L'histoire :
Texas, printemps 1880. Au cœur de la nuit, des rails et traverses de voies ferrées se soulèvent et fuient vers d’autres contrées. Le lendemain, deux hommes débarquent dans un patelin isolé, tapi sous une chaleur étouffante. L’un, journaliste au « secrets of nature », Hiram Lowatt, l’autre, un indien taiseux aux allures de basketteur, ressemblent à deux poussins perdus au milieu de nulle part. Hiram donne la raison de leur venue : il est sur la trace de faits extraordinaires. Selon une prophétie, les objets seraient doués d’une âme et parfaitement capables de se mouvoir. Les deux compères découvrent alors des voies ferrées sans traverses. Placido l’Indien dit « qu’elles sont parties toutes seules »… Le Marshall qui les accompagne le croit alors fou. Plus loin, le shériff et les deux compères découvrent une ferme. Les habitants, deux Allemands, sont trouvés morts, gisant sur le sol comme des feuilles mortes. Seul coupable possible, les Indiens ! Mais le premier constat est déroutant : Hiram affirme qu’ils ont été écrasés par de simples meubles. Des objets seraient-ils seulement capables d’agir ainsi ? Et pourquoi ? Hiram et Placido ont vu les premiers signes d’une révolte orchestrée par une horde d’objets bien vivants : la guerre entre humains et matière s’annonce apocalyptique. Tous, Indiens, savants et humains, vont devoir redoubler de vigilance pour tenter de comprendre l’inexplicable et élucider certains mystères...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
A l’occasion des 10 ans de la collection Poisson Pilote, voici la réédition du premier tome, toilée et millésimée, des aventures poético-fantastiques d’Hop-Frog, casserole animée un brin bouffonne. Déroutant, original et somptueux, Hop-Frog l’est assurément. David B. se joue des clichés en détournant ici tous les codes du western traditionnel, pour en faire une fable fantasmagorique et animiste, sorte de parodie de western spaghetti dans laquelle les objets, dotés d’une âme et mus par une volonté brute, tentent d’exister pour reprendre ce qui leur a été volé : l’esprit. Véritable réflexion graphique mettant en scène une guerre entre passé et modernité, spiritualité et matière, science et religion, Hop-Frog offre une puissante parabole sur la vie comme vecteur d’aliénation. Les hommes, devenus esclaves d’une modernité mesquine, sont plongés dans un désenchantement perpétuel. Lassés de n’être qu’ « utiles », les objets se révoltent et se soulèvent alors pour accéder au Beau et à l’immortalité. Entre les hommes et les objets, quelques traits d’union : les armes, à la fois symboles d’injustice et d’oppression, de défense et de conquête, mais aussi les vêtements, symboles extérieurs de l’activité. Enfin le miroir, reflet de vérité et de sincérité. Blain excelle pour mettre en images cette lutte symbolique grâce un coup de pinceau unique : lorgnant vers les peintures rupestres et le symbolisme primitif, il n’hésite pas non plus à louvoyer dans des brouillards à la Turner, le trait conférant alors profondeur et étrangeté à cette plongée fantastico-réaliste rythmée et surprenante. Le trait est parfois esquissé ou schématique, souvent réaliste, rehaussé d’ocre et de pastel. Magnifique. Quand le créateur, l’homme, est trahi par sa création, les objets, cela donne Hop-Frog, un récit inclassable, mystérieux et à l’ironie sans fin (voir la pirouette narrative finale). Ou quand le rejet du matérialisme est en même temps expression d’une révolte. Une belle réussite.