Pendant la légendaire guerre de Troie (vers -1200 av. JC) opposant la ville aux grecs qui l'assiègent, un village d'Amazones vit en paix, en accord avec la nature et les Dieux. La communauté prépare la grande fête des fleurs annuelle, occasion de copuler sans retenue avec des hommes capturés et asservis, puis d'enfanter. Femmes guerrières, indépendantes, sans hommes, leur tradition autarcique leur interdit le sentiment d'amour et leur fait tuer les enfants mâles. Quelques unes d'entre elles réussissent à enchaîner une patrouille de soldats grecs, bien utiles pour cette fête orgiaque. Leur très jeune reine, Penthésilée, se désespère de pouvoir un jour s'accoupler avec un prince de son rang. Elle mène une expédition, ne laissant aucun rescapé parmi les belligérants, sans distinction, ce qui va exaspérer Achille. Demi-dieu et commandant d'armée grecque, néanmoins en rupture avec certains chefs, ce dernier cherche alors à savoir quelles sont ces étranges femmes. Dans sa réplique punitive, il réussit à en capturer une, et ses hommes sont tout heureux d'en faire autant de quelques amazones, après tant de frustration. A sa grande surprise, il est touché par la belle et farouche captive et tente de l'apprivoiser de façon plus civilisée, bien que directe. Le poids des traditions et les oppositions de principe auront-ils raison d'eux et de leurs peuples ? Non loin de là, la guerre de Troie aura bien lieu...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Christian Rossi fait sans doute partie de la petite dizaine de dessinateurs réalistes européens les plus doués, dont chaque production est très attendue. Le public actuel le connait pour la belle série western fantastique WEST, mais il avait auparavant déjà abordé la Grèce antique avec Tirésias. Et il surprend souvent, comme ici avec cet objet non identifié de 155 planches, qui lui a pris 3 ans. Bravo à l'éditeur pour le courage d'un format inhabituel qui lassera certains, comme les impatients devant un film au long cours. Géraldine Bindi, scénariste débutante, universitaire, a utilisé ses travaux pour imaginer des variantes à la mythologie, quitte à modifier le destin à la fois des amazones et d'Achille, dans une résonance contemporaine. Sur la forme, il y a certains anachronismes, comme des expressions et problèmes d'orthographe typiquement actuels. Reste que le propos sur la féminité, le féminisme, la sempiternelle guerre hommes-femmes et l'évolution des mœurs et des traditions sont assez bien portés. Rossi – aussi à l'aise dans la couleur débridée, la lumière presque abstraite que dans différents noir et blanc – a fait le choix de nuances de marron, ocre, à base de brou de noix et de sépia. Ce qui surprend l'œil au départ, mais après quelques planches, on s'installe dans l'ambiance. Les corps dénudés (parfois érotiques mais surtout traités au naturel), les efforts et combats, tout cela est rendu, non au 1er degré, mais comme à travers un rêve, un souvenir. Des pauses, des moments méditatifs ou contemplatifs, mettent en scène un monde si particulier, si loin, si inimaginable… C'est à la fois l'atout et le défaut de cet album hors normes, comme l'attestent les premières réactions très contrastées. Tout en étant impressionné, on ne peut s'empêcher de pester contre des longueurs, des scènes n'ajoutant rien à l'histoire, ou des dialogues un peu vides. Mais cet album laisse une trace. L'édition luxe ajoute des dessins d'étude et un ex libris, mais surtout une BD de 10 planches en superbe noir et blanc : Oracles, sur Hélène de Troie.
