L'histoire :
On vient juste de décapiter Louis XVI. Dans une chambre pas très loin de la place de la Révolution, Lazare Bruandet observe quelques instants sa maîtresse encore nue sur son lit, puis s'en va pour aller peindre. Sa passion est totale, elle prend toujours le dessus sur tout. En traversant les rues de Paris et les scènes de violence, il croise son collègue Bertaux, peintre lui aussi, qui a réalisé des croquis de l'exécution, comme de nombreux artistes qui étaient sur place. Ils n'ont pas le même point de vue sur la finalité de leur art, Bruandet ne se soucie que de l'instant et n'a aucune idée de postérité ni d'un quelconque rôle dans l'Histoire. D'ailleurs, il considère qu'il est meilleur lorsqu'il a bu, ce qu'il s'empresse de faire avec son ami dans une auberge. En rentrant vers son domicile, il aperçoit sa femme en train de parler avec un homme, puis rentrer chez elle. Pris d'une fureur sans nom, il la rejoint, l'attrape par le cou et la projette par la fenêtre. La foule s'assemble aussitôt autour du corps sans vie sur les pavés, et le peintre s'enfuit. C'est Bertaux qui va lui permettre de sortir de la ville, caché sous une toile à l'arrière d'une petite carriole. Avec quelques affaires sous le bras, son épée et un nécessaire à peinture, il va chercher refuge dans un monastère. Au milieu de la violence partout présente dans cette période de terreur, souvent obsédé par ses souvenirs d'enfance, il va parfois se défendre arme à la main, et toujours continuer à peindre.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
L'artiste dont Frantz Duchazeau a choisi de faire le personnage central de son nouvel album est totalement halluciné, immergé dans son art au point de sembler ignorer à la fois les règles de la société et les menaces qu'elle représente pour lui. Il va faire une succession de rencontres qui renforceront pour le lecteur cette personnalité déséquilibrée, mais monteront aussi l'admiration de ses contemporains pour son art. Pas forcément ses pairs, mais surtout les gens simples qu'il croise sur sa route, comme la jeune femme dont la beauté le frappe et qu'il aborde au bord d'un étang. Le regard plein de profondeur qu'elle portera ensuite sur lui, porte une dimension nouvelle au récit lorsqu'elle en devient un élément central. Elle l'observe, ne le comprend pas, l'admire pour son courage désintéressé face une troupe de soldats, et semble deviner sa folie intérieure. Malgré un scénario sans ligne de force marquée, l'auteur nous tient accrochés à son histoire avec un mélange de face-à-face improbables et de vrais moments de contemplation. Son talent de dessinateur impressionne sur certaines planches magnifiques avec des paysages fourmillant de détails et des arbres qui ploient sous le vent avant la pluie (en page 65). Duchazeau maîtrise en outre totalement le rythme de ses pages, il impose ses effets de style parfois très expressionnistes avec beaucoup d'assurance. Le choix du sujet comme son traitement font preuve d'un certain culot, mais le résultat est intense et prenant !
