L'histoire :
XIXéme siècle. La Malaisie a connu les conquêtes espagnoles, portugaises et elle est désormais sous la domination des Anglais. Sandokan, un pirate qui veut venger la mort de ses parents, tués par les soldats britanniques, est devenu le chef des Tigres de Mompracem et il dirige d'une main de fer une escouade de pirates. Lord Guillonk a bien du mal à faire régner l'ordre et il constate, amer, l'ampleur de la perte de ses soldats, tombés lors d'abordages à la sauvagerie sans nom ou aux cours d'embuscades qui se multiplient dans la jungle, ajoutant ainsi à l'hostilité naturelle de l'environnement. Les deux hommes comptent clairement se faire la peau. Mais quand il entend des hommes s’ébahir de la beauté de Marianne, la nièce du Lord, le pirate n'a plus qu'une seul idée en tête : rencontrer celle que tous appellent « La Perle de Labuan ».
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Si les lecteurs de BD associent immédiatement Pratt à Corto Maltese, ceux qui aiment l'auteur savent que son œuvre ne se limite pas aux aventures du marin. En effet, intrigues et mystères sont la clé de voûte de ses créations, mais aussi de sa vie. Et l'histoire de cet album, paru post mortem, en est une illustration, c'est le cas de le dire. Revenons en 1967, une fois La Ballade de la Mer Salée achevée. Pratt a commencé à adapter la saga publiée à partir de 1899 par Emilio Salgari. Mais voilà, Georges Rieu, le rédac-chef de Pif Gadget, lui propose de faire revivre ce Corto, ce qui n'était pas du tout prévu par son auteur. Le reste, on le connaît à peu près tous : Corto devient iconique et par la force des choses, Pratt ne donne plus du tout priorité à ce Tigre de Malaisie. Il s'y adonne, c'est le moins qu'on puisse dire, sporadiquement. Au sein du Corriere dei Piccoli, la revue qui publie l'auteur depuis le début des années 60, on y croit tout d'abord, puis on le questionne sur l'avancement de cette BD et on finit par comprendre qu'elle prend la forme d'une Arlésienne. Quelques années passent ainsi et des bouleversements économiques font qu'Alfredo Castelli, le responsable de la revue, plaque je job. Il range à la hâte dans un carton les épreuves photographiques de l'édition prévue en format horizontal, ce fameux format « à l'italienne », tel qu'il est donc dans cette édition et envoie littéralement ledit carton à la cave. Le temps passe encore, jusqu'à ce que Pratt demande en 1975 à son ami ce qu'il en était des planches de Sandokan. Castelli va mener une véritable enquête, en vain tout d'abord. Le journal a détruit ses archives pour faire de la place et ce n'est qu'après la mort de l'auteur (en 1995) qu'il va mettre la main sur ce carton, jamais ouvert depuis et qui contenait toutes les photos, intactes, des originaux. Notons que les planches originales ne sont jamais réaaparues, très probablement mises au pilon par la revue pour cette question de place et d'archives ! Sandokan est donc une œuvre inachevée, la dernière planche étant la 4ième de la seconde partie de l'histoire, mais elle contient tout le génie de l'Italien. L'Aventure, avec un grand A, le drame qui repose sur la vengeance, l'Amour et la violence. Et ce dessin aussi direct que poétique, cette distorsion des traits qui relève de la magie. Voilà pourquoi cet album, même « incomplet», ne peut pas être considéré comme une création secondaire parmi celles d'Hugo Pratt. Sandokan est un pirate halluciné, qui rappelle autant Corto que Raspoutine. C'est un guerrier futé mais qui place l'honneur au dessus de tout, un assassin au grand cœur... Et son histoire par Pratt, une vraie merveille.