L'histoire :
En 1978, la Bretagne est secouée par le naufrage du pétrolier Amoco Cardiz. Les habitants de Sant Fieg tentent de déblayer tant bien que mal les plages, sous le regard méprisant du maire Killian Meriadec qui a pris la place de son père. Le vieux Tournal, éternel révolté, s’en prend au représentant de la ville. Mais leur dispute s’arrête net quand on apprend que le pétrolier s’est brisé en deux en pleine mer, déversant tout son contenu à l'eau. Trois ans plus tard, la jeunesse française fête la victoire de François Mitterrand, élu président de la République. Dans un appartement, une lycéenne demande à Armel pourquoi il ne se joint pas eux dans ce moment de liesse. Armel doit réviser son bac et la politique ne l’intéresse pas. Il est bien plus triste pour la mort de Bob Marley. De plus, le jeune homme a décidé de revenir en Bretagne l'été, s’il réussit son examen. Pendant ce temps, Turnal triomphe devant les fenêtres de Meriadec. Ce dernier est inquiet : il voit d’un mauvais œil la montée de la gauche. Il craint que le communisme se renforce et envahisse le gouvernement. En juillet, Armel arrive en Bretagne et rend visite à Turnal. Il veut tout connaître sur ses véritables parents. Turnal lui raconte l’époque où il avait formé un parti indépendantiste dissident pour la liberté. Rachid, ancien soldat de la guerre d’Algérie, constituait une belle vitrine pour le mouvement. Mais les habitants n’appréciaient pas sa présence. Turnal, désabusé, avait dû le sortir du groupe. Armel apprend de nombreux détails sur l’histoire de ses parents. Mais il n’est toujours judicieux de remuer le passé…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Suite et fin d'une histoire policière au parfum particulier. Stéphane Heurteau mêle habilement couleurs locales avec une peinture saisissante de la Bretagne et l'actualité de l’époque. La petite histoire des gens « normaux », riche de ses enseignements, finit ici par rejoindre la grande Histoire, aux traces indélébiles, pour un résultat explosif. Les destins variés de chaque acteur s'entrecroisent pour finalement éclater. Après avoir parfaitement présenté le cadre de l’intrigue et posé les bases d'une tragédie en deux actes, Heurteau laisse les choses couler d’elles-mêmes. L’image de départ du pétrolier et de la marée noire qui ternit tout est éminemment symbolique : un accident laisse des stigmates sur le temps et les hommes et le tout finit fatalement par remonter à la surface. Finalement, cette suite n’est qu’un prolongement logique du tome un. Le rythme narratif demeure tout de même prenant, les dialogues percutants et le suspense haletant. On est dans un pur polar où la tension grandit au fur et à mesure, jusqu'à devenir étouffante. Tout est parfaitement orchestré. Théâtre du drame qui se joue sous nos yeux, le décor breton a son rôle à jouer. L’arrière-fond régional est d’autant plus important qu’il explique l’intolérance et le racisme des habitants, prêts à commettre l’irréparable pour rejeter l’étranger. Les personnages sont toujours aussi touchants de vérité. Avec des dialogues ciselés, on les voit vieillir et évoluer ; chacun représentant un trait de caractère différent : Killian et la politique corrompue, Paulo et la stupidité rustre, Liz l’indépendante... A ce titre, Turnal devient la vedette du dernier opus et correspond à l’archétype du Breton militant et révolté. Le dessin reste efficace, à l’image du texte : simple mais percutant. Les couleurs grises sont à la fois pleines d’émotion et lourdes de noirceur. Certains portraits sont criants de vérité et de sensibilité. Tout est donc réuni pour un final tragique, où l’action prend le pas sur le fond du message. On ne dénonce plus le racisme poisseux du terroir français, car il est temps de solder les comptes. Et beaucoup vont payer l’addition…