L'histoire :
Un peu dépressive et renfermée, Kate est une fille angoissée, en manque de confiance et habitée par la peur de mal faire. De fait, elle semble une proie facile pour tout prédateur ordinaire. Elle s’est d’ailleurs entichée d’un homme, du type « monsieur-toutes-les-filles-voudraient-s’envoyer-en-l’air-avec ». Cet homme est manipulateur et égoïste. Kate l’écorchée vive, fille à la fragilité désarmante, devient sa marionnette. Elle le déteste, sait que c’est une ordure et ne ressent rien lorsqu’il lui fait l’amour. Et pourtant, elle ne sait pas très bien ce qu’elle veut, ni qui elle est vraiment. Mais sa présence la rassure… Comme la drogue, elle replonge à chaque fois, séduite par ses belles paroles. Elle est comme esclave de sa paranoïa ou jouet de ses névroses. Elle navigue entre rêves de vie et vie rêvée, fiction et réalité, perdue dans les sombres limbes de son âme. Irrémédiablement hantée par ses refoulements et ses rêves de petite fille, elle se sent « obscurément coupable d’être ce qu’elle est », étrangère à elle-même, à ses désirs et à son moi profond. Elle décide alors de fuir son morne quotidien et se retrouve dans une forêt où elle fait la rencontre de gens accueillants. Fin du cauchemar ? Une renaissance ? Incapable de savoir qui elle est vraiment, ni ce qu’elle veut, elle changera pourtant le jour où elle découvrira la peinture… Mais sa vie, l’a-t-elle imaginée ? Vit-elle son rêve ? Son inconscient semble se jouer d’elle…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Semant en permanence le trouble, Nadja joue avec son héroïne et se joue de son lecteur en les perdant tous deux dans les limbes de l’inconscient, du rêve et de la réalité. Et pose la question dérangeante de notre rapport au réel. Navigant entre un monde rêvé fait de joies, de désirs ou de promesses et une réalité dure, cruelle, marquée par la violence des rapports sociaux, Nadja se plait à tisser un labyrinthe d’illusions dont l’acteur principal est l’inconscient, le grand démiurge manipulateur caché derrière tous nos faits et gestes. La fiction (ou le rêve), nous suggère l’auteure, est une formidable machine à produire du vrai. D’où une confusion permanente propre à nous faire perdre tous nos repères et distillant un malaise croissant : on est saisi par l’irrémédiable impression de tomber dans le vide sans pouvoir se rattraper aux branches. On aime donc ce roman graphique pour la capacité de l’auteure à créer un univers original, singulier, intimiste et pour son habileté à nous perdre et à nous interroger. La frontière entre rêve et réalité est toujours mouvante, instable ou perméable aux métamorphoses. Elle est à redéfinir, sans cesse. S’appuyant sur une bichromie obscure, mate ou troublante, l’auteure utilise la gouache pour tirer le récit vers un crépuscule de fantasmes, de manière à nous révéler les lieux les plus reculés de la conscience et de l’âme. Dans un savant jeu de miroirs, les personnages disparaissent, réapparaissent, appuyant ici une illusion naissante ou soulignant là une réalité fuyante. Simple coïncidence ? Pure imagination ? A la fin, on ferme le livre un peu déboussolé, pas sûr d’avoir tout compris… Et c’est tant mieux, on y replonge avec plaisir.