L'histoire :
Gabin rencontre Éphémère au hasard d’un portrait qu’il souhaite faire d’elle sur la jetée du port de Doëlan. Une photo pour ce voyageur, amoureux d’images, une histoire pour l’homme de lettres que le visage buriné de cette bretonne de 69 ans déterre pour lui. Le cours d’eau sinueux des souvenirs qu’elle remonte alors, la rassoit à une table lorsqu’elle était enfant : son père est triste, silencieux. Il quitte le repas pour fuir le profond vert des yeux de sa fille. Un vert océan qui lui rappelle l’iris de son amour de femme, disparue à tout jamais. Sa fuite, c’est son canot, la mer, la pêche au homard et le confort du vent. L’orpheline se contente d’une main calleuse dans les cheveux et d’un carnet de croquis qu’elle remplit, le dos calé à un haut mur de pierre. Un mur de pierre qui sera témoin de son amour-foudre, quelques 20 ans plus tard. Un coup de folie pour un américain amateur de sauce armoricaine qu’elle avait renversée sur son pantalon en le servant. Son père ayant cédé face à la mort, elle traverse l’atlantique avec son amoureux pour une vie loin de Doëlan : 12 ans avec lui et un enfant made in USA. Puis le retour en Bretagne avec son fils, puis bientôt sans. Elle retrouve alors la solitude : une triste compagne qui la fait vivre chaque jour, chaque nuit, chaque saison, un automne silencieux…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
En nous contant l’histoire de ce photographe trentenaire qui s’attache aux souvenirs d’une vieille femme profondément blessée par la vie, Laetitia Villemin s’adonne à un exercice virtuose collant parfaitement avec le titre de cette collection. Un jeu d’Écritures qui assoit un style peu commun en BD. Tous les ingrédients sont là pour faire de cette ouvrage un pur moment d’émotion : des vies qui chavirent ; des rendez vous manqués ; un décor ciselé par la mer et le vent ; l’amour ou son absence ; le noir et blanc. Cependant, on attend pendant 150 pages que la magie fasse effet, déçu au final par le résultat. En cause, sans conteste, un découpage alambiqué qui bride le rythme du récit si indispensable en BD. D’abord conçu pour devenir une nouvelle, l’histoire ne rencontre pas le dessin. L’absence presque totale de dialogue et le ton poétique employé renforce même cette dissonance. C’est certes, superbement écrit, souvent beau, mais cela satisfait un plaisir purement intellectuel. Pour qui préfère humer, caresser, goûter, ça ne prend pas. Le génialissime trait de Guillaume Sorel sur Algernon Woodcock n’est pas du tout mis en valeur par le choix du noir et blanc. L’absence en particulier de nuances de gris rend l’ensemble particulièrement froid. Quand on sait (et quand on a eu la chance de les voir) que des aquarelles ont été tirées de ce récit, on regrette alors le choix effectué. Finalement, on se demande si le médium utilisé est le bon. Le texte n’était il pas autosuffisant ?