L'histoire :
Pendant que son épouse, enfoncée paisiblement sous la couette, dort à poings fermés, Colin vagabonde, insomniaque chronique, au volant de sa Coccinelle, sur le ruban autoroutier de Bruxelles. Seuls la pop sucrée susurrée par l’autoradio et les soubresauts de son inquiétante toux, rythment l’échappée. Au sortir d’un tunnel, le train-train nocturne est chahutée par le brusque changement d’univers qui s’opère sans ménagement : plus de ville mais un désert de sable blanc, une Chevrolet rutilante remplace la modeste Coccinelle, plus de radio ni de réseau téléphonique. Colin s’arrête, lève les yeux vers le ciel qui s’assombrit au passage d’un gigantesque requin volant. Peu pressé de se faire dévorer, il s’enferme dans l’auto et reprend son chemin. Un peu plus loin, 3 silhouettes juchées sur une dune attirent son regard. Les ayant rejoints, Colin fait face à 3 parfaits sosies de Sigmund Freud qui, sans prononcer le moindre mot, lui indiquent une destination dans la fumée de leurs cigarillos. Discipliné, notre héros suit les indications que complètent bientôt la voix d’un speaker, émise par le canal des ondes radio qui fonctionnent à nouveau : il doit se rendre dans un bistrot où le propriétaire de la voix radiophonique et une chope de cervoise l’attendent. Nul doute que Colin ne soit pas arrivé là par hasard : le ventre rebondi de Chloé, sa femme, semble l’avoir conduit sans le vouloir dans cette étonnante contrée…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
A la situation éminemment anxiogène de l’arrivée du premier enfant, Nicolas Vadot confronte avec une fausse pudeur son univers onirique bercé de poésie. Baladé dans cet intra monde, il ne faut pas longtemps au lecteur pour comprendre que l’ouvrage sert à le délivrer, lui et tous les autres Colin : l’arrivée de ce petit être est prétexte à la naissance d’un homme nouveau et apaisé (un « moi » neuf au bout des neuf mois…). Via une mise en scène où le loufoque côtoie le surprenant, l’exutoire fonctionne à plein régime et l’on suit Colin entre univers psychanalytico-parallèle et réalité : l’un torturé de problématiques, l’autre bercé du calme et du ronron du « tout va bien ». Nicolas Vadot traduit ici parfaitement l’opposition entre l’univers intérieur soumis à d’importantes pressions et la sérénité extérieure apparente (celle qui doit rassurer la maman). Malgré le choix d’une narration atypique tout est très clairement exprimé via des métaphores imagées limpides : le requin, le chat dans la gorge, les clones barbus, le tunnel, la mort, le combat final… Élégamment cadré, fluide et dynamique, le dessin magnifie un récit qu’une approche graphique moins virtuose aurait pu enterrer dans la banalité. On se délecte, en particulier de ces petites zones crayonnées qui donnent aux ombres et aux reliefs une inégalable saveur (un petit coté Mathieu Bonhomme, peut-être). En 70 planches, ce premier solo de Nicolas Vadot est une excellente surprise graphique, mise au service d’une réflexion intelligente sur la difficulté de se sentir devenir père.