L'histoire :
Après un stage de récupération de points dans une auto école de Marly en Moselle, Denis Robert discute avec le psychologue engagé pour faire ressentir aux participants un sentiment de culpabilité. Il veut vérifier si le tout jeune diplômé comprend comment le système emprisonne des gens modestes contrôlés positifs en sortie de boîte de nuit, où ils viennent se consoler de la dureté de leur vie. Denis est en ce moment seul avec son gamin, pendant que sa femme accompagne une de ses filles qui s'installe aux Etats-Unis. C'est l'occasion de passer du temps avec ce fils de 7 ans dont il aimerait s'occuper un peu mieux que de ses trois filles. Il l'emmène alors avec lui dans sa vieille Jaguar, roulant si lentement que le gamin s'en plaint, direction la Montagne des Singes, au pied du château de Kintzheim en Alsace. Une attraction touristique qui parvient à drainer des visiteurs de tous les pays voisins, une étape de tour-operators après le centre Pompidou récemment construit à Metz. Ils discutent du sort des singes en liberté contrôlés dans ce parc où ils côtoient des touristes en short, tandis que Denis prend des notes de ses conversations sur place. Leur périple continue, chaque étape rappelle au journaliste écrivain son enfance en Lorraine, d'où il a toujours travaillé, même lorsque les affaires les plus sombres le mettaient sur le devant de la scène. Les promesses des hommes politiques, la fermeture des usines sidérurgiques, les projets de reconversion réels ou bidons... Et partout, les hommes qui ont travaillé et souffert pour des enjeux qui les dépassaient. Entre deux discussions sur les mérites comparés des super héros, le père vit avec une intensité toute particulière ce parcours initiatique destiné à son fils...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Il faut quelques dizaines de pages pour comprendre que cette grande balade au cœur d'un bout de Lorraine, que Denis Robert connait bien, n'a pas d'autre but que ce qu'elle est. Une sorte de pèlerinage qui, étape après étape, dessine sur fond de mines désaffectées et de parcs d'attraction, un portrait du monde actuel. Le journaliste écrivain explique que sa maison au bord de la Moselle et tout près de trois frontières différentes lui donne le meilleur point de vue sur la folie du monde. Cela semble tout à fait pertinent, lorsqu'un italien lié à la mafia discute avec lui des banques luxembourgeoises et de leur prétendue levée du secret bancaire. Par petites touches, Denis Robert aborde les sujets qui lui sont chers, ou en tout cas qui lui ont donné une certaine notoriété. Mais il le fait avec une forme d'humilité face à la complexité insondable des rapports entre économie et politique, comme l'illustre le fascinant dialogue avec Jean Kiffer, l'ancien maire d'une ville reconvertie avec force vers le tourisme et les cures thermales. Accompagné de son fils et portant le poids de l'éducation d'un gamin pas encore adolescent, le personnage principal navigue entre réunions de famille et interviews impromptues dans tous les lieux qu'il visite. La mise en image de Franck Biancarelli colle idéalement à ce road-movie dans un ancien pays minier. Sans effet de manche, le dessinateur du Livre des Destins met en scène un Denis Robert au visage épuré, à l'image de l'efficacité de toutes ses planches dans cet album de 150 pages. Une impressionnante pleine page en contre-plongée sur la maison d'Edouard dans la nuit rappelle son goût prononcé pour les noirs et blanc soignés. Mais le plus souvent, c'est un trait délié et fluide qui nous emmène avec facilité dans les pas du personnage. Grand Est donne l'occasion au lecteur de découvrir un coin de France méconnu, guidé par un de ses enfants désabusé, mais irrémédiablement attaché.