L'histoire :
Une petite maison souvent silencieuse, une jeune maman qui ne parle plus mais chantonne toujours la même mélodie. Une petite fille adorable et joyeuse, et la vieille Fédorine qui semble protéger le foyer. Brodeck porte sur ses épaules les souvenirs enfouis des siens, et progresse avec méthode dans l'écriture de son rapport. Il rend visite à Schloss, le propriétaire du bar où le meurtre a eu lieu, alors que l'Anderer était le premier client à lui louer une chambre depuis bien longtemps. Schloss se confie et avoue des douleurs que Brodeck n'imaginait pas. Tour à tour, les habitants du village répondent à ses questions lorsqu'ils ont besoin de confier des souvenirs trop pesants. Leur rôle pendant l'occupation, la collaboration sans gloire et, petit à petit, les premiers jours qui suivirent l'arrivée au village de l'Anderer. La fascination que cet homme avait exercée sur eux, son passé totalement inconnu, sa grande politesse, son contact si aisé avec les enfants. Certains considèrent que Brodeck va trop loin et lui conseillent, sous des airs menaçants, de ne pas chercher à voir ce qui doit rester caché. Mais pour celui qui va devoir témoigner, connaitre la vérité devient un besoin vital. Il veut plonger corps et âme dans les secrets de ce meurtre terrifiant. Il veut savoir jusqu'où ont pu aller ceux qui ont connu la cruauté de la guerre, la dureté des camps tout proches, les tortures infligées aux femmes. Alors que par éclairs, reviennent les souvenirs de ses propres souffrances...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Avec Le Rapport de Brodeck, Manu Larcenet définit ses propres codes de l'adaptation littéraire en bande-dessinée. Tout en étant parfois très fidèle au texte de Philippe Claudel, il consacre en deux tomes plus de 320 pages à donner une vision totalement inédite du village où le meurtre a eu lieu, et bien entendu de ses habitants. Avec une maîtrise du rythme qui coupe le souffle, il nous plonge dans le rôle idéal du lecteur intelligent, appelé autant à apprécier le fond de son récit que sa formidable mise en œuvre. Passé maître dans l'utilisation de la case muette, il crée des chocs visuels impressionnants lorsque les silhouettes des villageois se détachent sur un paysage sombre balayé par la neige, où lorsqu'une bûche s'enflamme soudain dans le foyer d'une cheminée. Larcenet s'approprie l'univers de Claudel, le redessine et le raconte à nouveau. Les faces monstrueuses qui symbolisent l'occupant allemand témoignent de cette absence totale de concession par un dessinateur qui devient avec cet album l'égal des plus grands illustrateurs du noir et blanc. Cette enquête qui touche le fond de la noirceur de l'âme a cette dimension philosophique que l'auteur affectionne, et qui traverse son travail depuis au moins le Combat Ordinaire. Chacun pourra trouver un élément supplémentaire de réflexion dans le parcours hallucinant de Brodeck et dans chaque personnage, dont le reflet se dessine sous le regard des autres. Page après page, les éléments du passé se rassemblent pour devenir une vérité sans morale. Sur les traces de l'Anderer, c'est son passé que Brodeck va tenter d'exorciser.