L'histoire :
1988, en Belgique. Rosie rend visite à sa copine Nath. Canapé, clopes, cigare du beau-papa et télé servent de témoins à la confession, faite sans apparente douleur de Rosie : sa mère est partie rejoindre un type (qu’elle aime follement) à Dubaï. Du coup, son père lui a dit qu’à désormais 13 ans – même si c’était encore un peu tôt – elle allait devoir se prendre un peu toute seule en mains et apprendre à faire tout un tas de choses. Pas question pour lui de changer son rythme de travail qui l’éloigne si souvent et si longtemps du domicile. Pour ce qui est de rester seule, Rosie va vite s’y frotter. Ça lui fout la trouille au ventre et la remplit de mauvaises pensées. Mais il ne faut pas décevoir Papa, même si au début, elle ne sait pas vraiment comment s’y prendre. Elle mange n’importe quoi, passe ses soirées devant la télé avec une bouteille de soda et retrouve Nath et sa famille dès que c’est possible. C’est la nuit que c’est le plus difficile : elle se sent seule, comme un petit soldat dans sa tranchée et se pose en boucle la question de savoir si elle est en danger. Et surtout qui combattre ? Les jours passent et bientôt, assise sur un muret, Rosie présente à Nath un nouveau copain : une bouteille de whisky qu’elle s’empresse de téter au goulot en pleine après-midi. Ça la calme et l’apaise. Nath y trempe les lèvres elle aussi…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Pour ce portrait à fleur d’adolescence, Céline Fraipont utilise un douloureux séisme dans la famille de Rosie. Un tremblement de terre qui envoie les presque 14 hivers de Rosie dans les filets d’une vilaine amie : la solitude. Maman en vadrouille à des milliers de kilomètres avec un nouvel amoureux ; papa éloigné du domicile par le boulot… Rosie n’a plus personne contre qui elle peut jeter sa peur de grandir. Plus personne à qui crier en silence qu’elle veut bien – encore un bout au moins – rester une petite fille. Plus de regards réconfortants, de gestes simples, de présence bienveillante. Il faut emplir les vides... Au début, il y a la copine Nath et sa famille, les clopes, les bornes d’arcade, la téloche au soda et les cigares volés. Et puis, bientôt, parce que ça fait chaud et ça calme à l’intérieur, la bouteille de liquide brûlant à deux initiales. Nath, elle, préférera le beau garçon à Rosie et son whisky. D’école buissonnière en fugues passagères, Rosie coupera ses cheveux et rencontrera Jo, un gentil voyou rempli de musique. Un vieux de 16 automnes qui la fera revivre aussi généreusement que dangereusement…Autobiographique ou non, le récit nous touche de son incroyable justesse, guidé par un texte et des dialogues sans dissonance et emplis de gouttes d’émotions. Aucun effet de manche, d’explosion violente, mais la mécanique d’une dramaturgie silencieuse frappée du sceau de la simplicité. Celle qui fait forcément écho à des histoires proches, de celles qu’on a pu tutoyer à distance… ou non. Céline Fraipont et Pierre Bailly prennent le temps et nous offrent une déclinaison du « livré à soi-même » brossée de sensibilité. On aime ce noir et blanc épuré qui cadre des yeux ronds bouffés de questions ou laisse les ombres anxiogènes nous troubler. Et puis il y a cette gamine qui restera au pied de ce Muret, pas si impatiente de le franchir. Une gamine qui veut juste qu’on la remplisse d’amour. Une gamine qui nous ressemble à jamais.