L'histoire :
Ce matin, comme tous les matins, Amadeo monte en vélo la petite colline de l’île de Lipari, afin de rejoindre la propriété de Don Palermo. Ce matin, comme tous les matins, Amadeo repousse au passage les avances de Silvana, la fille du garagiste, qui « a le feu au cul ». Ce matin, comme tous les matins, Amadeo crève aussi un pneu de son vélo. Le vieil aveugle habite seul et apprécie rien tant que la compagnie du jeune homme qui lui sert son café et lui lit l’horoscope, rubrique Taureau, paragraphe Amours. Depuis 75 ans, Don Palermo attend un message codé de son amour de jeunesse, Mietta. Il ne sait pas précisément lequel, mais il le reconnaîtra à coup sûr. A la demande d’Amadeo, Don Palermo entame le récit de son histoire d’amour, une histoire romantique, tragique et… sanguinaire. Alors qu’il était adolescent, ses parents travaillaient pour un petit cirque ambulant, au sein duquel il était devenu montreur d’ours. Roosevelt, son ours, était son seul véritable ami. Un jour, la petite troupe avait accepté une prestation pour l’anniversaire de Don Pomodoro, un parrain de la mafia. L’horrible personnage avait alors tiré une balle dans la cervelle de Roosevelt, juste parce qu’il n’avait encore jamais tué d’ours. Fou de rage, Palermo avait bien failli y passer aussi… mais il était rentré dans le rang in extremis. Par lâcheté, il s’était alors mis au service de ce mafieux sanguinaire qui avait besoin de tuer une personne par jour. Secrètement, il s’était juré de venger le meurtre gratuit de Roosevelt. C’est ainsi qu’il avait fait la connaissance de Mietta, la petite-fille de Don Pomodoro. Elle était entrée un jour dans la pièce où il prenait son bain, et s’était placidement mise à lui faire la lecture du premier chapitres des Raisins de la colère de Steinbeck…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Dans le registre des one-shot, Zidrou (l’un des papas de Ducobu) avait déjà frappé un grand coup en livrant le bouleversant Lydie. Avec cette Peau de l’ours, une histoire d’amour, de mafieux, de vengeance et de trahison, il récidive dans un registre sensiblement différent, mais toujours dans une veine d’excellence. Le ton de la narration est presque badin et sans cesse rehaussé d’exquises pointes d’humour. Notons toutefois qu’en raison de certaines répliques un peu crues, du cynisme des situations et de la violence des actes, l’album est à réserver (disons) aux plus de 16 ans. Cela débute néanmoins dans un paisible cadre méditerranéen ensoleillé : une relation d’amitié s’est nouée entre un vieil aveugle et son jeune auxiliaire de vie. Les séquences dialoguées entre ces deux héros ordinaires servent de transitions pour livrer le cœur du récit, extraordinaire : les souvenirs du vieux en flashbacks et donc presque entièrement en voix off. On découvre alors une vie tumultueuse dans le sillage de la mafia, puis l’idylle naissante entre Amadéo et Mietta, qui fait un parallèle contrasté et cruel avec la noirceur d’âme du parrain Don Pomodoro. Ce personnage méphistophélique et charismatique est véritablement fascinant. D’autant plus qu’Oriol le campe avec un teint rougeoyant et un nez d’une improbable longueur « pinocchienne ». Il est un diable, à la fois l’ennemi et le mentor, qui mène les débats et magnétise un paroxysme d’ignominie. Petit à petit les promesses du passé, les trahisons et les lâchetés se dévoilent et rejoignent le présent, pour un final magnifique empreint de nostalgie. Sur cette partition sensible, Oriol (Hernandez) montre un coup de crayon stylisé et anguleux aussi maîtrisé qu’original, complété par une colorisation franche et décalée. Les personnages ont des physiques incroyables, d’une belle expressivité et évoluent via des cadrages savants au sein d’un découpage idoine. On est happé comme rarement, par un récit d’une grande humanité : made in Zidrou…