L'histoire :
Joseph est le réalisateur d'un talk-show animalier, « Homemade Quesadilla ». Il vient d'emménager à Brooklyn avec sa femme et son petit garçon. Jeune père de 30 ans, Joseph peine à gagner sa vie normalement. Du coup, il y ajoute des petits boulots parallèles : professeur de français en ligne notamment. Une petite vie simple et tranquille, marquée par des moments agréables (le sourire de son fils au réveil, une mélodie) mais aussi des angoisses latentes. L'envie par exemple de retomber amoureux pour échapper à une vie toute tracée, la difficulté du travail d'artiste... Puis un jour, tout bascule. Sur l'île de Governor Island, des actrices de séries américaines tombées dans l'oubli décident un jour de prendre leur vie en main. Leur jeunesse éternelle ne leur suffit plus. Il leur faut donc un film, car tout le monde ou presque les a oubliées. Il s'agit de Jessie de Sauvés par le gong, Judy de 21 Jump Street, Denise du Cosby Show, Phoebe de Friends et Brenda de Beverly Hills. L'idée de la directrice : produire un film dans lequel toutes ces filles seraient à l'écran, belles et resplendissantes. Même si toute présence masculine est interdite sur l'île, c'est Joseph qui a été choisi pour la réalisation, pour son talent et sa connaissance érudite des séries dans lesquelles elles ont tourné... Pour Joseph, le début d'un voyage initiatique, parenthèse enchantée vers une probable jeunesse éternelle...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Une couverture magnifique, une fois encore, pour l'éditeur Cornélius, qui sait mettre les livres de ses auteurs en valeur. Il s'agit ici de Brooklyn Quesadillas, un voyage initiatique coincé entre l'ordinaire du quotidien et une poésie surréaliste, parfait écho au premier livre d'Anthony Huchette (La marée haute chez 6 Pieds sous terre), « subtil croisement entre la réalité qui l'entoure et la fiction qui l'habite ». La réalité, c'est ici Brooklyn, une maison avec femmes et enfants, un talk-show sans succès, des galères financières d'artiste, des contrariétés et de petites angoisses existentielles. La fiction : des souvenirs de séries américaines et d'actrices qui hantent l'imaginaire de l'auteur trentenaire. Logiquement, on retrouve Beverly Hills, 21 Jump Street ou encore Sauvés par le gong, entre autres. On suit donc parallèlement le quotidien de Joseph, double fantasmé de l'auteur et son aventure sur l'île de Governor Island, teintée de poésie surréaliste et parsemée de rencontres improbables, aux frontières de l'aventure et de l'autobiographie. Bien construit et pensé, le parti-pris narratif décalé, qui parlera aux trentenaires, vaut le détour. L'occasion aussi d'interroger la paternité et les changements symboliques qu'ils peuvent susciter chez le jeune père. Manière d'analyser le passage entre une jeunesse encore pleine de rêves, qu'on croit évidemment éternelle, et une vie d'adulte faite de responsabilités. Une transition jamais tout à fait déprimante, mais jamais pleinement satisfaisante non plus. Nostalgique, il se dégage aussi du livre un sentiment doux-amer, une brise légère et apaisante, métaphore d'une entrée sereine dans l'âge de la lucidité. Un livre pour exorciser ce que l'on ne sera jamais plus, pour dire adieu à l'adolescence et ses plaisirs, et accepter une fois pour toutes l'irréversibilité du temps. Sur un rythme indolent, une BD plaisante.